De plus en plus, des campagnes de mobilisation sont lancées sur les réseaux sociaux pour aider des personnes à se faire soigner à l’étranger. Les hôpitaux publics, très endettés, seraient dans une situation terrible. Les hôpitaux publics et privés se méfient de la CAM, la carte d’assurance maladie qui théoriquement prend en charge au moins 70% des soins car l’Etat paie très mal. Des malades guéris restent pris en otage dans les hôpitaux faute de payer les soins. Iwacu s’est rendu dans quelques hôpitaux à l’intérieur du pays.
Il est 9 h à l’hôpital régional de Gitega. Dans une grande salle commune où sont hospitalisés des patients opérés, Calinie, la quarantaine, est allongée sur un lit. Elle a du mal à bouger. Sa jambe gauche a subi une fracture au niveau de la cheville. Un pansement recouvre sa cheville.
Calinie est hospitalisée depuis mars 2020. Elle vient de passer 9 mois sur un lit d’hôpital ! Depuis le 17 mars 2020, elle est désespérée. Depuis un mois et demi, elle est guérie n’a pas l’autorisation de rentrer chez elle : elle n’a pas payé la totalité des frais médicaux. Pourtant, elle s’est fait soigner avec la Carte d’assistance médicale (CAM) qui est censée assurer 70 à 80 % des soins.
Pour être admise à l’hôpital régional de Gitega, raconte-t-elle, les responsables de cette structure de santé étatique l’ont obligée de payer une caution de 200 000 BIF. La patiente a dû vendre une partie de sa propriété. Aujourd’hui, elle n’a pas de moyens financiers pour payer le reste de ses frais médicaux qui s’élèvent à 837 .000 BIF. Elle demande à toute personne charitable de faire un geste de soutien pour qu’elle puisse rentrer chez elle.
Transférée par le centre de santé Murambi de la commune Nyarusange en province Gitega, elle a subi une opération chirurgicale à quatre reprises.
Anne marie Nishimwe, une autre malade à l’hôpital régional de Gitega, a subi une opération chirurgicale. Elle minimise l’efficacité de la CAM sur la réduction des frais de soins de santé. Arrivée à cet hôpital depuis le 25 octobre dernier, Mme Nishimwe témoigne qu’elle a reçu les médicaments de l’hôpital une seule fois.
Ensuite, les médecins lui ont prescrit des ordonnances médicales pour acheter des médicaments à l’extérieur de l’hôpital. Actuellement, le coût des soins de santé et des médicaments frôle 400 000 BIF.
Une somme énorme pour une simple cultivatrice. Pour être admise à cette structure des soins de santé, elle a payé une caution de 53 000 BIF. Elle aussi elle est réduite à demander aux bienfaiteurs de l’assister.
Une longue procédure
Abdoul Karim Nibizi, originaire de la province Kirundo au nord du pays, déplore que la carte d’assistance médicale ne prenne pas en charge la totalité des soins et des médicaments. « Certains examens et maladies comme la radiographie et l’échographie ne sont pas couverts par l’usage de la CAM.
M. Nibizi remet aussi en cause, la procédure longue d’utilisation de la CAM dans les hôpitaux publics. “Elle est généralement acceptée dans les centres de santé et dispensaires étatiques. Les patients sont accueillis dans les hôpitaux publics lorsqu’ils sont transférés par les centres de santé.”
Originaire de la commune Bwambarangwe, il a reçu les premiers soins médicaux au centre de santé situé au chef-lieu de sa circonscription natale. Suite aux complications, indique-t-il, le titulaire de cet établissement sanitaire l’a transféré à l’hôpital de Kirundo.
Ce dernier l’a envoyé à l’hôpital de Ngozi. Il a été finalement admis à l’hôpital régional de Gitega. Victime d’une tumeur, il a subi une opération chirurgicale.
Avant d’être admis à cet établissement sanitaire régional, il a payé une caution de 200 000 BIF. Pour le moment, le patient est guéri. Mais faute de payer, il n’a pas l’autorisation de quitter l’hôpital régional de Gitega. Sa facture s’élève à 450 000 BIF.
Akimana Jacqueline, une maman croisée à la clinique Saint Joseph de Giheta, en province Gitega estime que l’intervention de la CAM pour réduire la facture des soins et des médicaments est insuffisante. Elle devrait couvrir la totalité de la facture d’autant plus que la carte d’assistance médicale est utilisée par une population défavorisée.
