Dimanche 29 décembre 2024

Politique

Université du Burundi : inquiétude face à l’hémorragie des départs

Université du Burundi : inquiétude face à l’hémorragie des départs
Audace Manirabona : « La direction de l’Université du Burundi est en train d’étudier des propositions pour freiner ces départs »

Dans une lettre datée du 16 décembre 2024, adressée au ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique, Audace Manirabona, recteur de l’Université du Burundi, lance un cri d’alarme concernant le départ massif des employés de l’institution. Le document révèle que 118 employés ont quitté l’université en 2024. Les syndicats décrivent une situation alarmante qui pourrait mener à la fermeture de l’établissement si aucune action immédiate n’est entreprise pour redresser la situation. Des experts scientifiques suggèrent plusieurs solutions pour contrer ce phénomène.

Dans cette correspondance, le recteur de l’Université du Burundi exprime ses préoccupations concernant le nombre croissant de départs à tous les niveaux du personnel de l’établissement au cours des cinq dernières années. Les statistiques indiquent 18 départs en 2020, 25 en 2021, 27 en 2022, 43 en 2023, et un bond à 118 en 2024, avec une proportion notablement plus élevée de femmes quittant leurs postes. Jusqu’au 15 décembre 2024, 41 enseignants avaient déjà quitté l’université. Audace Manirabona avertit que ces départs risquent de paralyser le bon déroulement des activités et de nuire aux performances des services offerts.

Toutefois, malgré ces départs massifs, Audace Manirabona tranquillise. « La direction de l’Université du Burundi est en train d’étudier des propositions pour freiner ces départs ».

Selon nos sources, ces départs concernent à la fois le personnel administratif et enseignant. Les raisons invoquées incluent des conditions de vie et de travail précaires, ainsi que des salaires insuffisants, poussant de nombreux employés à rechercher de meilleures opportunités ailleurs. De nombreux enseignants se tournent vers des universités privées ou d’autres institutions locales pour trouver un emploi. Certains s’interrogent également sur le fait que l’avertissement de l’administration rectorale arrive tardivement, alors que l’université est déjà presque au bord de la paralysie.

Des enseignants dans le désaroi

Désiré Nisubire, président du syndicat du personnel enseignant à l’Université du Burundi, fait savoir qu’il est au courant de la situation. Pour lui, les conditions de vie précaires dans lesquelles vivent les Burundais, en général et les fonctionnaires, en particulier, poussent certains enseignants à partir.

« Un enseignant qui vient de rentrer est recruté sur un salaire de 1 100 000 BIF. Actuellement, c’est moins de 100$ par mois alors qu’il a dépensé trop pour avoir son doctorat », déplore-t-il.

Si on l’appelle dans les pays européens ou quelque part en Afrique, fait-il observer, on va lui payer autour de 4 mille dollars par mois. « Comment est-ce que quelqu’un qui a trouvé là où on va lui payer 4 mille dollars par moi va-t-il rester pour recevoir moins de 200$ par mois. C’est inacceptable. Il faut que les gens comprennent que cette situation ne va pas arranger les choses du tout », s’indigne-t-il.

Si un professeur d’université, regrette Désiré Nisubire, ne parvient pas avec son salaire à payer le loyer, la ration et d’autres besoins, c’est normal qu’il soit tenté d’aller ailleurs. Il raconte que le salaire des enseignants dans les pays voisins comme l’Est de la RDC et au Rwanda oscille entre 2 mille et 3 mille dollars.

Par ailleurs, fustige ce syndicaliste, il y a d’autres choses qui dérangent les professeurs notamment le manque de moyens de déplacement. « C’est inacceptable qu’un professeur d’université fait la queue en attendant le bus. Même s’il a un véhicule, il n’a pas de carburant. Comment va-t-il continuer à vivre ce calvaire quand il peut trouver là où les conditions sont plus au moins meilleures. Il ne va pas tergiverser ».

