Malgré la politique de « zéro grossesse à l’école », lancée par le gouvernement depuis 7 ans, les chiffres restent élevés. La province Gitega vient d’enregistrer plus de 160 cas de grossesses en milieu scolaire durant cette dernière année scolaire.
Il y a quelques jours, le gouverneur de la province Gitega a annoncé que plus de 160 jeunes filles ont abandonné l’école suite aux grossesses non désirées, pendant cette année scolaire dernière (2019-2020).
En mairie de Bujumbura, plus de 200 jeunes élèves sont tombées enceintes, de 2018 à 2020, selon la Direction provinciale de l’enseignement(DPE).
Au niveau national, le Burundi a enregistré 1.323 cas de grossesses à l’école durant l’année scolaire 2018-2019, selon le rapport du ministère de l’Education. La province de Kayanza vient en tête avec 118 cas, puis Gitega avec 107 cas de grossesses précoces.
Or, depuis 2013, le gouvernement a mis en place des politiques pour réduire les grossesses non désirées. L’intégration progressive de l’éducation sexuelle dans les curricula scolaires, les services de santé sexuelle et reproductive conviviaux aux jeunes, l’encadrement des jeunes dans les établissements par des pairs éducateurs… sont les mesures qui ont été déployées pour contrer ce phénomène qui hypothèque l’avenir de milliers de jeunes filles.
De 2009 à 2016, plus de 14 mille filles burundaises ont abandonné l’école suite à la maternité précoce, selon le rapport du fonds des Nations unies pour la population (FNUAP). Et 70% des abandons scolaires sont dus aux grossesses non désirées.
Remettre en question la manière de sensibiliser
Ces services conviviaux sur la santé sexuelle offerts aux jeunes leur sont vraiment utiles ? Comment ils sont offerts ? C’est la grande question que se pose Dr Audrine Kaneza, directrice des programmes à l’Abubef (Association burundaise pour le bien-être familial).
D’après elle, il faut remettre en question l’approche dans laquelle cette éducation sexuelle se dispense, que ce soit dans les centres amis des jeunes ou à l’école. Souvent, observe Dr Kaneza, dans les centres qui offrent ces services, certains prestataires jouent, inconsciemment peut-être, le rôle de parents devant un jeune qui vient demander un service. Ils se montrent parfois sévères, avec des reproches au lieu d’écouter et accompagner ce jeune. « Il ne faut pas oublier que l’adolescence est un âge difficile à gérer. Il faut y aller doucement, sans menaces. »
Cette directrice des programmes indique que l’Abubef offre des méthodes contraceptives à tout jeune, marié ou pas, mais qui a déjà un enfant. Mais ces méthodes doivent être accompagnées par des informations, positives ou négatives sur la contraception. « Les jeunes filles prennent ces méthodes tout en sachant quels risques elles encourent pour leur santé. »
Une incitation à la débauche ?
Autour de 500 jeunes filles âgées de 15 à 24 ans, utilisent les méthodes contraceptives à l’Abubef, depuis le mois de juin 2020.
Pour Dr Kaneza, il ne faut pas se voiler la face, les jeunes sont sexuellement actifs. Il ne faut pas qu’il y ait ce déni. « Si nous arrêtons de leur donner ces services, l’on ne va rien sauver. Ce sera pire par contre. Les grossesses augmenteront davantage, car ces jeunes seront toujours sexuellement actifs. »
Elle affirme toutefois que les méthodes contraceptives artificielles ne sont pas sans risques pour un jeune. Les organes génitaux ne sont pas assez matures. Les hormones sont perturbées avant même de concevoir et le système reproductif peut être compromis.
Encore du pain sur la planche…
Bienvenue Munyerere, représentant légal de l’association SAD (Action social pour le développement) qui intervient dans le domaine des grossesses en milieu scolaire, affirme que les grossesses précoces constituent une problématique sérieuse au Burundi. Pour lui, c’est un « phénomène » qui ne va pas finir bientôt.
Il explique que la cause majeure est la pauvreté dans les ménages. De nombreuses familles burundaises sont pauvres. Et les jeunes filles surtout sont séduites facilement par des objets matériels qu’elles ne peuvent pas avoir chez eux.
Récemment, témoigne M. Munyerere, nous avons relevé plusieurs cas de jeunes filles qui témoignent qu’elles s’adonnent à la délinquance parce qu’elles veulent avoir des serviettes hygiéniques, de bons habits… « Avoir une vie aisée et normale comme les autres, quoi. » Il estime que n’eût été cette pauvreté, les grossesses précoces diminueraient à près de 60%.
L’absence des parents dans l’éducation des enfants est un autre défi important, selon M. Munyerere. « Pas de communication entre les parents et les enfants. La sexualité reste un tabou dans les familles burundaises. Les adolescents découvrent la sexualité sur les réseaux sociaux au lieu de l’apprendre par leurs parents ».
L’autre facteur important est l’impunité des abus sexuels. Les auteurs de ces grossesses ne sont pas suffisamment punis, selon Bienvenue Munyerere. Le règlement à l’amiable provoque un laisser-aller chez les auteurs.
Il indique également que peu d’organisations ou d’acteurs s’impliquent dans les grossesses en milieu scolaire. Beaucoup travaillent sur les violences basées sur le genre (VBG) en général, alors que les grossesses précoces devraient être un volet à part entière.
Deux solutions essentielles pour cet acteur impliqué dans le développement communautaire : mettre en place un observatoire national pour le suivi des grossesses précoces en milieu scolaire. Instaurer des mesures sévères pour punir les auteurs des grossesses en milieu scolaire.