Son fils vient de passer trois jours à l’hôpital Saint Joseph de Giheta. Il souffre de la fièvre typhoïde. La facture des soins et des médicaments s’élèvent à 121 000 BIF.
Comme cette mère de cinq enfants utilise la carte d’assistance médiale, le responsable de la facturation lui a signifiée qu’elle va payer 58 000 BIF. Pour quitter l’hôpital, elle envisage vendre sa chèvre.
Incohérence
Sylvain Habanabakize, chargé du plaidoyer et comminication au sein du cadre d’expression des malades, Cemabu, déplore la non-acceptation de la carte d’assistance médicale par certains hôpitaux publics notamment en mairie de Bujumbura.
Il donne l’exemple de l’hôpital roi Khaled et l’hôpital militaire. “La carte d’assistance médicale ne devrait pas être rejetée par les structures des soins de santé publique alors que c’est un projet du gouvernement.”
Les services de la comptabilité de ces hôpitaux ne respectent pas la loi qui stipule que les soins de santé et des médicaments sont pris en charge par le gouvernement à 80 %.
M. Habanabakize indique que les pharmacies des hôpitaux publics de Bujumbura ne servent pas facilement les médicaments et les autres consommables médicaux prescrits par les médecins aux porteurs de la CAM.
Ils disent aux patients que les médicaments prescrits par les médecins ne sont pas disponibles dans les pharmaciens des hôpitaux publics et leur recommandent de s’approvisionner dans les pharmacies privées.
Le président du cadre d’expression des malades au Burundi indique que la carte d’assistance médicale produise des avantages dans les hôpitaux du district sanitaire au moment où le malade est transféré par un centre de santé de base reconnu par le gouvernement.
Sans le transfert, la carte n’est pas acceptée par les hôpitaux publics. Parfois, les agents de la comptabilité de certains hôpitaux publics établissent des factures exorbitantes pour les malades hospitalisés qui utilisent de la carte d’assistance médicale.
M. Habanabakize rappelle que l’assureur (le gouvernement du Burundi) via le ministère de la Santé publique supporte tous les soins médicaux des usagers de la CAM à hauteur de 80 %.
Des millions d’arriérés
L’Etat doit plus de 270 millions de BIF à trois structures sanitaires de Gitega, pour les prestations assurées par la Carte d’assistance médicale. Une situation qui handicape les prestations de ces centres.
Plus de 183 millions de BIF telle est la somme astronomique de la créance de l’Etat pour les Cartes d’assistance médicale (CAM) envers l’hôpital régional de Gitega. Chaque mois, cet hôpital facture à l’Etat 6 à 10 millions de BIF pour les CAM.
Pour les prestations assurées par la mutuelle de la fonction publique, l’Etat doit plus de 277 millions de BIF à cet hôpital. Et plus de 90 millions de BIF pour la carte d’indigence délivrée par le ministère des Droits de l’Homme, des affaires sociales et du genre. En tout, plus de 540 millions de BIF d’arriérés jusqu’en octobre 2020, d’après la chef comptable de cet hôpital, Angélique Nkurunziza.
L’hôpital régional de Gitega accepte la Carte d’assistance médicale (CAM). Elle a une validité d’une année. La carte couvre 70 à 80 % des soins, le patient paie le reste (20 à 30 %).
Mais la carte n’assure pas les prestations spécialisées comme les examens de laboratoire, la radiographie, l’échographie, etc., selon Stéphanie Ndayisenga, chef de service des admissions à cet hôpital. La CAM n’assure pas certains médicaments qui ne sont pas aussi couverts par la mutuelle.
En cas d’hospitalisation, la CAM assure les soins mais il y a des suppléments que le patient doit payer, “car c’est un hôpital régional qui offre certains services qu’on ne peut pas retrouver aux CDS, les centres de santé”, selon Mme Ndayisenga.
Le directeur administratif et financier de cet hôpital, Helmenegilde Misigaro, précise qu’un patient qui a la CAM ne peut pas se faire soigner directement à l’hôpital régional de Gitega.
Il doit d’abord se faire consulter au centre de santé de sa localité. Si son cas est compliqué, il est référé à l’hôpital de district puis à cet hôpital régional.
Les structures sanitaires dans le gouffre
Ce retard de paiement handicape les prestations de cet hôpital. Ce dernier doit à son tour s’endetter pour la réquisition des médicaments, d’après la chef comptable. Cela se répercute également sur la motivation des employés.