En outre, ajoute ce professeur à la faculté de médecine, les enseignants de l’Université du Burundi avaient un statut spécial, mais qui, à un moment donné, a été enlevé. Selon lui, l’Université du Burundi a été obligée d’entrer dans la nouvelle politique salariale comme les autres institutions.

Mais, déplore-t-il, cette nouvelle politique salariale a été fonctionnelle au niveau de la Fonction publique. « On a bloqué les statuts des enseignants. Ils n’ont pas de statut. Ils ne sont non plus dans la nouvelle politique salariale. Une galère pour les enseignants ».

Vers le naufrage de l’université ?

Le président du syndicat du personnel enseignant énumère de nombreuses conséquences qui découlent de ces départs des employés à l’Université du Burundi. Il cite la faculté de médecine qui se vide de plus en plus de ses meilleurs éléments qui étaient des enseignants mais aussi des médecins spécialistes qui prestaient au Centre hospitalo-universitaire de Kamenge.

« Il y en a celui qui est parti alors qu’il était le seul spécialiste. Il est irremplaçable. Il y a des cours qu’il dispensait qui sont maintenant en attente. D’autres cas tels que la santé publique et la médecine de réadaptation qui ne marchent pas ».

Pour M. Nisubire, il est impératif d’examiner en profondeur les conséquences de ces départs sur les cours en souffrance. Il observe que même si l’administration rectorale entreprend de nouveaux recrutements, elle pourrait peiner à trouver tous les profils et spécialistes nécessaires. « Par exemple, le service ORL au Centre hospitalo-universitaire de Kamenge est presque fermé. À la faculté d’Agronomie et de Bio-ingénierie, certains secteurs sont paralysés. En bref, les recrutements actuellement en cours ne suffisent pas à remplacer les spécialités perdues. C’est une situation difficile à redresser », s’alarme ce syndicaliste.

Désiré Nisubire ajoute que l’Université du Burundi est en train de développer une école doctorale nécessitant des professeurs de haut niveau, alors même que ces derniers quittent le pays. « Comment former des docteurs de qualité sans enseignants hautement qualifiés ? Cela ne fera qu’augmenter la médiocrité », s’indigne-t-il.

Interrogé sur les conséquences pour les étudiants, ce professeur à la faculté de médecine avertit que ceux-ci vont en souffrir énormément. Il souligne que les étudiants ont besoin de bons enseignants. Malheureusement, déplore-t-il, autrefois classée parmi les meilleures, l’Université du Burundi semble perdre sa réputation, comme en témoigne le niveau des diplômés entrant sur le marché du travail.« Quand vous êtes en train d’être enseignés par un enseignant qui est mécontent, il va fournir le minimum de ce qu’il devait vous donnez ».

En outre, ajoute M. Nisubire, les enseignants de l’université ne travaillent pas seulement à l’université. Ce sont des consultants, des chercheurs qui participent dans l’élaboration des plans stratégiques dans différents services.

« Si les économistes de l’université partent, il deviendra évident qu’il n’y aura plus assez de personnes pour aider les ministères à concevoir des plans stratégiques solides », avertit Désiré Nisubire. Selon lui, le pays souffre d’une profonde crise dans le domaine de la recherche. C’est pourquoi, critique-t-il, les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’agriculture connaissent des tâtonnements, faute de professionnels capables de proposer de bonnes solutions. « En laissant partir votre intelligentsia, vous ne parviendrez pas à progresser sur le plan du développement », souligne-t-il.

Des recommandations

Selon le syndicaliste, la solution réside dans l’analyse des causes. « Si vous voulez du lait d’une vache, vous ne pouvez pas la laisser sur une terre aride. Elle doit être placée là où elle peut paître. Malheureusement, c’est l’inverse qui se produit dans ce pays », constate-t-il. Il souligne que l’enseignement supérieur, dans tous les pays du monde, est un secteur qui demande de lourds investissements. Pour lui, un pays qui refuse d’investir dans l’éducation et la formation choisit délibérément de souffrir. « Si vous voulez un pays développé, il est essentiel de choisir d’investir dans l’enseignement, en particulier dans la recherche et l’enseignement supérieur », recommande-t-il.

