L’étudiant Zéphyrin Nzoyisaba vient de révéler que la découverte controversée des armes au campus Mutanga, le 16 octobre dernier, est un montage orchestré par les services secrets burundais. Le président de l’APRODH demande aux familles des deux étudiants tués lors de la fouille perquisition de porter plainte. Des politiques demandent au gouvernement de démissionner. Iwacu revient sur cette affaire.
<doc1872|left>Deux semaines après l’incident survenu au campus Mutanga, l’étudiant dénonce un montage grossier, monté de toutes pièces par les services secrets burundais. Dans une lettre adressée à un avocat, Zéphyrin Nzoyisaba parle d’un montage pour emprisonner certains responsables des partis de l’opposition. Il affirme avoir participé à ce montage parce que le Service National de Renseignement (SNR) lui avait promis de l’argent et de garantir sa sécurité.
Dans cette lettre, Zéphyrin Nzoyisaba fait tout remonter au mois d’août 2010 : « J’étais menacé parce que j’étais membre du MSD et je vivais dans la clandestinité. Vers fin septembre 2011, un certain Dieudonné Nduwayezu, un ami d’enfance a trouvé une solution pour me faire sortir de cette situation», précise Zéphyrin Nzoyisaba. Par après, poursuit-il, Dieudonné Nzoyisaba lui explique que sa sécurité sera garantie s’il accepte de collaborer avec Josué, chargé de la sécurité au SNR. Selon ce plan, Dieudonné Nduwayezu devait lui apporter des armes. D’après cette lettre, Zéphyrin Nzoyisaba devait affirmer le jour de la fouille-perquisition que ces armes appartiennent aux rebelles basés en République Démocratique du Congo. « Je devais également accuser des leaders de l’opposition. »
Le coup est fixé pour le 15 octobre 2011
A 18 h 50 minutes, raconte Zéphyrin Nzoyisaba, Dieudonné Nduwayezu lui apporte sept chargeurs, quatre grenades, trois tenues policières, trois bottines et un sceau falsifié. « Le lendemain, je devais révéler que tout cet arsenal appartient au FRONABU-TABARA et a été donné par Sinduhije, Rwasa, Pancrace, Nzeyimana charles et Mugwengezo afin que je les achemine en RDC », affirme l’étudiant dans sa lettre. Pour chaque nom cité, rappelle-t-il, il allait avoir un million de francs burundais.
A 21heures, précise Zéphyrin Nzoyisaba, une position policière était déjà sur place pour le surveiller. Selon le contenu de la lettre, Zéphyrin ne cite pas les noms des hommes politiques comme convenu et il est conduit à la BSR (Brigade Spéciale de Recherche) : « J’ai subi un interrogatoire d’un OPJ (Officier de Police Judiciaire) qui avait procédé à la fouille-perquisition. » Zéphyrin raconte dans,dans la lettre, que cet OPJ lui intime l’ordre d’apposer sa signature sur un procès-verbal en le menaçant avec un marteau.
Après cela, ajoute Zéphyrin, l’OPJ lui présente trois feuilles sur lesquelles se trouvent 39 questions et où il l’oblige à apposer sa signature : « L’OPJ a alors signalé que sa mission est accomplie mais pas comme prévu ». A 11h40minutes, témoigne Zéphyrin Nzoyisaba dans sa lettre, un certain Isidore de la direction générale de la police vient avec une équipe de six hommes. Il le conduit ligoté au cabinet du SNR. Arrivé là, raconte Zéphyrin Nzoyisaba, il rencontre Josué qui lui signifie qu’il n’aura pas l’argent promis parce qu’il n’a cité aucun nom des leaders de l’ADC-Ikibiri : « Josué et Isidore m’ont exigé de travailler de connivence avec eux. »
Une autre liste…
Par après, selon la lettre dont Iwacu a pu se procurer une copie, un papier contenant 78 noms est présenté à Zéphyrin : « J’ai par exemple retenu les noms de Major Vénuste, Rukundo Moïse, Baden, Melchiade, Jules, Yangwe, Chadrac, Kibi, Charles, Nzeyimana, Sinduhije, Rwasa, Nyangoma, PancraCe, Beleto, James, Patrick et Kimeneke ». Il dit qu’il était dans l’obligation de retenir entre 25 et 30 noms pour être sauvé.
