Dimanche 14 avril, les Evêques catholiques ont fait un diagnostic, sans faux-fuyant, de la vie socio-économique et politique du pays. Risque de monopartisme, assassinats et kidnappings, impunité, une justice corrompue, pauvreté extrême, … Ils n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Un message qui a soulevé un tollé dans certains milieux. Selon un observateur, l’Eglise catholique du Burundi a une autorité morale indéniable, mais elle l’utilise peu.
« De par le passé de notre pays, nous savons combien le Burundi, de manière récurrente, a sombré dans la violence suite à l’exclusionnisme et à la recherche exacerbée du pouvoir. Même aujourd’hui, cela demeure pour nous une préoccupation vu qu’il existe des signes de ceux qui voudraient nous faire revivre le système politique révolu du monopartisme », lancent les Evêques catholiques, réunis au sein de la Conférence des Evêques catholiques du Burundi (CECAB), une déclaration dénommée, « Instruction des Evêques catholiques du Burundi pour le 3ème Dimanche de Pâques).
Pour ces prélats, il est donc nécessaire que soit renforcé un régime qui fasse place à toutes les formations politiques y compris celles qui sont en opposition à l’égard du parti au pouvoir, cela, afin de permettre à tous les citoyens d’exprimer leurs idées par les médias de l’Etat, l’organisation et la tenue de meetings en respect de la loi, sans aucune entrave.
Cela n’est pas suffisant
D’après les Evêques, tout doit être mis en œuvre afin de garantir les libertés individuelles pour pouvoir s’atteler au développement individuel et communautaire. « Ainsi, il sera possible de mieux nous préparer à des échéances électorales prochaines, inclusives, libres et transparentes. De telles élections recevraient alors, sans réserve, l’aval de tous. »
Pour eux, des discours et des décisions prises, mais sans lendemain décrédibilisent les institutions étatiques, surtout lorsque les décideurs ne rendent pas compte de l’état d’avancement et des réalisations en rapport avec leurs responsabilités.
Et de se poser une question : puisque le gouvernement se présente comme « Reta mvyeyi », comment pourrait-il correspondre à cette identité s’il ne développe pas une gestion inclusive, garantissant et promouvant le Bien Commun ? « Au moment où ceux qui sont membres d’autres partis que celui au pouvoir se retrouvent étiquetés comme des ennemis et ne peuvent accéder à des postes de responsabilité alors qu’ils en sont capables, il devient dès lors difficile de s’engager au service du bien commun. »
La justice préoccupe les prélats
Ils rappellent qu’au fur et à mesure que l’impunité s’établit dans la société, le peuple perd la confiance dans les institutions judiciaires et risque ainsi de se décourager, de se faire justice et de commettre des crimes. « Il existe des agents de la justice qui expriment des préoccupations pour leur sécurité à cause du harcèlement de la part de certains cadres les contraignant à enfreindre le droit au lieu de défendre la vérité et la justice. »
D’après eux, des plaintes leur parviennent que l’accès aux postes de travail ne tient pas compte des connaissances, ni du savoir-faire ni des compétences professionnelles, mais qu’il est conditionné par le seul critère de militantisme dans le parti au pouvoir et/ou la capacité de verser des pots-de-vin.
Assassinats et kidnappings
« Il est des personnes qui sont horriblement assassinées ou kidnappées et portées disparues pour des raisons politiques ou autres intérêts macabres, fait frissonner. » Quand bien même quelqu’un serait appréhendé et arrêté par les instances habilitées, poursuivent les Evêques, la justice doit se dérouler dans le respect de la loi, de sorte que la personne soit détenue dans un endroit connu et accessible aux membres de sa famille.
Les prélats lancent un à tous ceux qui nourrissent encore des sentiments de verser le sang des paisibles citoyens comme moyen de faire entendre leur idéologie ou d’ambitionner le pouvoir politique. « Nous exhortons instamment quiconque serait encore habité par cet esprit à remettre l’épée dans le fourreau pour s’atteler à édifier la nation en empruntant les voies qui respectent la dignité de la personne humaine et qui privilégient le dialogue et la concertation. »
Prendre à bras-le-corps la question de la pauvreté
Les Evêques saluent les efforts déployés par les instances du pays qui « se donnent pour augmenter et booster la production agro-pastorale. » Toutefois, indiquent-ils, force est de constater que l’économie du pays peine à se relever.
« De fait, la flambée des prix sur le marché, la dépréciation progressive de la monnaie burundaise, la rareté du carburant et des autres produits de première nécessité et le chômage constituent des raisons qui condamnent la plupart à croupir dans une pauvreté qui ne cesse de s’aggraver. Il est donc urgent que la question de la pauvreté soit profondément étudiée, tout en instaurant des mécanismes de suivi-évaluation. »
Et d’ajouter : « Afin que la population mène une vie paisible, sans désespoir, il est nécessaire que les instances habilitées veillent scrupuleusement au bien commun et que les auteurs des détournements et malversations soient arrêtés et publiquement sanctionnés conformément à la loi. »
Réactions
Tatien Sibomana : « Je suis d’avis avec la CECAB »
Selon Tatien Sibomana, il y a plusieurs exemples qui montrent que cette inquiétude des Evêques catholiques est très fondée.