Il préconise d’augmenter les salaires des enseignants en adéquation avec leurs diplômes et le travail qu’ils effectuent dans le pays, tout en les considérant comme des cadres de haut niveau privilégiés. En outre, il insiste sur le fait que la plupart de ces enseignants ont été formés par le gouvernement. Les laisser partir constitue une double perte : « Vous perdez l’investissement réalisé en leur formation, ainsi que la valeur ajoutée de leur contribution. Il est impératif d’améliorer leurs conditions de vie. »

Ce syndicaliste plaide pour la restauration des avantages des enseignants, avantages précédemment supprimés par le gouvernement. « Si vous souhaitiez autrefois acheter un véhicule pour un usage professionnel, vous pouviez le faire sans payer de droits de douane. Cet avantage a été supprimé, bien que d’autres fonctionnaires en bénéficient toujours », regrette-t-il. Il propose également l’octroi de terrains aux enseignants. À une certaine époque, rappelle-t-il, lorsque des aménagements étaient réalisés, les fonctionnaires de l’université du Burundi se voyaient attribuer un quota. « Ce sont tous ces avantages combinés qui valorisent le métier », conclut-il.


Interview avec Libérat Ntibashirakandi : « Pour freiner les départs, il faut véritablement une solution politique »

Pour le professeur Libérat Ntibashirakandi, seule la volonté politique peut résoudre la question de départs du personnel de l’université du Burundi.

Quelles sont, selon vous, les causes principales des départs massifs du personnel de l’Université du Burundi ?

Tout d’abord, il est important de noter que le phénomène de fuite des cerveaux au Burundi ne date pas d’hier. Depuis la crise de 1993, de nombreux assistants burundais en formation doctorale à l’étranger ne sont jamais revenus. Cependant, on observe effectivement depuis quatre ou cinq ans une intensification des départs, non seulement parmi les intellectuels burundais, les professeurs d’université et les médecins, mais aussi au sein de la population burundaise en général, avec un nombre croissant de jeunes quittant le pays.

Pour ce qui est des départs actuels, les raisons sont principalement économiques. Avec la dépréciation de la monnaie burundaise et l’augmentation des prix des produits de première nécessité, les salaires deviennent insignifiants. Un professeur d’université ne devrait pas habiter n’importe où; il a besoin d’un logement avec un accès fiable à l’eau et à l’électricité. Or, sans indexation des salaires, les enseignants de l’Université du Burundi vivent des conditions économiques précaires.

La seconde raison concerne les responsabilités familiales des professeurs, dont beaucoup ont des enfants. La qualité de l’enseignement au Burundi s’est fortement dégradée, un problème bien connu depuis des années. Tout parent aspire à offrir à ses enfants une éducation de qualité, leur permettant d’acquérir les connaissances nécessaires pour être compétitifs sur le marché du travail. Les Burundais peinent aujourd’hui à assurer cette bonne éducation à leurs enfants, ce qui pousse certains enseignants à quitter le pays pour offrir à leur famille de meilleures perspectives éducatives, ainsi qu’un meilleur accès aux soins de santé et à une alimentation adéquate.

Enfin, il ne faut pas oublier les questions d’insécurité et la politisation, en quelque sorte, de l’Université du Burundi. La liberté académique est essentielle dans le milieu universitaire. Or, au Burundi, tout intellectuel qui exprime des opinions indépendantes, sans s’aligner sur le discours du pouvoir, est souvent perçu comme un ennemi. Cela décourage les enseignants, et nombre d’entre eux préfèrent partir vers des pays offrant une véritable liberté académique.