Lundi, selon les dires de Zéphyrin dans la lettre, il est conduit chez un certain Célestin et celui-ci lui dit qu’il pourra trouver refuge à l’étranger comme Mugabarabona s’il accepte de collaborer avec le SNR. « On me disait également que j’ai de la chance puisque je suis natif de la même région que le président de l’Assemblée nationale et le ministre de l’Intérieur Edouard Nduwimana qui, prochainement, pourra devenir ministre de la Justice », affirme Zéphyrin Nzoyisaba.
Encore des intimidations
D’après le contenu de la lettre, les agents du SNR sortent alors un fusil, une machette, une lance et un couteau : « Ils m’ont demandé de choisir l’arme que je préfère pour mon exécution». Après cela, Zéphyrin Nzoyisaba indique avoir été roué de coups et être retourné dans son isoloir, toujours menotté, après avoir signé sur un procès-verbal de plus de 60 questions.
Vendredi à 19heures, témoigne Zéphyrin, il est conduit à bord d’un véhicule de police PNA106A avec le major Vénuste : « Nous avons été entendus par les magistrats de la Cour d’Appel jusqu’à 21heures et nous sommes retournés au SNR ». Le lendemain, raconte-t-il, le même véhicule revient et cinq personnes montent à bord : « C’était Venuste, André, Baden, Gérard et moi-même. Nous sommes allés à la Cour d’Appel où nous avons été entendus un à un ». Après l’audience, elles retournent au SNR.
Jeudi de la semaine suivante, se rappelle Zéphyrin Nzoyisaba, il est conduit encore une fois à la Cour d’Appel où il rencontre un détenu, en uniforme vert. « Immédiatement, je me suis rappelé que Josué m’avait parlé de Kimeneke. C’est après avoir accepté que je le connais que j’ai été conduit à Mpimba. » Et dans le pénitencier, il ne peut communiquer avec les autres et s’inquiète pour sa sécurité.
Quid de la véracité de la lettre ?
<doc1871|left>Pierre Claver Mbonimpa, président de l’APRODH, n’est pas étonné par la lettre écrite par Zéphyrin Nzoyisaba. Selon lui, le contenu ressemble aux informations que détenait déjà son association. En outre, explique M. Mbonimpa, Zéphyrin Nzoyisaba connaissait ces personnes citées: « La veille de l’incident, il était avec certains éléments des services secrets burundais et de la police. » Concernant ses déclarations, M.Mbonimpa affirme avoir vérifié et constaté que c’est l’écriture de Zéphyrin Nzoyisaba: « Nous estimons que son témoignage est crédible. »
Par ailleurs, précise le président de l’APRODH, les personnes citées par Zéphyrin Nzoyisaba existent : « Je connais par exemple Josué et comme indiqué dans la lettre par Zéphyrin Nzoyisaba, c’est un agent du SNR. Même ce fameux Dieudonné Nduwayezu est de la commune Busiga. » D’après ses enquêtes, Pierre Claver Mbonimpa affirme qu’effectivement Zéphyrin a été entendu par les magistrats comme décrit dans sa lettre.
Concernant les deux étudiants tués au moment de la fouille perquisition, Pierre Claver Mbonimpa pense que celui qui dirigeait cette opération a failli à sa mission : « Il devrait être traduit en justice. » Et le militant des droits de l’homme de demander aux familles des deux étudiants de porter plainte : « en cas de besoin l’APRODH va leur apporter une assistance judiciaire parce que la police a été défaillante au campus Mutanga.»
Iwacu a contacté Pierre Channel Ntarabaganyi, porte-parole de la police, mais sans succès.
La chambre de Zéphyrin toujours fermée
Depuis l’incident du 16 octobre au campus Mutanga, la chambre 372 du « Tropicana I » reste toujours fermée. « Cette décision a été prise suite à la saisie des armes dans cette chambre », lance un agent de la régie des œuvres universitaires. Gérard Niyongabo, co-locataire de Zéphyrin Nzoyisaba, est emprisonné. Néanmoins, des étudiants rencontrés au campus Mutanga ignorent son lieu d’incarcération.
Sur la fiche d’enregistrement de chaque étudiant, la chambre appartient à un certain Déo Nkurunziza, de la faculté des lettres et sciences humaines, département de langue et littérature françaises. Cependant, certains responsables de ce Tropicana trouvent cela normal et parlent d’arrangements faits courants entre les étudiants.
