Deux étudiants de l’Université du Burundi ont été tabassés dans la nuit de jeudi 16 juillet par un groupe d’autres étudiants, au campus Mutanga. Des témoignages parlent d’une équipe d’Imbonerakure qui sème la terreur. Une semaine après, les victimes laissées à elles-mêmes, sont désemparées. Iwacu s’est rendu au campus Mutanga.
Deux jeunes hommes s’asseyent confortablement sur une pierre soigneusement posée à l’entrée sud du campus. En conversation, mais visiblement aux aguets. «Parfois, il est difficile de pénétrer le campus sans carte d’étudiant. Des gens postés aux entrées exigent de la décliner», affirment des étudiants. Ce mercredi, 22 juillet, nous parvenons à entrer tout de même…
Il est presque 12h . Un à un, étudiantes et étudiants s’agglutinent petit à petit devant le restaurant universitaire. C’est l’heure du déjeuner. Au loin, le pavillon 12. C’est là que sont cloitrés Emmanuel Munyankindi et Jean Claude Ndayikeza, deux étudiants sérieusement tabassés jeudi 16 juillet par un groupe d’étudiants, des Imbonerakure selon les témoignages.
Dans la petite chambre, les deux victimes ont fermé les rideaux sur eux pour éviter la moindre pénétration des rayons du soleil. Leurs yeux, rougis par les coups reçus lors du passage à tabac, ne peuvent plus les supporter. Au dehors, les temps sont néanmoins doux. « Ils ne l’ont pas su. Ils n’ont jamais bougé depuis ce matin. Ils sont encore sous le choc », témoigne un voisin à eux.
Mal en point, ils restent blottis dans leurs lits. Qu’est-ce qui s’est passé en fait messieurs ? Jean Claude Ndayikeza reste bouche bée. En guise de réponse, il usera d’un signe pour nous montrer sa bouche grandement enflée. Il a des sutures sur les lèvres supérieures. « Il a de la gêne à parler. Il parait que c’est douloureux pour lui», justifie son voisin. Pour sa part, Emmanuel Munyankindi balbutie quelques mots que nous ne parvenons pas à percevoir. Il a des larmes dans la voix. Son avant-bras, sous manchette plâtrée, le démange.
Ils n’iront pas déjeuner. Ils se contenteront d’un ½ litre de lait pris le matin. La raison : Jean Claude Ndayikeza ne peut plus prendre de repas lourd. En outre, les deux n’ont plus d’argent. « Ce sont eux qui se prennent en charge pour les soins médicaux. Leurs sous se sont épuisés », confie leur voisin.
Des Imbonerakure faiseurs de loi ?
Les troubles de jeudi 16 juillet éclatent un peu après minuit selon les témoignages des étudiants. Jean Claude Ndayikeza et Emmanuel Munyankindi sont au lit, dans un sommeil profond. Leur hôte sort pour se soulager. Des latrines, il perçoit un vacarme à l’étage. Des hommes se disputent. Il comprend que c’est une fouille-perquisition qui s’y opère. Le contrôle des résidents réguliers.
Très vite, il rejoint la chambre et avertit les deux étudiants. Eux n’ont pas encore de carte de résidence. Ils doivent dégager un moment pour ne pas être appréhendés. Ndayikeza et Munyankindi sortent en silence et se cachent derrière le pavillon. Le temps d’attendre que la fouille se termine.
Pas de chance . Ceux qui font la fouille les retrouvent là-bas, avec des gourdins, dont des câbles antivol de vélo. « Ils ont été tabassés sans ménagement », se rappelle C.N, un témoin de la scène. Environ une heure et demie de passage à tabac.
Ce mercredi, une partie d’un des bâtons utilisés est soigneusement rangé sous le petit lit où s’allongent, désemparés, les deux jeunes hommes. Ils ont été laissés vacillants, grâce à l’intervention d’autres étudiants. Ils ont été dépêchés à l’hôpital pour les premiers soins.
Leurs bourreaux?Une quinzaine selon les témoins oculaires. Entre autres un certain Parfait, étudiant en Médecine 3, Viateur (étudiant de Droit en Bac 3), un certain Alexis de l’Isco, etc. «Ils les ont accusés d’être des voleurs de lits », rapportent les témoins. «Pourtant, c’étaient plutôt leurs bourreaux qui tentaient de les voler », ajoutent-ils.
D’après eux, ces « criminels » ont été énervés car de l’étage, à travers une fenêtre, quelqu’un les a fixés avec une lampe torche alors qu’ils transportaient des lits. « Ils ont déposé ces lits et sont allés s’attaquer à celui-là. Et comme ils se disent des chargés de sécurité, ils ont prétexté vouloir procéder à la vérification des cartes de résidence. Tout est parti de là ».
Selon les témoignages recueillis au campus Mutanga, les bourreaux de Jean Claude Ndayikeza et Emmanuel Munyankindi font partie d’une équipe d’Imbonerakure qui sème la terreur. « Ce sont des faiseurs de loi ici. Ils aiment beaucoup s’attaquer aux opposants. Ils sont membres d’un comité dit mixte de sécurité mais qui ne se compose que par des Imbonerakure ». En tout cas, ces témoignages soulignent que le passage à tabac des deux étudiants n’a pas de dimension politique. «Ils sont politiquement non-alignés. »
Jean Claude Ndayikeza et Emmanuel Munyankindi ont porté plainte devant la direction des affaires sociales, au service de sécurité et d’encadrement civique. Une plainte qui, une semaine après, n’a pas encore eu de suite selon les informations reçues. « Les bourreaux n’ont jamais été inquiétés. Ils circulent librement au campus. En fait, cette direction est complice dans plusieurs cas de méfaits où sont cités ces Imbonerakure ». Les proches des deux victimes demandent que justice soit faite. « Nous voulons que nos camarades soient rétablis dans leurs droits et que cet esprit d’animosité soit démantelé à l’Université ».
« Nous ne pouvons pas tolérer un tel crime »
Le directeur des affaires sociales, ayant la sécurité et l’encadrement civique dans ses attributions, reconnaît l’agression. OPC1 Gaston Uwimana parle d’un « cas exceptionnel » à l’Université. « Nous ne pouvons pas tolérer que des gens se permettent de perturber la sécurité au campus », dit-il, soulignant « être en train de procéder à l’enquête » pour que « les auteurs » soient punis conformément aux statuts régissant les résidences universitaires. « Nous devons tout faire pour que ces criminels soient punis conformément à la loi ».
M. Uwimana dit avoir déjà auditionné certains présumés auteurs du passage à tabac. « Nous avons transféré le dossier à la police judiciaire pour disposition et compétence », insiste-t-il, rappelant que sa direction n’est pas compétente pour le pénal. «Les victimes doivent suivre leur dossier pour que l’officier de police judiciaire leur donne des avis de recherche ou convocations, auquel cas nous allons intervenir pour les chercher, les arrêter et les transférer ».
Ce commissaire de police dément toutefois : les auteurs des agressions ne sont pas Imbonerakure. « Ils ne sont même pas membres du comité mixte de sécurité, au vu des noms que nous ont donnés les victimes. Nous actualisons régulièrement les listes de ces membres ».