En résumé, les raisons économiques, l’insécurité, le manque de bien-être familial, ainsi que la problématique de la liberté académique, sont les principales causes de ces départs massifs.

Votre analyse comparative de l’intelligentsia burundaise par rapport à celle de la région ou d’ailleurs ?

Comme la majorité des intellectuels, les professeurs d’université au Burundi ne sont pas considérés. Ailleurs, dans les pays occidentaux, même dans certains pays africains, quand il y a un souci, un problème, que ce soit un problème économique, un problème de sécurité, une épidémie, etc., ce sont les professeurs d’université qui sont invités sur les plateaux de télévision pour éclairer l’opinion publique sur la problématique.

Autrement dit, dans ces pays, l’intellectuel a de la place et il met en avant l’expertise. Je prendrais l’exemple de la récente pandémie du Covid 19
En Europe, c’était les spécialistes, les enseignants universitaires qui passaient le temps à expliquer à la population cette pandémie. Mais aussi, c’était des académiciens, des universitaires qui étaient sollicités par les pouvoirs, par les dirigeants, pour qu’ils proposent des solutions.

Qu’en est-il au Burundi alors ?

Ce n’est pas le cas au Burundi. Par exemple, pour le phénomène comme la montée des eaux du lac Tanganyika, il aurait fallu mettre en place une commission d’experts, de professeurs d’université, pour qu’ils proposent des voies de sortie.

Nous ne parlons pas de la pandémie du Covid-19 qui a été complètement ignorée. Cette crise de carburant, ces problèmes économiques, quelle est la place du Centre Universitaire de Recherche pour le Développement Economique et Social (CURDES) par exemple ? Est-ce que véritablement, ce centre a été sollicité pour donner ses contributions ? Il y a eu également des conférences qui ont été organisées pour parler des questions économiques, mais est-ce que les recommandations ont été suivies ?

C’est vraiment déplorable que les professeurs des universités burundaises ne soient pas considérés et n’ont pas de place dans la société. Alors que l’université du Burundi c’est le Flambeau (Rumuri).

Est-ce que là on peut dire que cette « déconsidération » participe en quelque sorte à ces départs des professeurs d’université du Burundi ?

Absolument. En fait, ils partent pour trouver des universités ou des centres de recherche qui permettent de revaloriser leurs compétences. Mais aussi ils partent pour chercher mieux. En République démocratique du Congo par exemple, tous les professeurs d’université ont une carte de laissez-passer. C’est-à-dire, sur le territoire de la RDC, ils peuvent voyager librement sans être arrêtés. Et ils sont même prioritaires. Le gouvernement congolais facilite les professeurs d’université à avoir des moyens de déplacement en leur offrant des véhicules.

Certains pays ont tout simplement déjà compris qu’on ne peut pas développer un pays sans ressources humaines compétentes. Et ces compétences sont formées dans les milieux académiques.

Quid des conséquences ?

Avant de répondre à cette question, je tiens quand même à saluer le courage du recteur de l’université du Burundi qui a lancé ce cri d’alarme.

Lorsqu’une université se vide de ses intellectuels, de ses professeurs, les conséquences sont dramatiques. Surtout qu’aujourd’hui, l’université du Burundi ou les universités burundaises en générale, n’avait pas assez d’enseignants. Or, ce sont presque les mêmes professeurs de l’université du Burundi qui enseignent dans les autres universités privées.

Ceci pour dire que d’ici quelques années, il y aura un risque énorme que le Burundi n’aura pas de compétences des citoyens qualifiés pour trouver des solutions aux problèmes qui mineront le Burundi de demain. Ce manque d’enseignants dans les universités burundaises conduira à une situation où des cours vont être dispensés par des incompétents avec comme conséquence la détérioration de la qualité de l’enseignement.

