Mercredi 07 août 2024

Société

Violation de la loi par le ministère de la Justice ?

31/07/2024 0
Violation de la loi par le ministère de la Justice ?
La ministre de la Justice en train de remettre des réponses aux demandeurs en révision des jugements rendus et des recours contre les vérifications.

La ministre de la Justice a initié une campagne pour rencontrer les justiciables afin de réduire les distances qu’ils doivent parcourir pour arriver dans la mairie de Bujumbura. A cette occasion, le ministère procède à la remise des lettres-réponses aux recours en révision, en annulation et aux recours contre les vérifications d’exécution des jugements. Des juristes dénoncent une ingérence du ministère dans les affaires purement juridictionnelles. Le ministère parle d’une simple inspection. Polémique.

Depuis des mois, le ministère de la Justice a initié des descentes sur le terrain dans le cadre « de rapprocher la justice aux justiciables ». Accompagnée de ses conseillers, la ministre Domine Banyankimbona sillonne les provinces pour recevoir les doléances des justiciables. Après, elle procède à la remise des lettres-réponses aux recours en révision, en annulation et aux recours contre les vérifications d’exécution des jugements.

Des justiciables montent aux créneaux. D’après eux, cela engendre une instabilité qui risque de créer une insécurité. P.M, un justiciable, témoigne : « Il y a une trentaine d’années, un litige m’a opposé à un voisin à propos d’une propriété foncière. Devant le Tribunal de Résidence de notre ressort, j’ai eu gain de cause de même que devant le tribunal de Grande instance où l’affaire avait été portée en appel par mon adversaire. Celui-ci n’a pas cru utile de se pourvoir en cassation. De ce fait, le jugement rendu par le tribunal de Grande instance est devenu définitif et a donc acquis l’autorité de la chose jugée. »

Après une première exécution contestée par une des parties, poursuit P.M, il en a été fait appel devant le tribunal de Grande instance qui a procédé à sa vérification et à une nouvelle exécution. « Comme le stipulait le Code d’organisation et de compétence judiciaires alors en vigueur, cette vérification était sans recours. Tout récemment, alors que je croyais l’affaire clôturée à tout jamais, j’ai reçu une convocation émanant du Cabinet du ministère de la Justice m’informant qu’une délégation allait être dépêchée sur ma propriété pour procéder à une vérification de la vérification (guhinyuza) opérée vingt-cinq ans plus tôt. »

P.M n’en croyait pas ses oreilles. « J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un canular de mauvais goût. Mais, à la date indiquée, trois conseillers de la ministre de la Justice ont débarqué sur place. Après quelques questions superficielles posées aux deux parties, ils sont repartis sans avoir requis le moindre avis du chef de colline et de la centaine de voisins qui avaient pourtant été convoqués pour donner des éclaircissements sur l’affaire. »

Il ajoute que quelques semaines plus tard, il a reçu une copie d’une correspondance adressée par la ministre de la Justice au président du tribunal de Grande instance du ressort. « Dans cette lettre qui était en réalité une réformation totale du jugement pourtant devenu sans recours depuis 25 ans, la ministre lui ordonnait de procéder à une troisième exécution sans le moindre rapport évidemment avec les deux précédentes. Le président du tribunal de Grande instance a fidèlement exécuté les instructions de la hiérarchie. La conséquence est qu’aujourd’hui, suite à une « vérification » sans base légale, un jugement devenu définitif depuis 25 ans et une vérification pourtant sans recours ont été réduits à néant. In fine, celui qui avait perdu le procès à deux reprises a eu gain de cause grâce aux conseillers du ministère de la Justice et je me suis retrouvé sans rien. »

P.M souligne qu’il a adressé une requête à la ministre de la Justice mais qu’il n’a obtenu aucune réponse. Et de se poser une question : « La sécurité juridique, socle d’un Etat de droit, a-t-elle encore un sens dans notre beau pays ? »

