Bujumbura fait face depuis des mois à une pénurie récurrente du carburant. Pour cause : le manque de devises, un parc automobile croissant, des devises destinées à l’importation du carburant utilisées à d’autres fins. La direction de la gestion des produits pétroliers promet de changer la donne.
« Je fais la queue depuis deux jours, je n’ai pas encore eu une goutte de mazout. Pourtant, le patron attend la recette », se lamente J. B., un chauffeur de camion rencontré à la station-service King Star Bwiza.
Il confie qu’il travaille à perte à cause du manque de carburant et affirme qu’il est obligé de revoir à la hausse le prix du transport des marchandises, ce qui se répercute sur le coût des articles. « Que le gouvernement hausse le prix du carburant pourvu qu’il soit disponible à tout moment ».
Les pompistes et les chauffeurs craignent de perdre leurs emplois. Un pompiste approché dit qu’il vient de passer plus d’une semaine sans essence ni mazout. Les chauffeurs de bus et de camions de même que les taximen interrogés se plaignent aussi qu’ils ne font plus de recettes.
Les conséquences commencent à se manifester notamment la hausse des prix de transport et de marchandises ainsi que les difficultés de déplacement en ville, surtout aux heures de pointe.
Pour la plupart des propriétaires des stations-service en mairie de Bujumbura, s’approvisionner en carburant est devenu un casse-tête. L’un d’eux raconte : « Si nous demandons 20.000 litres à nos fournisseurs, ils ne nous donnent que 6.000 litres à peine. Ils nous disent que nous devons partager la quantité disponible ».
Ils indiquent également que la livraison n’est plus rapide comme avant. « Si nous passons la commande lundi, la livraison se fait jeudi. Généralement cela prend entre trois et quatre jours, ce retard occasionne des problèmes d’approvisionnement d’où les longues files d’attente devant les stations que vous voyez un peu partout ».
Les importations en augmentation, mais….
Pourtant, les importations du carburant ne cessent de croître, que ce soit l’essence ou le gasoil et le fuel. La quantité importée de l’essence est passée de 37.168,68 tonnes en 2010 à 51.178,7 tonnes en 2014, pour atteindre 107.472,3 tonnes en 2020.
Les importations du gasoil et fuel oil ont aussi suivi la même cadence. De 49.247,3 tonnes en 2010, elles sont passées à 64.695,5 tonnes en 2014 et elles ont atteint 121858.5 tonnes en 2020, selon les données de la Banque de la République du Burundi.
Le parc automobile burundais comptait 79.367 automobiles en 2013, il a connu une augmentation de 13.305 automobiles nouvellement immatriculées en 2014 et 12.631 autres de plus en 2015, selon les données de l’Institut de statistiques et d’études économiques du Burundi (ISTEEBU).
Avec cet accroissement du parc automobile, soit une hausse annuelle de plus de 15%, la demande en carburant est allée crescendo.
Les importateurs dévoilent les non-dits
Plusieurs importateurs du carburant déplorent le manque de devises pour importer la quantité suffisante, ils indiquent qu’Interpetrol détient le monopole. Certaines sociétés ont même déjà abandonné l’importation et travaillent comme revendeuses.
Un employé de la société Kobil qui a voulu garder l’anonymat nous a révélé que depuis 2018, elle n’importe plus de carburant faute de devises. « Nous n’importons que l’huile de graissage. Et nos anciens tanks sont loués par Interpetrol, nous nous approvisionnons auprès d’elle pour revendre à nos clients ».
Un haut cadre de la société Mogas qui a voulu garder l’anonymat explique que les importations dépendent des devises reçues. Sinon, il y avait une forte demande avec le parc automobile croissant. « N’eût été le manque de devises, on importerait la quantité suffisante ».
Côté Interpetrol, il n’y a pas de problème, interrogé le directeur adjoint de la société Interpetrol indique que le carburant « est disponible en quantité suffisante. »
Selon lui, la spéculation et de fausses alertes de pénurie poussent les consommateurs à se ruer vers les stations-service pour faire le plein, cela engendre des problèmes d’approvisionnement.
« Les ventes d’Interpetrol sont en constante augmentation avec 20% d’accroissement depuis le mois de juin. Les autres sociétés qui importent le carburant devraient fournir les mêmes efforts que nous pour qu’il n’y ait plus de pénurie ».
La direction de gestion des produits pétroliers tente de rassurer
Ir Déo Ndayishimiye, directeur de la gestion des produits pétroliers, reconnaît des irrégularités dans les importations du carburant, mais indique qu’ils sont à l’œuvre pour changer la donne. « D’ici quelques jours, il n’y aura pas des problèmes d’approvisionnement en carburant »
Il rassure que les devises sont disponibles pour les importateurs, mais déplore le comportement de quelques importateurs : « Certains importateurs empochent les devises pour importer le carburant et ne le font pas dans les délais. Ce qui entraîne des problèmes d’approvisionnement ».
Selon lui, il y a parmi ces importateurs, ceux qui utilisent les devises octroyées pour le carburant à d’autres fins, ce qui retarde les importations.
La direction de la gestion des produits pétroliers se dit engagée à veiller à ce que de telles irrégularités ne se manifestent plus. Elle assure également qu’une société qui faisait des tricheries a été déjà rayée de la liste des sociétés qui reçoivent les devises pour importer le carburant.