Une autre conséquence, c’est par rapport aux jeunes qui n’auront pas de compétences pour être compétitifs sur le marché du travail, sachant qu’il y a l’intégration régionale. D’ailleurs aujourd’hui, que ce soit dans les banques, les assurances, on retrouve des Kenyans, des Ougandais qui travaillent dans ces sociétés ou entreprises régionales.
Autrement dit, le Burundi risque d’être phagocyté par les pays de la sous-région. C’est un drame national.
Concrètement, si rien n’est fait, le Burundi risquera de faire faillite. Et si ce n’est pas le cas aujourd’hui, il y aura une faillite institutionnalisée si on ne fait pas attention.

L’urgence s’impose donc ?

Absolument. Pour stabiliser cette situation, il faut d’abord créer des conditions qui amélioreraient la vie des citoyens ou le bien-être social. Et un préalable justement pour améliorer ces conditions, c’est d’une part la sécurité, c’est-à-dire la liberté de circulation sur tout le territoire national. C’est aussi l’amélioration de la bonne gouvernance. Que ce soit la gouvernance économique, démocratique, sociale et politique, finalement pour permettre à cette liberté académique d’être une réalité.

Pour que les académiciens, les universitaires puissent s’exprimer librement sur des questions qui minent le pays. Autrement dit, il faut vraiment booster l’économie pour que justement le salaire puisse être augmenté pour ses enseignants et pour les fonctionnaires.

Et finalement, pour que la mayonnaise puisse prendre, il n’y a pas mille solutions, il faut véritablement une solution politique. Même si on ne devrait pas politiser la question de l’enseignement, mais il faut une solution politique qui permettrait à tous ces Burundais qui ont quitté le pays, que ce soit les universitaires ; que ce soit les réfugiés, puissent rentrer, pour que les membres de la diaspora puissent investir au Burundi.

Donc, pour moi, il faudrait un dialogue national inclusif qui permettrait à l’ensemble des Burundais internes ou qui sont à l’extérieur du pays, de pouvoir arriver à un consensus, une sorte de vision nationale de redresser tous les secteurs de la vie nationale.


Rencontre avec Julien Nimubona: « Le gouvernement connaît actuellement une crise de capacités régulatives »

Alors que l’université du Burundi enregistre des départs massifs de son personnel, Iwacu a rencontré Julien Nimubona, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Il fait le point.

Quelle lecture faites-vous de l’alerte du Recteur de l’Université du Burundi sur les départs de son personnel ?

D’abord, il faut dire que l’alerte que le Recteur a lancée ne prend pas en compte un certain nombre d’autres situations. Vous avez des professeurs qui ne sont pas partis, mais qui ne sont pas présents non plus. C’est-à-dire qui vont réserver un peu plus de temps à des consultances extérieures à l’université ou encore à des enseignements dans des universités privées.

Et cela pénalise évidemment l’encadrement au niveau de l’université du Burundi. C’est la première situation qui n’a pas été évoquée. La deuxième situation non évoquée, c’est qu’il y a des enseignants qui ont abusé d’une disposition de la loi sur l’enseignement supérieur qui dit que des professeurs peuvent être détachés pour être au service du gouvernement.

Et ceux qui sont sous décret conservent leur statut d’enseignant à temps plein. Cela signifie qu’ils conservent une place qui aurait pu être réservée à des professeurs à temps plein. Et il y en a beaucoup.

Pour moi, ce sont aussi des départs, mais à l’intérieur du pays. Et donc, il y a plusieurs situations comme ça. C’est une bonne chose que l’autorité de l’université ait lancée cette alerte parce qu’on est retombé dans la situation des années 1990-2000.

Qu’est-ce qui s’est passé à cette époque ?

Les années 1990-2000, on le savait, consécutivement à la crise de 1993, le gouvernement était à genoux sur le plan économique.

À ce moment, il y a eu justement des départs massifs de professeurs de l’université du Burundi vers les pays voisins, en particulier le Rwanda. La situation a commencé comme aujourd’hui aussi par les médecins et s’est enchaîné avec les professeurs d’autres facultés et instituts.

