Loin de là toute idée de verser dans la superstition, mais c’est un vendredi 22 juillet dans l’après-midi ensoleillé que le reporter d’Iwacu, Jean Bigirimana est porté disparu. Six ans déjà !
Ce jour fatidique, le téléphone se met à sonner à la rédaction centrale, un coup de fil bizarre venu d’on ne sait où nous glace le sang . Une voix hésitante nous apprend que notre reporter vient de se faire embarquer.
« Des hommes à bord d’un pick-up aux vitres teintées viennent de brutaliser votre collègue pour le forcer à monter à l’arrière de leur véhicule, au milieu de policiers lourdement armés, ils se dirigent vers Muramvya. S’il vous plaît, c’est tout ce que je peux vous dire », lance cette personne à voix basse.
Qui est cette personne ? Comment est-ce qu’elle a su que Jean travaille à Iwacu ? Comment est-ce qu’elle a eu le numéro d’Iwacu ? Toutes ces questions resteront sans réponse, jusqu’aujourd’hui.
Des tentatives pour en savoir plus se soldent par un échec, tout ce que ce mystérieux interlocuteur nous dira, c’est qu’il vient d’assister à cette scène à Bugarama. Iwacu essaie d’entrer en contact avec ce lanceur d’alerte, mais il devient curieusement injoignable.
En ce moment tout le monde reste groggy. Les journalistes sont dans les « vapes », sonnés. Prenant son courage à deux mains, un journaliste compose le numéro de Jean, le téléphone sonne, au bout, une voix inaudible qui chuchote. Il balbutie quelques mots, probablement les dernières. On n’ose pas croire que c’est une voix qui s’éteint, disons qui disparaît.
Incroyable que ce soit Jean. D’habitude, quand il parle, c’est d’une voix d’homme, sûr de lui-même. Jean, avant de rejoindre Iwacu, était un journaliste de la radio.
L’impossible attestation de décès
Cet anniversaire arrive dans un contexte particulier. Nous avons appris que la famille souhaitait organiser la levée de deuil, mais elle manque à ce jour d’une « attestation de décès ». Comme si personne ne veut assumer sa mort. Cette information nous met mal à l’aise. On ne sait plus quoi faire.
Ce vendredi matin, il n’y a pas eu de cérémonies de haie d’honneur des journalistes d’Iwacu et des collègues venus des autres médias, tous de noir vêtu, avec dépôt d’une gerbe de fleurs au pied du portrait géant accroché au mur de l’imprimerie, dans la cour du Groupe de Presse Iwacu.
Ce matin, pas comme les autres, quelqu’un a versé un peu d’eau sur les fleurs dans les pots placés au pied de son portrait. Ces fleurs, témoins du regard perdu de Jean, sont un peu fanées. Elles ne résistent pas à l’épreuve du temps.
Certains journalistes, en solitaires, sont allés s’incliner devant ce portrait géant de Jean, difficile de lire dans leurs pensées en ce moment ou savoir ce qu’ils ont pu chuchoter. D’autres journalistes ont instinctivement tourné leurs regards vers Jean, un hommage silencieux qui en dit long. Jean n’est pas disparu, il est vivant en nous.
Comme tu fais, il te seras fait, dit un adage, ceux qui ont fait cela a Jean, le payeront un jour, ainsi va la vie…