Vendredi 22 novembre 2024

Société

Victimes d’une blague sur WhatsApp

04/01/2020 Commentaires fermés sur Victimes d’une blague sur WhatsApp
Victimes d’une blague sur WhatsApp
…sur le banc des accusés

15 ans de prison requis pour une blague. Le réquisitoire est lourd pour les 4 journalistes d’Iwacu et leur chauffeur : 15 ans et d’autres peines encore. Le ministère public ne se base que sur un message d’Agnès Ndirubusa pour incriminer toute l’équipe. Retour sur cette audience du 30 décembre 2019 au Tribunal de Grande Instance de Bubanza.

Il est presque 9 heures quand plusieurs silhouettes vertes entourées d’autres formes en bleue descendent en marche synchronisée le sentier séparant le TGI Bubanza et la prison de Bubanza, un bâtiment érigé sur une petite colline. Au fil des minutes, les figures se précisent. Il s’agit bien de prisonniers escortés par des policiers. Ces gardes ne les quittent pas des yeux. Il y a comparution.

Quand ces compagnons d’infortune arrivent devant le Tribunal de Grande Instance de Bubanza, ils sont accueillis par leurs proches. Les 4 journalistes du Groupe de Presse Iwacu se retrouvent au milieu de leurs collègues et d’autres confrères. Une séance de fortes accolades chaleureuses s’en suit.

C’est un moment de joie, de répit pour ces 4 reporters emprisonnés depuis plus de deux mois. Mais le sourire arboré est en demi-teinte. Il y a un brin d’inquiétude sur leurs visages. Leur chauffeur, Adolphe Masabo, désormais prévenu libre, essaie de les réconforter discrètement.

«Il faut garder la tête haute.» Ce sont les mots de tout ce monde des médias venu suivre cette première comparution de ces journalistes d’Iwacu arrêtés à Musigati le 22 octobre 2019.

Petit rappel : la police les embarque 8 minutes après leur arrivée dans cette commune où ont été rapportés des affrontements entre un groupe de rebelles et les Forces de l’ordre. Ces reporters n’auront pas le temps de recueillir des témoignages de la population apparemment désemparés suite aux tirs nourris entendus à l’aube.

Les policiers assurant la garde de ces prisonniers ne les quittent pas d’une semelle, ces hommes en uniforme viendront gâcher ce moment de grâce. Finies les blagues pour détendre l’atmosphère. Ils les conduisent vers une salle d’attente du Tribunal de Grande Instance de Bubanza.

« Nous venons clamer notre innocence »

Par après, ces policiers amèneront ces journalistes poursuivis pour ’’complicité d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat’’ dans la salle des audiences. Des prévenus accusés de viol, de vol qualifié, … sont là aussi assis sur des bancs. Ces derniers portent tous des menottes.

Les 4 journalistes et leurs collègues sont pensifs, ils échangent peu, ils se murmurent quelques phrases, le directeur des rédactions au Groupe de Presse Iwacu, tente de lire un journal, mais curieusement il ne quitte pas la première page. Visiblement, il est aussi perdu dans ses pensées.

Un des photojournalistes présents confie que croiser le regard de ces collègues assis sur le banc des accusés en attendant le début du procès, le met mal à l’aise.

Ce temps sera un peu long, plus deux heures avant l’arrivée des juges et du substitut du procureur. Quand ils entrent enfin dans cette salle, tous en toges noires, toute la salle se lève.

Après la lecture des différentes affaires à l’ordre du jour et la vérification de la présence des différents prévenus, les 3 avocats des 4 journalistes d’Iwacu et de leur chauffeur se mettent de part et d’autre de leurs clients. Il est 11 heures et quart. L’audience commence.

Epaulés par leurs avocats, tous les 5 clament haut et fort leur innocence. Même Christine et Egide qui n’élèvent pas leurs voix, avancent leurs arguments pour se faire bien entendre.

Les peines demandées laissent le public sonné

Le réquisitoire prononcé à l’issue d’une audience publique d’environ deux heures sera terrible. Le public restera effaré, groggy. L’affaire sera mise en délibéré, les juges ont au plus 30 jours pour se prononcer.
A part ces 15 ans d’emprisonnement pour ces 5 présumés, le substitut du procureur de Bubanza, Jean Marie Vianney Ntamikevyo demandera que ces 4 journalistes d’Iwacu et leur chauffeur soient frappés d’incapacité électorale temporaire.