Il y en a qui sont partis au Kenya, au Malawi et même en RDC. Et à la même époque, on se souvient que tous les doctorants qui avaient été envoyés par le gouvernement pour leur formation doctorale à l’étranger ne sont pas retournés.

Mais à partir de 2007-2011, le gouvernement a consenti des efforts visant la stabilisation des personnels enseignants. On a joué sur, à peu près, trois tableaux.

Lesquels ?

Le premier tableau, c’était les primes qui sont réservées aux professeurs aux titres de leurs efforts de recherche.
Et puis, on a joué également sur les indemnités. Et enfin, on a joué sur la solution à un problème qui était posé par les personnels enseignants depuis longtemps. Il y a eu même un procès qu’on a appelé la sentence arbitrale.

Et à travers la sentence arbitrale, le gouvernement a consenti beaucoup d’argent qui a été dépensé à partir de 2011 pour au moins résoudre ce problème de sentence arbitrale. Il fallait aller vite et c’est ce qui a été fait à partir de 2007 par de petites augmentations mais en 2011 c’est là où il y a eu un consentement important avec la sentence arbitrale.

Cela a permis une amélioration conséquente des traitements et donc la situation socio-économique. Il a permis également de faire rentrer pas mal de docteurs. Cela a stabilisé les enseignants. J’aurais aimé pendant la même période aller plus loin avec notamment ce que je pourrais appeler les politiques sociales. Je regrette de ne l’avoir pas fait mais j’avais très peu de temps.

Ces politiques sociales auraient consisté en quoi ?

Premièrement, et cela aurait vraiment augmenté un peu plus les conditions de travail des enseignants, il aurait fallu sans doute jouer sur les indemnités de logements. Parce qu’en fait, nous qui sommes un peu plus vieux, nous avons bénéficié des politiques de logements, c’est-à-dire quand le gouvernement aménageait des parcelles, il y avait des parcelles qui étaient réservées aux enseignants et c’était important.

Deuxièmement, on aurait pu également jouer sur des primes de recherche mais aussi d’exonération sur le matériel pédagogique. Savez-vous qu’avec justement la formation BMD, on doit enseigner autrement. Mais nous disons enseigner autrement sans moyens. Il faut des ordinateurs portables pour chaque enseignant. Il faut du rétro-projecteur. Et cela aurait pu être une incitation assez intéressante.

Alors qu’en est-il aujourd’hui de ces mesures ?

Ces mesures ont été anéanties justement par la crise économique. Depuis pratiquement 2015, les crises économiques se sont succédé exactement. Il y a eu réduction des appuis au développement. Il y a eu également suppression carrément des financements de bourse de coopération qui étaient réservés aux assistants de l’université.

Aujourd’hui, il n’y a plus de départs en formation doctorale. Même les financements de recherche dont bénéficiaient les professeurs d’université dans le cadre des coopérations avec les universités du Nord ont été également arrêtés.

Avec la réforme BMD qui demande beaucoup d’enseignants qualifiés et assistants, les ministres qui se sont succédé ont plutôt supprimé ce qu’on a appelé les heures supplémentaires.

Ce qui a eu pour conséquence de surcharger les rares enseignants qui restent. Et deuxièmement, de bloquer les nouveaux recrutements. Les conditions de travail deviennent dans ce cas insupportables.
Les enseignants sont épuisés alors qu’ils ne gagnent rien. Les conditions pédagogiques conséquentes suite à cette réforme BMD ne sont pas réunies.

Par exemple, il y a beaucoup de médecins spécialistes qui préfèrent rester en Europe ou ailleurs ou qui préfèrent repartir alors qu’ils sont à la Faculté de médecine parce qu’ils n’ont pas de plateau technologique adéquat. Ils n’ont pas le matériel pédagogique adéquat. Et en conséquence, ils estiment qu’ils ne sont pas en train de servir comme ils l’auraient souhaité sans parler encore une fois de leur traitement dérisoire.

