A quelques jours de la sortie de « Hutsi, au nom de tous les sangs », Iwacu propose un extrait du livre.
(…) Deux fosses communes de 1972 sont connues à Gitega. L’une, à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de la ville, sur la route nationale N°1, vers Bujumbura, dans un tournant dit « Nyambeho. » Comme si les esprits en peine se vengeaient, ce virage était la terreur des conducteurs et causait des accidents souvent mortels.
L’autre charnier se trouve au nord de la ville, près du pont dit Pecquet, sur la rivière Ruvubu. (…)
C’est dans les parages de ce pont, quelque part sur les berges de cette rivière, que la mémoire populaire situe ce charnier. Est-ce que le corps de papa, enfin ce qu’il en reste, repose là ? (…)
Moi, je regardais les champs de haricot verdoyants, sur les berges de la puissante rivière chargée d’alluvions, qui s’écoulait, calme, altière, indifférente.
Vallée de la Ruvubu, vallée fertile, arrosée du sang de mon père… Je voyais les plants de maïs verts, repus, les épis dorés onduler gracieusement sous le vent. J’imaginais le corps de mon papa enseveli quelque part sous cette terre fertile, nourricière, que de solides paysannes labouraient vigoureusement à coups de houe. Les corps de papa et de ses compagnons d’infortune nourrissaient maïs et haricots, sur les bords de la Ruvubu. Et moi je passais sans même jeter une fleur sur la dernière demeure de mon papa.