Le document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi est-il réellement le texte de la Constitution de la République du Burundi ? Le professeur Paul Ngarambe, président de la Commission Electorale Nationale Indépendante lors du processus électoral 2004-2005, essaie de répondre à la première question à travers une comparaison des deux documents pris pour la Loi Fondamentale du Burundi. Voici sa réflexion: <doc2353|left>Les deux interrogations posées relèvent des préoccupations des citoyens qui échangent à travers les nombreux moyens de communication disponibles aujourd’hui. Le document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi (www.burundi-gov.bi) et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi soulève un certain nombre d’interrogations dont nous allons passer en revue quelques-unes et contribuer au débat. Ici et là l’on entend les citoyens échanger déjà sur le processus électoral de 2015 et sur une probable sollicitation, en 2015, d’un autre mandat par Pierre NKURUNZIZA, actuel Président de la République : troisième mandat selon certains, deuxième mandat selon d’autres ! Qu’en est-il au juste d’après les dispositions de la Constitution de la République du Burundi ? I – Le document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi (www.burundi-gov.bi), donné comme étant la Constitution de la République du Burundi, est-il réellement texte de la Constitution de la République du Burundi ? 2. Je suis la personne qui, en ma qualité alors de Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) en 2004-2005, ai soumis au vote référendaire, le 28 Février 2005, le projet de Constitution de la République du Burundi. Le texte de la Constitution a été approuvé par 90,40% de la population qui a voté : Lire Arrêt RCCB 121 rendu le 18 Mars 2005 par la Cour Constitutionnelle du Burundi en matière de vérification de la régularité du Référendum Constitutionnel. La Loi N° 1/010 du 18 Mars 2005 Portant Promulgation de la Constitution de la République du Burundi a été prise par le Président de la République ; le texte de la Constitution a été annexé à cette Loi. J’étais présent lorsque le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux a scellé du Sceau de la République la Loi Portant Promulgation de la Constitution de la République du Burundi et que, séance tenante, le Président de la République et le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux ont paraphé chaque feuillet du texte de la Constitution. C’était le 18 Mars 2005. Comme je devais, sur base du texte de la Constitution, rendre public le calendrier électoral pour 2005, j’ai été le premier à avoir entre les mains une copie du texte de la Constitution de la République du Burundi. Saisi de l’interrogation de savoir si le document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi ([www.burundi-gov.bi->http://www.burundi-gov.bi/Constitution-de-la-Republique-du]) et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi est réellement la Constitution de la République du Burundi, j’ai donc examiné les deux textes parallèlement. 3. Le texte de la Constitution de la République du Burundi est authentifié par la Loi portant sa promulgation (page 1) ; et cette Loi porte la signature du Président de la République qui l’a promulguée (pour le cas ici : Domitien NDAYIZEYE) avec la mention : Vu et scellé du Sceau de la République par le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux (pour le cas ici : Didace KIGANAHE). Chaque page du texte de la Constitution porte le paraphe du Président de la République qui a promulgué la Loi et le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux (de la page 2 à la page 77). 4. Mon premier constat est que le document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi ([www.burundi-gov.bi->http://www.burundi-gov.bi/Constitution-de-la-Republique-du]) et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi mentionne la référence à la Loi N° 1/010 du 18 Mars 2005 Portant Promulgation de la Constitution de la République du Burundi, mais ne reproduit pas cette Loi ! Alors que le contenu est le même, la forme du préambule du document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi ne correspond pas à la forme du Préambule de la Constitution de la République du Burundi. 5. Mon deuxième constat concerne la fin du préambule. La fin du préambule du document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi est ainsi libellée : « ADOPTONS SOLENNELLEMENT LA PRESENTE CONSTITUTION QUI EST LA LOI FONDAMENTALE {DE L’ETAT} » alors que la fin du préambule de la Constitution de la République du Burundi est ainsi libellée : « ADOPTONS SOLENNELLEMENT LA PRESENTE CONSTITUTION QUI EST LA LOI FONDAMENTALE {DE LA REPUBLIQUE DU BURUNDI} ». Les dissemblances sont en italique . 6. Mon troisième constat concerne l’Article 37 relatif au droit de fonder des syndicats et de s’y affilier. A ce propos le texte de la Constitution de la République du Burundi est ainsi libellé : {Article 37 Le droit de fonder des syndicats et de s’y affilier, ainsi que le droit de grève, sont reconnus. La loi peut réglementer l’exercice de ces droits et interdire à certaines catégories de personnes de se mettre en grève. Dans tous les cas, ces droits sont interdits aux membres des corps de défense et de sécurité.} L’alinéa 2 de l’article 37 du document publié à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi comporte un ajout (… ainsi qu’aux magistrats) et est présenté ainsi : « Dans tous les cas, ces droits sont interdits aux membres des corps de défense et de sécurité ainsi qu’aux magistrats » (la portion de phrase en gras est un ajout par rapport au texte de la Constitution). 