Encore un jeu absurde de mots avec lesquels la classe politique burundaise joue avec légèreté et qui risque de noyer le Burundi dans un bain de sang. Bandes armées ou rébellions ? Bandes armées et rébellions ? Bandes armées sans rébellions ? Rébellions sans bandes armées ? Ni bandes armées ni rébellions ? Question à la classe politique burundaise. Pour les victimes, pour leurs familles, pour le pays, est-il préférable d’être massacrés, blessés et pillés par des bandes armées ou par des rébellions ?
<doc1382|right>En réalité, les bandes armées constituent une rébellion contre la société et contre l’Etat démocratique car elles constituent une négation de l’autorité de l’Etat et du droit de la population burundaise à la paix et à la sécurité. Il est très imprudent de la part de la classe politique burundaise d’avoir laissé s’installer depuis plusieurs mois, pendant les élections et après les élections, un climat de violence physique et verbale.
Car au fond, qu’importe qu’Ernest Manirumva, que les suppliciés de Muyinga noyés dans la Ruvubu, que les corps flottant sur la Rusizi, que les personnes éliminées régulièrement dans Bujumbura Rural ou ailleurs dans le pays, qu’importe vraiment que les victimes du massacre abominable de Gatumba, qu’importe que tous ces assassinats aient été perpétrés par des bandes armées ou par des rébellions dont les forfaits demeurent d’ailleurs impunis ? De toute façon, ces crimes laissent des familles éplorées et un pays ivre de douleur!
Le Burundi et la région des Grands Lacs connaissent une sécurité très volatile. Beaucoup de personnes sont profondément traumatisées par les dégâts physiques et psychologiques produits par la guerre civile et les assassinats récurrents. Beaucoup de bandes et de milices incontrôlées opèrent dans la région. Beaucoup d’armes circulent et beaucoup de démobilisés savent les manier. Alors il ne faut pas s’étonner que des têtes brûlées encouragées par des propos irresponsables d’une certaine classe politique passent à l’acte et pensent régler le conflit électoral burundais avec les armes.
Le génocide politique
Aujourd’hui, certains responsables politiques éminents s’alarment et dénoncent, à juste titre, les crimes odieux perpétrés par les bandes armées ou par la rébellion. Les déclarations récentes de M. Léonard Nyangoma, de M. Agathon Rwasa, reprises et amplifiées par le Président de la République venu s’incliner devant les victimes du carnage de Gatumba et partager la douleur de leurs familles, indiquent explicitement qu’un génocide est perpétré actuellement au Burundi. Ces propos sont très graves et, en termes de droit pénal international, ils devraient avoir une implication juridique immédiate. En effet, le Burundi devrait demander d’urgence une commission d’enquête internationale qui l’aiderait à confirmer ou non s’il s’agit effectivement d’un génocide ou de crimes contre l’humanité voir de crimes de guerre.
Cependant, pour être très grave, un crime de masse n’a pas besoin d’être désigné comme un génocide. Il ne faut pas jouer avec le mot génocide ni le galvauder. Du reste, la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par les Nations unies en décembre 1948 ne reconnaît pas la notion de « génocide politique » dans la définition strictement juridique de ce crime des crimes.
Au moment des négociations de cette convention élaborée par un Polonais, Raphaël Lemkin, la Russie, ne souhaitait pas, semble-t-il, que le génocide commis pour des motifs politiques puisse être inclus dans le texte de cette convention. Le pays de Staline avait peur de subir des accusations de génocide politique du fait des crimes commis dans le Goulag. Mais depuis, les massacres de la population urbaine et intellectuelle commis au Cambodge par le régime de Pol Pot sont assimilables à un génocide politique. Ils ont été reconnus comme un véritable génocide et ils sont en cours de jugement par un Tribunal international.
Après une qualification adéquate grâce à l’aide de la communauté internationale et des Nations Unies en particulier et si le crime de génocide politique est retenu pour qualifier les crimes massifs commis actuellement au Burundi, alors devrait se mettre en place, sans tarder, un mécanisme juridique approprié pour engager des poursuites judiciaires contre les présumés coupables de ce génocide politique qui serait en cours au pays.
Cependant, il ne faut guère se faire d’illusions. Même dans les démocraties les plus anciennes et les plus solides, des actes de terrorisme, des violences, des assassinats, des crimes de droit commun relevant de la délinquance ordinaire sont commis tous les jours. De ce fait, les Etats démocratiques ont l’obligation de protéger la population vivant sur leurs territoires, les nationaux et les étrangers. En retour, parce qu’un Etat démocratique a la légitimité conférée par les élections, il a le droit d’exiger le respect de la loi, de juger et de punir sévèrement les criminels, qu’ils se nomment bandits armés ou rébellions.
La source du mal burundais actuel
Les élections constituent donc un contrat entre les citoyens et l’Etat démocratique pour asseoir la légitimité du pouvoir. Or, on voit ce qui arrive, au Burundi notamment, quand cette légitimité est contestée. Plusieurs voix autorisées se sont déjà exprimées pour inviter le pouvoir et l’opposition à se retrouver d’urgence autour d’une table pour dialoguer, négocier, se parler, renouer le contact, rétablir la confiance, rassurer les citoyens, préparer une stratégie de sortie de crise, préparer les conditions de participation aux élections de 2015, associer l’opposition dans les projets de révision de la constitution annoncées le 1er juillet par le chef de l’Etat. Les martyrs de Gatumba imposent une ardente obligation à la classe politique burundaise. Celle-ci doit dépasser les rancœurs et s’engager sans délais à résoudre le conflit post-électoral avec des moyens démocratiques et pacifiques.
Le dernier roman du grand écrivain algérien, Yasmina Khadra, intitulé « L’équation africaine », contient un dialogue entre deux otages, un Français et un Allemand, capturés en Somalie et dont l’errance imposée par les pirates finit au Darfour, au Soudan. « Tout est bizarre en Afrique, estime l’Allemand. On tue, on vole, on rançonne, on dispose de la vie comme du dernier des soucis….Alors, que ça se passe en Somalie ou au Soudan, qu’est-ce que ça change au fond ? »
Après les massacres de Gatumba, le Burundi, doit avoir fait une remontée spectaculaire dans la liste des pays africains les plus dangereux mentionnés dans cet ordre croissant : Somalie, Soudan, RDC, RCA, Libye, Nigeria, Tchad, Zimbabwe, Burundi et Ethiopie. Cette liste établie par le Global Peace Index classe « les pays gangrenés par la violence, en guerre ou cherchant à en sortir et où il est risqué de s’y rendre et souvent dangereux d’y vivre. »
La classe politique burundaise, les citoyens burundais peuvent, doivent, changer cette image désastreuse du Burundi sur le plan international. Ensemble, Yes oui can ! Alors chiche !