C’est aussi au niveau politique. L’absence d’un espace d’expression des problèmes qui s’opposent. Les espaces de revendications ont été restreints, les syndicats sont muets, et donc les gens se débrouillent chacun comme il peut, et les enseignants partent un à un.

Or, c’est cet espace d’expression, de revendication qui permettrait le dialogue entre les personnels et le gouvernement, et par conséquent d’effrayer des chemins ou des brèches de solutions.

Que pensez-vous du budget alloué à l’enseignement supérieur de manière générale et à l’Université du Burundi en particulier ?

Dans le budget général de l’Etat, c’est 12,7% qui sont alloués à l’enseignement supérieur. C’est trop peu.
Il faut savoir ce qu’on cherche. La recherche coûte extrêmement cher. Et dans un sommet des ministres de l’Éducation, de la recherche des sciences et technologies qui a eu lieu en 2012 à Harare au Zimbabwe, le sommet de l’Union africaine, où il y avait aussi des représentants de l’UNESCO, avait recommandé à tous les gouvernements de hausser la recherche au moins à 4% de leur budget.

Aucun pays ne l’a fait jusqu’aujourd’hui parce que tous les régimes autoritaires, ils sont majoritaires en Afrique, n’accordent aucune place à la recherche, à l’intelligence.

Pourtant, lors de la Table ronde sur l’investissement, il n’y a pas eu de présentation sur l’éducation. Votre observation ?

Quand vous avez des discours au sommet de l’État, comme celui du secrétaire général du parti au pouvoir qui dit que x²-1 ne prend pas les termites ailés ; quand vous avez un chef de l’État qui dit qu’un paysan qui produit le maïs n’a pas fait d’ingéniorat mais produit ; quand vous avez ensuite le président de l’Assemblée nationale qui dit que les gens qui partent à l’étranger ne sont pas des patriotes. Cela traduit un malaise ; un problème de la considération de la science ; de la considération des scientifiques ; de la conscience, de l’apport de la science au développement économique.

Or, dans les piliers sur le développement justement, ou plutôt la réussite de la vision 2040-2060, on ne pourra jamais y arriver si on n’a pas le développement du secteur tertiaire, et surtout du secteur de la technologie, de l’information et de la communication qui sont des domaines de recherche par excellence. Je voudrais dire à nos dirigeants qu’aucun pays au monde ne s’est développé sans s’appuyer sur une bonne éducation et sur une bonne recherche.

Quelles conséquences de cette situation sur le plan académique ?

Cela a déjà commencé en fait depuis longtemps, les gens ne s’en rendaient pas compte. J’aurais même dû commencer par là. Le problème particulier des enseignants de l’Université de Burundi c’est un problème général de l’éducation au niveau national. Nous recevons de plus en plus d’étudiants en première année qui ont un niveau très bas. Ce qui montre que le primaire et le secondaire souffrent terriblement d’une qualité insuffisante.

Or, c’est justement au moment où nous affrontons des niveaux bas de qualifications des étudiants que nous voyons les meilleurs enseignants partir et les capacités de recrutement diminuer. Au bout du parcours, c’est-à-dire au bout de la formation universitaire, on va dire, mais on n’a rien, on n’a pas de qualité. C’est une conséquence logique, tout est lié, mais excusez-moi de vous dire que nous parlons d’un problème particulier de l’Université du Burundi, où au moins vous avez des gens qui, de par leur savoir acquis, leurs compétences, ont où se vendre.