Les justiciables se posent une question : « Sur quelle disposition légale la ministre de la Justice se fonde-t-elle pour vérifier les vérifications faites par les juridictions désignées par la loi ? »

Le ministère de la Justice s’explique, mais …

« La ministre de la Justice ne vérifie jamais les vérifications faites par les juridictions compétentes », répond Anne-Marie Nkeshimana, porte-parole du ministère de la Justice. Seulement, poursuit-elle, lorsque les justiciables estiment qu’ils sont lésés par ces vérifications et qu’ils formulent des doléances, la ministre peut envoyer ses conseillers pour s’enquérir de la situation. « C’est par ailleurs une sorte d’inspection parce que toute activité mérite d’être inspectée lorsqu’il est nécessaire. Bref, il n’y a pas d’ingérence. »

J.B, juriste, s’interroge. « Si le ministre ne vérifie jamais les vérifications, pourquoi reçoit-il des recours ? Pour en faire quoi ? Que vont faire ses conseillers sur les propriétés litigieuses ? Quel genre de réponses donnent-ils par rapport aux vérifications ? » Il trouve que la réponse du porte-parole est une échappatoire.

Ce juriste s’étonne que la ministre Banyankimbona viole une loi qu’elle a mise en place. « Elle a elle-même préparé le projet de loi portant Code de l’organisation et de la compétence judiciaires. Elle l’a même défendue devant le Parlement. C’est incroyable. »


Eclairage

Aimé-Parfait Niyonkuru : « Les recours en vérification d’exécution des jugements sont une compétence juridictionnelle. »

Pour le juriste Aimé-Parfait Niyonkuru, toute velléité de censurer un acte juridictionnel en dehors des tribunaux constitue une atteinte à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Comment se font les recours en vérification ?

Le recours est porté devant le tribunal de Grande instance pour les jugements exécutés par le tribunal de Résidence (COCJ, art.39) ; devant la Cour d’appel pour les jugements exécutés par le tribunal de Grande instance et le tribunal du Travail (COCJ, art.49) ; devant la Cour Suprême en formation collégiale de trois juges pour les jugements exécutés par les huissiers près cette dernière cour (loi sur la Cour Suprême, art.92). La loi est muette sur les recours en vérification de l’exécution des jugements faite par certaines juridictions.

C’est le cas notamment des juridictions de commerce et des juridictions administratives. Mais à notre sens, le principe demeure que c’est la juridiction supérieure à celle qui a exécuté le jugement qui est compétente pour connaître du recours contre cette exécution.

Y’a-t-il d’autres recours possibles ?

La décision qui statue sur le recours en vérification de l’exécution d’un jugement est sans recours (COCJ, art. 39, 49). Ce qui peut être formulé sous le principe « recours en vérification sur recours en vérification ne vaut pas ».

Existe-t-il une loi qui autorise le ministre de la Justice ou ses services à faire des vérifications de l’exécution des jugements ?
A ma connaissance, il n’existe pas de base légale. Ceci étant une compétence exclusivement juridictionnelle.

Est-ce une violation de la loi ?

Toute velléité de censurer un acte juridictionnel en dehors des tribunaux ou toute pratique ayant pour effet de priver d’effet une décision de justice en dehors d’exceptions prévues par la loi constitue une atteinte à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance du pouvoir judiciaire, garanties essentielles dans une société démocratique respectueuse de l’Etat de droit.

Quid du Code de l’organisation et de la compétence judiciaires (COCJ) ?

Art.39 : L’exécution des jugements faite par les tribunaux de résidence est susceptible de recours en vérification devant le tribunal de Grande instance siégeant à juge unique.
Le juge unique statue toutes affaires cessantes et la mesure prise est sans recours.Art 49 : Les mesures provisoires et les recours contre l’exécution des jugements pris au premier degré par les tribunaux de grande instance et les tribunaux du travail sont susceptibles d’appel devant un juge unique de la Cour d’appel. Le juge statue toutes affaires cessantes et la mesure prise est sans recours.

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