Il propose également la saisie de leur matériel : véhicule, appareil photo, enregistreurs, téléphones portables, chargeurs, carnets de notes et cartes nationales d’identité. Depuis leur arrestation, la voiture, garée en plein air est en train de pourrir sous la pluie.

Au cours de l’audience, le ministère public insistera sur un message WhatsApp échangé entre Agnès et un confrère. Pour rigoler, Agnès à écrit à un journaliste qu’elle se rend à Musigati ’’pour appuyer la rébellion’’.
«C’est un ’’élément matériel’’ prouvant la complicité des 4 journalistes d’Iwacu et leur chauffeur avec les rebelles», charge le substitut du procureur de Bubanza.

Selon lui, en se rendant à Musigati, dans les environs du lieu des affrontements, ils se servent de leur qualité de journaliste pour ’’recueillir et diffuser des informations sujettes à renforcer la rébellion’’.

«Ils ne sont pas poursuivis comme journalistes, mais pour les faits leur reprochés », poursuit Jean Marie Vianney Ntamikevyo. Il invoque les articles 38 et 609 du Code pénal.

Stupéfaits, tous les collègues d’Agnès Ndirubusa, auteur de cette blague, disent devant la barre ignorer cet échange. «La rédaction d’Iwacu ne décide d’envoyer des journalistes à Musigati que vers midi, après un message du gouverneur de Bubanza, repris par Le Renouveau sur Twitter, tranquillisant sa population, que la situation est maîtrisée».

« Aucune intention de nuire »

Agnès Ndirubusa, juriste de formation et journaliste senior, responsable du service politique à Iwacu expliquera que ce message avec un confrère est à placer au registre de l’humour noir pour déstresser.

«Nous avons notre propre langage et il ne faut pas dissocier ce message de son contexte et le prendre mot pour mot. Si une maman dit à son enfant qu’il va le tuer, tout le monde sait qu’elle ne le fera pas», se défendra-t-elle.

Et ce n’est pas tout, «le Ministère public ne brandit que ce message en omettant un autre où je dis que ‘’nous allons en découdre avec ces gens qui veulent perturber la paix et les élections’’ (Tugiye gutuza abo bantu bashaka guhungabanya amahoro n’ugutoba amatora) ».

Rappel, après leur arrestation, les journalistes sont sommés de donner leurs téléphones et leurs codes d’accès. Les services de renseignements analyseront ces appareils pour tomber sur ce message.

Elle demandera au Ministère public, – sans recevoir une explication convaincante -, de produire des preuves montrant qu’elle est en ’’contact avec ces rebelles’’. «Passé au crible, mon téléphone ne donnera aucun message prouvant que je suis en contact avec ces gens».

Clément Retirakiza : «L’espoir d’un acquittement est permis.»

Quand les avocats prennent la parole, ils invoquent, la Loi de la presse, le Code pénal, la Loi fondamentale et la Déclaration universelle des droits de l’Homme ratifiée et intégrée dans la Constitution de la République du Burundi.
Il sera question de prouver que leurs clients ne sont poursuivis que pour des faits non infractionnels. «Ce sont des journalistes, ils ont le droit de recueillir des informations sur tout le territoire national. Se rendre à Musigati n’est pas une infraction».

Dans leur plaidoirie, les avocats de la défense diront que la complicité avancée par le Ministère public ne tient pas. «Elle ne peut pas se concevoir après les faits, plus de 6 heures après les affrontements puisque ces journalistes arrivent à Musigati vers 13 heures. Il n’y a pas d’intention de nuire».

Le Ministère public ne peut pas prouver que le fait de se rendre à Musigati en vue de récolter des informations signifie apporter une aide aux rebelles, diront les avocats. Par ailleurs, aucune mesure d’interdiction de se rendre sur les lieux ne sera édictée.

Selon Me Clément Retirakiza, un de ces avocats, il y a lieu d’espérer qu’après délibération des juges, le Tribunal de Grande Instance de Bubanza va les libérer.

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