Mais il faut savoir que beaucoup d’autres gens partent : des forces de travail, des jeunes qui partent en Tanzanie, au Kenya, en Zambie. Vous avez vu quand on a ouvert les vannes de la Serbie, les vagues qui ont eu lieu, les autres jeunes qui le peuvent, ils partent en Europe, ils partent au Canada, un peu partout dans le monde. Il y a des départs massifs.
Ça serait intéressant de travailler sur les archives de la PAF pour voir combien de passeports on délivre aujourd’hui ou de documents de voyage tout simplement. J’ai l’impression qu’il y a du sauve-qui-peut. Cela touche aussi bien les mal formés, les non-formés, les paysans tout comme les intellectuels.

Que faire alors ?

Mais que voulez-vous que ce gouvernement fasse ? Aujourd’hui, c’est un gouvernement qui est contraint à un budget de fonctionnement uniquement. Les crises de gouvernance que nous avons connues ont entraîné ce que nous appelons les crises de capacités régulatives. Le gouvernement n’a donc pas de moyens. Il n’a pas de ressources suffisantes pour répondre à des demandes qui s’expriment.

Toutefois, la situation est extrêmement urgente. Déjà, il faut un recrutement d’enseignants. Il faut jouer, à mon avis, sur plusieurs tableaux.

Le premier tableau, c’est qu’il faut inciter les enseignants à rentrer. Cela signifie qu’il faut donner des perspectives à nos assistants pour qu’ils aient des bourses de formation doctorale. Plus on en forme, plus on aura des départs, mais aussi des restants.

Deuxièmement, il faut inciter les jeunes docteurs à entrer à l’université. Et pour cela, il faut jouer sur, déjà, la rémunération de base. J’ai écouté à la radio des gens dire « Vous savez qu’un docteur qui entre à l’université touche moins qu’un bachelier ». C’est scandaleux. Donc, il faut une valorisation du doctorat de recherche. Pas tous les doctorats. On galvaude les diplômes parfois.

On peut jouer aussi sur les primes et indemnités. J’ai parlé du logement et de la recherche. Ce sont les primes qui se justifient pour les enseignants. Et ensuite, il faut jouer sur les politiques d’incitation à la recherche, notamment les exonérations qui peuvent être faites sur l’achat du matériel pédagogique. Au Rwanda, par exemple, depuis 2000, ils ont une politique qui encourage même les étudiants à acquérir un matériel informatique. Il suffit de donner un budget à l’université pouvant permettre aux enseignants d’acquérir à crédit et à moindre coût les ordinateurs portables, au moins.

Et enfin, je pense que les professeurs d’université n’ont pas besoin que de matériel. Ils ont besoin ensuite de protocoles, d’écoute, de cas de dialogue, d’échange, où ils parlent de leurs problèmes longtemps avant qu’ils ne se sauvent individuellement.

Par le passé, je me souviens quand j’étais au gouvernement, les enseignants étaient tout autant en grève, réclamant la mise en application de la sentence arbitrale ; réclamant les indemnités de logement, de transport, etc. Aujourd’hui, cela n’est plus d’actualité. Ce n’est pas que les syndicats sont morts, c’est simplement que les syndicats sont muselés.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Jean Pierre Hakizimana

    Un autre exemple de comment Nevaeconomics =Hyperinflation, détruit pratiquement tout sur son passage au Burundi. $100 Vs $4000/mois ! Ceci dans un monde ou les cerveau sont recherchés partout au monde entier! Les courbes devraient commencer a prendre une forme parabolique. Attendez vous au pire!

    Je vais vous donner un exemple de ce qui se passe juste quelques centaines de KM au Nord:

     » Rwanda is bidding to host a Formula 1 grand prix, the country’s President Paul Kagame says. F1 is keen to hold a race in Africa and talks with Rwanda have been known about for some months. The FIA, F1’s governing body, is hosting its general assembly and prize giving in the Rwandan capital Kigali, and Kagame chose its opening to put his official seal on the grand prix project. Kagame said: « I am happy to formally announce that Rwanda is bidding to bring the thrill of racing back to Africa, by hosting a Formula 1 grand prix. »

    Je vous laisse méditer un peu ce que cela veut dire pour l’économie de votre voisin au nord!

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