Réactions des politiques et de la société civile
<doc1875|right>{« Une honte pour le gouvernement »}
Léonce Ngendakumana, président du parti Sahwanya Frodebu et de l’ADC Ikibiri, ne mâche pas ses mots : « C’était visible qu’il s’agissait d’un montage. Je n’ai pas, un seul instant, cru à cette histoire des services du gouvernement de saisir des armes dans la chambre de cet étudiant. Plutôt à une récupération de leurs armes. ». M.Ngendakumana se demande pourquoi le gouvernement doit toujours recourir aux montages. Il cite, entre autres, l’histoire de coup d’Etat monté contre l’ancien président Ndayizeye et son vice-président, l’assassinat des citoyens paisibles à Gatumba, etc.
Néanmoins, le président de l’ADC-Ikibiri estime que la vérité commence à éclater au grand jour. Sous d’autres cieux, lâche-t-il, le gouvernement Nkurunziza aurait déjà démissionné. Sa crainte, c’est que ce gouvernement ne soit pas capable de le faire : « Un gouvernement qui ne peut jamais prendre des sanctions à l’endroit des dignitaires accusés de meurtres, de malversations, de corruption, etc. Un parlement qui n’ose pas faire respecter la constitution, contrôler l’action gouvernementale, etc. » Léonce Ngendakumana appelle la population à s’organiser pour faire comprendre au gouvernement que s’il continue de travailler dans cette logique, il finira par être contraint à la démission.
<doc1873|left>{« L’affaire Zéphyrin est un montage mal cousu »}
Selon François Bizimana, porte-parole du parti CNDD, la lettre de Zéphyrin met en évidence la volonté du pouvoir d’en découdre avec l’opposition. Une façon, d’après M. Bizimana, d’instrumentaliser la police et la magistrature. Le député de la Communauté Est-Africaine doute de la crédibilité du gouvernement et des services publics : « Ils ne semblent plus être au service du peuple burundai, mais d’une faction de ce peuple qu’est le pouvoir. » Autrement dit, constate-t-il, le pouvoir n’appartient plus au peuple.
A défaut de demander la démission de tout le gouvernement, le député Bizimana estime que, tout au moins, certains de ses membres et pas des moindres, devraient en être exclus : « Pour l’intérêt de ce même gouvernement, du parti au pouvoir et de tout le peuple burundais. » Il constate que quand le mensonge devient un mode de gouvernement, le Président de la République devrait se sentir interpelé pour assainir son gouvernement. Et ce, dans le sens des promesses de campagne et de ses messages à la nation (genre : tolérance zéro, ndlr).
<doc1869|right>{« Le gouvernement doit prendre sa responsabilité »}
Le président de l’Uprona, Bonaventure Niyoyankana, indique que si les aveux de Zéphyrin se révélaient vrais, cela serait regrettable pour les institutions étatiques : « Il n’y a pas longtemps, le Service National de Renseignement produisait un rapport sur le massacre de Gatumba où il incriminait des gens alors que cela n’est pas dans ses attributions. » Le député Niyoyankana trouve qu’il est grand temps que l’Université du Burundi et les familles des victimes intentent une action en justice : « Le gouvernement doit engager des enquêtes. » Il se dit déçu : « Dans le temps, le SNR était un service secret. C’est désolant qu’il soit impliqué aujourd’hui dans des bavures. De plus, l’Etat est là pour prévenir et protéger ses citoyens contre tout danger et non pour les tuer.»
Quant à la démission du gouvernement actuel, Bonaventure Niyoyankana se veut plus réservé : « La globalisation, ce n’est pas mon assiette politique. Le gouvernement doit sortir de son silence et établir des responsabilités individuelles. »
<doc1870|left>{« Zéphyrin doit être protégé et puni conformément à la loi »}
Pacifique Nininahazwe délégué général du FRSC regrette que l’étudiant Zéphyrin soit torturé. Il fait savoir que le ministère public doit mener rapidement une enquête pour punir ceux qui l’ont torturé. Toutefois, que M. Nzoyisaba soit aussi puni pour avoir participé à un montage en connaissance de cause. Pour Pacifique Nininahazwe, s’il s’avère que la police et le SNR ont planifié et exécuté des dans les cas du campus Mutanga et de Gatumba, le gouvernement devra démissionner car il aura failli à sa mission.