Helmenegilde Misigaro affirme que l’hôpital se passe de certains projets d’investissement à cause de cette dette. Il parle notamment de la rénovation des bâtiments usés et les équipements de soins. “Si ça continue, nous serons incapables de nous approvisionner en médicaments ou de payer les prestataires. Mais Dieu merci, l’hôpital n’est pas encore à ce stade.”
Même situation au centre de santé (CDS) de Giheta. La titulaire de ce CDS, Scholastique Ntiranyibagira, confie que l’Etat doit à ce CDS plus de 56 millions de BIF jusqu’au mois de novembre 2020, pour les prestations assurées par la CAM. “Passer 3 voire 6 mois sans payer les factures, c’est enfoncer le CDS dans un gouffre.”
D’autant plus que cette carte est aujourd’hui beaucoup plus utilisée, selon cette titulaire. A ce CDS Giheta, plus de 80 % de patients utilisent la CAM.
Ce plus grand CDS de la commune Giheta distribue les CAM à toute personne vulnérable de la localité. Elle coûte 3 000 BIF pour une validité d’un an. Elle assure 6 à 7 membres d’un ménage, selon Mme Ntiranyibagira.
Un patient qui présente la CAM doit payer une somme forfaitaire de 500 BIF (pour l’adulte), 800 BIF (pour l’enfant) et 700 BIF (pour les patients des maladies chroniques).
En principe, il bénéficie de tous les soins nécessaires au CDS. Même les médicaments sauf ceux qui ne sont pas disponibles au CDS, selon la titulaire.
Une dette de l’Etat, des prestataires non payés !
La clinique confessionnelle Saint Joseph de Giheta, en partenariat avec l’Etat, accepte aussi la CAM. Cette carte assure les médicaments et l’hospitalisation à 70 %.
Les 30 % restants sont payés par le patient. Elle ne couvre pas les examens et les frais de consultation. Le patient paie 100 %, d’après le caissier de cette clinique.
Le directeur de cette clinique, Dr Vital Hatungimana, affirme que l’Etat doit plus de 35 millions de BIF à cette clinique. 800 patients ont utilisé cette carte de janvier à août 2020 dans cette clinique, selon le responsable des données.
Ce dernier affirme qu’à cause de ce retard de paiement, les employés de la clinique peuvent passer trois mois sans recevoir leurs salaires. Et parfois, les médicaments sont difficilement disponibles.
“L’essentiel c’est le paiement, pas le retard”
Le médecin provincial de la santé en province Gitega, Dr Salvator Toyi, indique que la CAM est utilisée dans les structures sanitaires publiques seulement et les cliniques agréées (qui ont un partenariat avec l’Etat), à Gitega.
Elle est réservée à la population pauvre. Il évoque quelques tricheries des commerçants, fonctionnaires ou employés des ONG qui utilisent la CAM. “Quand nous les attrapons, nous leur retirons la carte.”
D’après lui, le Bureau provincial de la santé (BPS) récupère les CAM à la direction générale des ressources, au ministère de la Santé. “Il est vrai que le ministère nous donne peu de cartes.” Le BPS remet les CAM aux différents districts sanitaires de la province.
Ces districts distribuent à leur retour les CAM aux centres de santé, suivant les demandes. L’argent encaissé (3 000 BIF par carte) est déposé sur le compte de chaque district sanitaire. Un compte géré par le BPS, d’après ce médecin provincial.
Le BPS de Gitega a délivré 41 mille CAM depuis le début de cette année 2020, selon la gestionnaire du Bureau provincial de la santé. Ce dernier a donc encaissé 123 millions de BIF cette année.
Ce médecin provincial assure que les CAM sont toujours disponibles. “Moi-même j’ai 5.000 CAM ici.”
Concernant le retard du paiement, Dr Toyi affirme qu’il entend des plaintes des hôpitaux. “Mais j’ignore combien l’Etat leur doit. Ce que je sais, l’argent de l’Etat arrive toujours en retard, mais il finit par arriver.”
Pour Dr Salvator Toyi, l’essentiel est que L’Etat paie petit à petit les subventions. “De surcroît, nous récupérons gratuitement ces CAM alors que l’Etat utilise des moyens pour confectionner ces cartes.”
Il affirme que les hôpitaux sont en quelque sorte responsables de ce retard. Ils prennent du temps, plusieurs mois, pour faire les déclarations de créance, préparer les pièces, etc. “Donc le paiement mensuel n’est pas possible”, soutient Dr Toyi.
Contactées, les autorités du ministère de la Santé publique et de la lutte contre le sida ont promis de s’exprimer la semaine prochaine.
Clarisse Shaka & Pacifique Gahama