Ce mercredi 11 novembre, démarrait la vente aux enchères des biens « des putschistes ». Cependant, la légalité d’une telle action interroge au regard du profil de certains concernés.
Tout part d’un communiqué du ministère de la Justice diffusé le 6 novembre. Le message ministériel annonce « une vente aux enchères des biens et meubles saisis par la justice » à partir du mercredi 11 novembre jusqu’au samedi 14 novembre aux bureaux du ministère. Le communiqué précise en outre que tous ceux qui désirent procéder à l’achat des dits biens et meubles est prié de se présenter au ministère en date du 10 novembre. Tout de suite, le bruit court sur les réseaux sociaux que les biens et meubles qui vont être proposés à la vente publique appartiennent aux personnes accusées d’avoir trempé dans la tentative de coup d’Etat de mai 2015.
Mardi 10 novembre. Nous sommes dans les enceintes du ministère de la Justice. Quelques fonctionnaires du ministère sont massés à l’entrée. En face des locaux, des tentes vertes abritent les biens et meubles de personnes accusées d’avoir trempé dans la tentative de coup d’Etat de 2015. La prise des photos est interdite.
Au bout d’une dizaine de minutes d’attente, un cadre du ministère arrive et nous informe que la présence de la presse n’est pas requise sur les lieux. Étonnement parmi les journalistes. Embarrassé, l’homme ajoute. «C’est ce qu’on m’a dit de vous transmettre comme message ». Cédant à notre insistance, il nous promet de revenir vers nous.
Par la suite, la chargée de la communication au ministère de la Justice arrive avec un militaire et s’adresse aux professionnels des médias : «Nous sommes vraiment désolés mais les médias ne sont pas invités pour cette activité.» Elle précise simplement qu’un communiqué a été diffusé à la RTNB. Nos protestations sur le fait que la vente est publique n’y font rien. Nous sommes priés de quitter les lieux. « Ce soldat va vous raccompagner », ajoute la chargée de la communication. Nous n’avions pas d’autre choix, nous sommes partis.
Toutefois, des propriétaires concernés, des noms apparaissent. Il s’agit entre autres du Général Herménegilde Nimenya, Marguerite Barankitse et d’autres comme Onésime Nduwimana, ancien porte-parole du parti au pouvoir, et Leonidas Hatungimana, ancien porte-parole du président Pierre Nkurunziza. Pourtant les deux derniers n’ont pourtant jamais été cités dans aucune action judiciaire.
Pour le secrétaire du CNL, Simon Bizimungu, le patrimoine familial n’est pas du ressort d’un seul individu. « Il est question ici de biens familiaux et non individuels. Cela n’a malheureusement pas été tenu compte».
Du côté du parti Sahwanya-Frodebu Nyakuri, son leader Kefa Nibizi, c’est la loi qui prime. « La vente de biens qui est en train d’être effectuée maintenant ne doit pas être interprétée au regard de la nature des crimes commis qui sont à caractère politique, mais analysée uniquement dans le sens de la loi». Ainsi, pour M. Nibizi, si la loi a été respectée, rien n’empêche la vente de ces biens.
Me Jean de Dieu Muhuzenge : « Quel crime a commis Mme Christine Nininahazwe ? »
Mme Christine Nininahazwe, épouse du général Herménegilde Nimenya, condamné dans l’affaire des putschistes de 2015, accuse le ministère public d’avoir saisi ses biens, meubles et immeubles. Son avocat parle d’injustice.
Que vous inspire la saisie des biens, meubles et immeubles de votre cliente par le ministère public ?
J’ai été saisi par Mme Christine Nininahazwe, épouse du général Herménegilde Nimenya, qui m’a informé que l’immeuble qui lui appartient en exclusivité, inscrit en son nom et sis à Sororezo, aurait été saisi par l’Etat du Burundi dans le cadre de l’exécution d’une affaire qui concerne son mari. Elle m’a en outre précisé que le mobilier de cette maison, y compris des effets personnels, ont été saisis par des agents de l’Etat. Effectivement, d’après les vérifications, la maison est aujourd’hui gardée par les agents de l’Etat. Le mobilier a été saisi et se trouve dans un lieu qui nous reste inconnu. Pour certains, il serait parmi les biens actuellement vendus aux enchères au ministère de la Justice.
Eu égard au jugement intervenu contre M. Nimenya et à l’ordonnance de saisie des biens qui a été porté à la connaissance de M. Nimenya, le constat est le suivant : L’immeuble de Sororezo n’est pas considéré comme une maison faisant objet de saisie des biens appartenant à M. Nimenya. Le jugement ne cite nulle part l’immeuble de Sororezo et inscrit au nom de son épouse, Christine Nininahazwe. En plus, l’ordonnance de saisie d’un bien appartenant à M. Nimenya est un immeuble sis à Kinanira.Pour arriver à la vente du bien saisi, on doit suivre la procédure judiciaire normale.
C’est à dire ?
Il y a d’abord l’assignation de la personne propriétaire de ces biens par la juridiction saisie. Or Mme Christine Nimenya n’a jamais été appelée pour s’entendre condamnée à la vente de l’immeuble et du mobilier sis à Sororezo. Aucune action judiciaire n’a jamais eu lieu. Or l’article 13 de la Constitution prévoit que tous les Burundais sont égaux, en mérite et en dignité et que tous les citoyens jouissent des mêmes droits et ont droit à la même protection de la loi. Et la protection de la loi n’intervient que si la procédure de saisie et de vente du bien, meuble ou immeuble a été régulièrement suivie. Or, il n’y a jamais eu de procédure de l’immeuble sis à Sororezo et du mobilier le meublant. La Constitution précise en outre en ses articles 22 et 23 que tous les citoyens sont égaux devant la loi qui leur assure une protection égale et que nul ne sera traité de manière arbitraire par l’Etat ou ses organes.
La protection par l’Etat burundais et de ses organes est de lui garantir un droit à la défense lorsqu’on entend procéder à la saisie et à la vente de ses biens, qu’ils soient meubles ou immeubles. L’article 36 de la même Constitution renchérit en prévoyant que toute personne a droit à la propriété. Mme Christine Nininahazwe a droit à la propriété. Et le même article d’ajouter que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique ou en exécution d’une décision judiciaire coulée en force de chose jugée. Qu’est-ce qui ferait que Mme Christine ne puisse jouir d’une maison qu’elle a acquise grâce à ses efforts ?
Enfin, une question qui me taraude l’esprit est le sort d’une épouse et de ses enfants qui se voient dépouillés de leurs biens sans avoir été appelés et jugés de façon contradictoire ? Quel crime a commis cette dame ? Quel crime ont commis ses enfants ? Doivent-ils subir un dommage pareil alors qu’ils sont complétement étrangers à l’affaire impliquant leur époux et père ?
Quels seront vos recours ?
J’ai écrit une correspondance ce lundi 9 novembre au ministère de la Justice pour qu’il analyse froidement cette question et rende justice à Mme Nininahazwe et ses enfants qui ont droit de jouir de leur bien. J’ose espérer que le ministère de la Justice va compatir avec cette épouse et ses enfants et leur restituer cet immeuble et le mobilier le meublant qui ne sont concernés par aucune décision judiciaire.