Une année après l’arrestation des quatre journalistes, Antoine Kaburahe, le fondateur du groupe de presse Iwacu s’est entretenu avec un journaliste de la rédaction. Malgré l’exil, la détermination est toujours intacte.
Une année de prison pour les quatre collègues vient de s’écouler ce jeudi 22 octobre. Comment vivez-vous ce jour ?
Très mal. Un sentiment profond d’impuissance. De colère même. Mais que faire ? Je pense à ces vers d’Alfred de Vigny :
« Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche,
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »
Sauf, qu’il ne faut pas mourir ! Il faut au contraire rester debout. Ecrire. Parler. Ne pas gémir ni pleurer, mais faire énergiquement sa lourde tâche. Ce que Christine, Agnès, Térence et Egide faisaient quand ils ont été arrêtés. Ce que vous continuez à faire, tous les jours, en bravant tous les risques.
Si vous pouviez leur dire un message ?
Qu’ils soient fiers d’eux. Ils n’ont pas tué. Ils n’ont pas volé. Ils faisaient simplement leur travail, au grand jour et en toute légalité. Ce n’est pas à eux d’avoir honte. Mais ceux qui les ont condamnés injustement, pour rien. Ceux qui ferment les yeux sur cette injustice criante. « Malheur aux yeux fermés » dit la Bible, que les dirigeants invoquent tant. Mais avant celui de Dieu, le tribunal de l’histoire jugera tous ceux qui sont impliqués dans ce crime. Car voler une année de liberté à des innocents est un crime. L’histoire sera sévère. Je n’aimerais pas être à la place des juges qui ont prononcé cette sentence inique. Nous écrirons leurs noms dans les livres, nous raconterons leur « justice », ils seront marqués, ils garderont à vie cet opprobre.
Certaines organisations et personnalités sont restées solidaires avec Iwacu. Votre message ?
Je dis merci à ceux qui nous soutiennent. C’est le seul avantage du malheur, il permet de faire le tri. De connaître les vrais amis. Nous avons vu des inconnus à travers le monde se mobiliser, nous avons vu des collègues prendre des risques pour nous, d’autres se taire, regarder ailleurs, comme si le malheur d’Iwacu ne les concernait pas. Certains médias au Burundi n’ont jamais publié même une seule ligne sur nos amis. Des amis inattendus se sont révélés. Discrètement, pour des raisons évidentes, des personnalités proches du pouvoir nous ont assuré leur sympathie . Ce soutien, même moral, est très encourageant. Bref, l’adversité enseigne. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort.
Vous pensez qu’Iwacu est aujourd’hui plus fort, vous ne craignez pas qu’il puisse être fermé par exemple ?
Je n’ai pas dit cela ! Fermer Iwacu est très facile. Mais tant qu’on nous laissera la moindre parcelle de liberté, nous l’utiliserons, jusqu’au bout ! En 12 ans, Iwacu a toujours fait son travail avec rigueur et honnêteté. C’est cela notre force. Et cela personne ne peut nous le prendre. Notre média a toujours donné la parole à tout le monde, recherché, autant que faire se peut, l’information, la vraie, équilibrée, en allant sur le terrain. C’est d’ailleurs en allant sur le terrain le 22 octobre 2019 que les quatre collègues ont été arrêtés. Car la rédaction ne voulait pas se contenter des communiqués officiels, des infos diffusées sur les réseaux sociaux. Agnès, Christine, Egide et Térence se sont proposés spontanément pour aller à Bubanza. Ils allaient simplement en reportage, cette histoire d’une « entente avec les ennemis » est grotesque. Tout le monde le sait. Iwacu paie un lourd tribut son attachement à la recherche de l’information.
Une année après, avez-vous un appel à lancer aux autorités du pays ?
Oui ! Je leur dis que c’est mal, ce qu’ils font ! Je leur dis que cette détention abusive de quatre journalistes fait mal à notre pays, à son image, à leur pouvoir aussi . Cette histoire est un désastre à tous points de vue. Par ailleurs, dans un pays qui a mis « Dieu à la première place », je leur dis qu’ils font mal à quatre innocents, à leurs familles et ce n’est pas chrétien. « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudrez pas que l’on vous fasse », disait simplement le Christ. Personne n’aimerait passer une année en prison, pour rien.
Un mot pour les journalistes d’Iwacu ?
Vous êtes des héros au quotidien. Je le dis avec conviction : faire du journalisme au Burundi est un sacerdoce. Gardez le cap. Restez debout.
Et vous, sur le plan personnel…
J’essaie de tenir. Mais je souffre d’être si loin de vous, de la rédaction, du Burundi. Je suis ailleurs, mon cœur bat au Burundi. Mais j’ai la fierté de voir qu’Iwacu, malgré les persécutions, ne s’est pas effondré avec mon départ. « Les bons projets survivent à leurs fondateurs », dit-on. Cela me donne un peu de baume au cœur. J’aimerais tant être avec vous, « Iwacu » signifie « chez nous », mon pays… Le Burundi a besoin d’une presse libre, professionnelle . Sans une presse libre, la démocratie est une chimère. J’aimerais être là, avec vous, apporter ma modeste contribution au développement de la presse de mon pays. Il y a tellement à faire au Burundi. Je ne perds pas espoir, il ne faut pas croire que cette persécution fait l’unanimité même dans les cercles du pouvoir, il y a des voix qui prônent l’ouverture, la tolérance, la critique constructive, tout n’est pas perdu. En attendant, j’écris beaucoup, cela me permet de supporter cette vie loin de mon pays que j’aime et qui me manque tant.
Propos recueillis par Renovat Ndabashinze