7. Est-ce que le Président élu pour la première période post-transition pouvait dissoudre le Parlement ? L’Article 302 de la Constitution de la République du Burundi comporte trois alinéas ainsi libellés : {Article 302 A titre exceptionnel, le premier Président de la République de la période post-transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat élus réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers des membres. Si cette majorité n’est pas obtenue aux deux premiers tours, il est procédé immédiatement à d’autres tours jusqu’à ce qu’un candidat obtienne le suffrage égal aux deux tiers des membres du Parlement. En cas de vacance du premier Président de la République de la période post-transition, son successeur est élu selon les mêmes modalités prévues à l’alinéa précédent. Le Président élu pour la première période post-transition ne peut pas dissoudre le Parlement.} Le document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi omet le troisième alinéa : « {Le Président élu pour la première période post-transition ne peut pas dissoudre le Parlement} » ; ce qui laisserait entendre que le Président élu pour la première période post-transition pouvait dissoudre le Parlement ! 8. Qui a le pouvoir de déterminer les modalités de cooptation des députés ? L’Article 303 de la Constitution de la République du Burundi comporte deux alinéas ainsi libellés : {Article 303 À titre exceptionnel également et aux seules fins des premières élections des députés, et uniquement si un parti a remporté plus des trois cinquièmes des sièges au suffrage direct, un total de dix-huit à vingt-un membres supplémentaires sont cooptés en nombres égaux à partir des listes de tous les partis ayant enregistré au moins le seuil fixé pour les suffrages, ou à raison de deux personnes par parti au cas où plus de sept partis réuniraient les conditions requises. Les modalités de cooptation seront déterminées par la loi électorale.} <doc2320|right>Le document publié à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi omet l’alinéa 2 qui stipule que les modalités de cooptation des députés seront déterminées par la loi électorale ; ce qui garde dans l’incertitude l’autorité, l’instance ou l’institution qui a le pouvoir de déterminer les modalités de cooptation des députés. 9. Y a-t-il des dispositions de la Constitution inconnues jusqu’ici ? Les dispositions transitoires de la Constitution de la République du Burundi comportent un seul article, l’Article 304, qui est ainsi libellé : {Article 304 En attendant la mise en place des institutions issues des élections conformément à la présente Constitution, les institutions de transition et l’administration territoriale restent en fonction jusqu’à la date déterminée conformément au calendrier établi par la Commission Electorale Nationale Indépendante.} Le document publié à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi comporte trois articles, les articles 304 à 306 ! 10. Succession des Articles de la Constitution du Burundi et références. Les dispositions finales du document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi présentent une numérotation (articles 307 à 309) et font une référence (article 308) qui n’était pas d’actualité au moment de la promulgation de la Constitution. Les dispositions finales de la Constitution de la République du Burundi se trouvent aux Articles 305 à 307 et sont ainsi libellées : {Article 305 Dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la Constitution, les dispositions législatives et réglementaires antérieures à son entrée en vigueur restent d’application jusqu’à leur modification ou à leur abrogation. Article 306 La Constitution Intérimaire Post-transition de la République du Burundi promulguée le 20 octobre 2004 est abrogée. Article 307 La présente Constitution de la République du Burundi entre en vigueur le jour de sa promulgation.} 11. Je constate que le document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi compte 309 articles tandis que le texte de la Constitution de la République du Burundi compte 307 Articles. Il y a une discordance entre le texte de la Constitution de la République du Burundi et le document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi. 12. Quelle est l’Autorité qui authentifie le texte de la Constitution de la République du Burundi ? Comme cela a été signalé plus haut, le texte de la Constitution est authentifié par la Loi Portant sa Promulgation par le Président de la République et scellée du Sceau de la République par le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux. En outre chaque feuillet du texte de la Constitution est paraphé par le Président de la République et le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux. Pour ce qui est du document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi, après l’article 309, il est fait mention du Président de l’Assemblée Nationale, du Ier Vice-Président de l’Assemblée Nationale et du IIème Vice-Président de l’Assemblée Nationale ! S’agissant du texte de la Constitution, l’on ne voit pas la pertinence d’une telle mention. {13. En conclusion, le document posté à l’entrée du Portail des Institutions de la République du Burundi et donné comme étant la Constitution de la République du Burundi n’est pas la Constitution de la République du Burundi.} Bujumbura, le 28 Novembre 2011 Professeur Paul NGARAMBE Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante Processus Electoral 2004-2005