Des autorités à la base privilégient le règlement à l’amiable en cas de violences faites aux femmes. L’Association des Femmes Juristes propose l’amendement de l’avant-projet de loi sur la prévention, la protection, la répression et la réparation de la violence basée sur le genre.
Léa Musanabandi, 27 ans et mère de 4 enfants, habite la colline Rutoke, commune Rugari, province Muyinga. Elle se dirige vers la zone Rugari pour se plaindre ; car son mari la frappe tous les jours : « J’en ai marre, depuis la naissance de mon deuxième enfant, je reçois des coups tous les soirs. » Elle affirme que son mari, Félicien Nshimirimana, n’a plus besoin d’elle parce qu’il entretiendrait clandestinement des concubines.
Leur problème vient de s’amplifier. Léa Musanabandi et Félicien Nshimirimana ont un bar. Le 20 septembre 2011, vers 19h30min, raconte Léa, un homme est venu avec le vélo de mon mari. Elle appelle alors son mari au téléphone pour lui dire qu’elle est incapable de transporter le vélo, le bébé sur le dos. Son mari lui demande de l’attendre en prenant un verre dans un bar d’à côté. A 20 heures, furieux, le mari la gifle sous prétexte de l’avoir trouvée au bar à cette heure tardive ! Tous ceux qui étanchaient leur soif décrient ce comportement. « Mon mari a rétorqué qu’il battait sa femme et non les leurs », se lamente-t-elle les larmes aux yeux. Cette femme loge chez ses parents à 6 km de sa maison: « Mon mari enragé, il peut même m’égorger ». La victime demande une chose :
« Que justice me soit rendue. »
Félicien Nshimirimana, son mari, ni toutes ces allégations et accuse plutôt sa femme d’entretenir des liaisons extraconjugales. « Je suis blessé ; même si je la frappe, je sens des remords », témoigne-t-il. Puis il ajouter qu’il ne peut plus vivre avec une femme qui ne l’aime plus.
Pour sa part, Audacie Butoyi, 27 ans, originaire de la colline Rutoke, commune Rugari, mais il habite à Busoni, en commune Kirundo. Elle affirme que son mari la bat souvent à cause de l’ivresse : « Il rentre vers minuit et me demande de lui servir de la nourriture alors qu’il ne me donne pas la ration le matin ». Face à cette violence, elle a opté pour le silence pour ne pas réveiller les démons, car s’il la frappe, elle n’a aucun recours. « Si je saisis les autorités à la base et même la police, elles ne résolvent jamais ma question. L’une m’envoie chez l’autre et vice-versa», déplore-t-elle, résignée.
« Des conseils plutôt que des sanctions »
D’après Désiré Myandagaro, 55 ans, conseiller collinaire de Rutoke, si les femmes battues s’adressent aux administratifs à la base, c’est le règlement à l’amiable qui est privilégié : « Nous ne sommes pas compétents pour appliquer des sanctions. » Dans leurs conseils, les autorités à la base expliquent aux hommes qu’une femme n’est pas un esclave, mais qu’elle est digne de respect. Celui qui frappe son épouse jusqu’aux blessures passe devant les instances policières ou judiciaires, précise ce conseiller : « En cas de polygamie, nous renvoyons la femme illégale et infligeons une amende de 10 mille Fbu à l’homme. » Selon Désiré Myandagaro, ce phénomène est fréquent pendant la saison sèche, lors de la récolte du riz et du haricot.
Un avant-projet de loi dans les tiroirs
Selon la représentante légale de l’Association des Femmes Juristes (AFJ), le code pénal burundais ne prévoit pas de réparations à l’endroit des victimes des violences. L’AFJ et les autres associations de défense des droits humains ont donc élaboré un avant-projet de loi qui prévoit la prévention, la protection, la répression et la réparation de la violence basée sur le genre. Chantal Mukandori préconise la protection des témoins et le bannissement des violences tolérées par la coutume comme les pratiques de Guterura et de Gucura. Pour Mme Mukandori, les coups et blessures subis par un conjoint doivent être considérés comme une circonstance aggravante. Et partant la sanction doit être aussi forte.
La représentante légale de l’AFJ demande au gouvernement de créer un fonds de soutien aux victimes des violences : « L’Etat doit les indemniser en attendant l’aboutissement des procès. »
Les différentes formes de violence, selon Chantal Mukandori
Des femmes sont battues au point de succomber souvent à leurs blessures. Elles subissent des violences verbales et affectives « comme si c’était des objets ». La polygamie tout comme les liaisons extraconjugales d’un mari relèvent de la violence envers la femme. Car les maris qui font des enfants avec des femmes en dehors du mariage traumatisent leurs épouses. Certains hommes fuient leurs ménages et retournent à la maison après des années. Si une femme se dispute avec son mari, ce dernier la renvoie du toit conjugal comme s’il en était le seul propriétaire.
D’autres femmes sont battues parce qu’elles ne mettent pas au monde ou n’accouchent que de filles et non de garçons. De même, des hommes contraignent leurs épouses à ne pas espacer les naissances ou décident unilatéralement le nombre d’enfants à mettre au monde.
Bien plus, les rapports sexuels non consentis font également partie des violences faites aux femmes. Il en est de même des avortements exigés par les parents à leurs filles, l’abandon des études par les filles-mères et les mariages forcés.
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Certains articles du Code pénal répriment les violences
Article 205 : Quiconque soumet une personne à des tortures ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, est puni de la servitude pénale de 10 à 15 ans, et d’une amende de 100 mille à 1 million de Francs burundais.
Article 207 : Le coupable est puni de vingt ans de servitude pénale lorsque la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ou lorsqu’elle est accompagnée d’agressions sexuelles. Il est puni de servitude pénale à perpétuité lorsqu’elle a entraîné la mort de la victime.
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Quelques locutions courantes du Kirundi…
Gucura : marier la femme au frère de son mari défunt sans son consentement.
Guterura : épouser une fille par force.