Premièrement, explique-t-il, chaque fois que le CNDD-FDD voit un autre parti politique qui veut s’implanter de façon pleine sur l’échiquier de la scène politique nationale, il passe à son déchiquetage. C’est-à-dire au fameux phénomène de Nyakurisation.
« Je suis du même avis que la CECAB pour la simple raison que permettre qu’il y ait le pluralisme politique, c’est permettre qu’il y ait compétition entre plusieurs partis politiques. Visiblement, le parti au pouvoir ne veut pas qu’il y ait compétition. Étant qu’il ne veut pas qu’il y ait compétition, il ne peut pas favoriser le pluralisme politique. », lâche Sibomana.
D’après ce politique, au niveau des préparatifs du processus électoral en cours, le gouvernement et le parti au pouvoir viennent de passer à l’étape supérieure pour montrer combien ils veulent consacrer un processus unilatéral.
C’est la raison pour laquelle tous les partis politiques se plaignent qu’ils n’ont pas été consultés dans le cadre de la mise en place du cadre légal et réglementaire de ce processus qui est une étape décisive vers un processus électoral crédible.
Ne fût-ce que sur base de ces faits, considère Tatien Sibomana, il était plus que temps que toutes les forces, y compris la force morale telle que l’Eglise catholique du Burundi, se lève pour dénoncer ça. Et de constater : « Sur certains aspects, la déclaration vient à point nommé, tardive sur d’autres. »
Non seulement ce qu’ont révélé les Evêques, conclut Sibomana, s’il faut scruter tous les aspects socio-économiques du pays, il y a moyen de dire que tout est au rouge. Les Evêques n’ont pas donc tort.
Patrick Nkurunziza : « Les préoccupations des Evêques sont fondées »
« Les prélats de la CECAB passent le gros du temps à écouter les doléances de la population. Ils connaissent par conséquent les conditions de vie de la population. C’est pourquoi leurs préoccupations sont fondées », réagit d’entrée de jeu Patrick Nkurunziza, président du Frodebu.
Selon lui, les prélats de la CECAB ont raison de dénoncer une tentative de retour au monopartisme, à un parti Etat. Il explique que les principaux partis de l’opposition, à commencer par le Frodebu, ont été complètement suffoqués par les institutions, les services ainsi que les moyens de l’Etat.
Et voilà qu’aujourd’hui, insiste Nkurunziza, le parti CNDD-FDD semble vouloir imposer sa ligne directrice aux autres partis. Par ailleurs, poursuit Patrick Nkurunziza, le gouvernement du Burundi, à travers un dialogue national, a conclu que les élections ont été une source de malheurs depuis les années 1960.
C’est pourquoi le président du Frodebu doute fort que les prochaines élections, organisées dans le contexte tel que présenté par les prélats, soient inclusives et rassurantes. « La nomination de la CENI, la préparation et le contenu du Code électoral en disent long ».
D’après Patrick Nkurunziza, tous les signaux sont au rouge. Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer aux multiples déclarations du Chef de l’Etat. Mais également aux conditions de vie actuelles de la population : rareté des produits de première nécessité, les impôts, les taxes et les prix sans oublier la problématique de l’inflation.
Patrick Nkurunziza trouve donc cette déclaration raisonnable. « Il faut un message fort pour prodiguer des conseils aux dirigeants du pays et aux leaders politiques. »
Gabriel Banzawitonde : « L’APDR apprécie le message des Evêques »
D’après le président du parti APDR, le message des Evêques a été peut-être compris différemment. Mais son parti constate qu’il y a beaucoup de choses que ces prélats ont évoquées qui sont réelles sur le terrain.
« Lorsqu’ils disent par exemple que la pauvreté guette le Burundi aujourd’hui, cela s’avère d’une réalité. Quand il y a un manque de courant, d’eau, d’électricité et du carburant, il y a des activités qui s’arrêtent. Cela conduit au chômage intense, mais aussi à la pauvreté ».
Par rapport à ce que les Evêques ont dit au niveau de la sécurité et de la justice, là aussi le président de l’APDR est d’accord avec eux. Il indique lui aussi que des gens sont portés disparus, même pendant la nuit ; d’autres sont arbitrairement détenus.
« Alors, on peut se demander si avec la démocratie qu’on a eue difficilement ; avec le pouvoir issu d’un parti qui a lutté pour cette démocratie, les choses auraient changé. »
D’après lui, on devrait plutôt passer par la voie légale, « car les lois de la démocratie exigent que des emprisonnements arbitraires, des kidnappings ou des élèvements soient arrêtés dans le pays. » Et de s’interroger : « Pourquoi cela n’est pas pratiqué alors que c’est cela qui a caractérisé la lutte du parti au pouvoir d’aujourd’hui ? »
Sa réaction ne se limite pas seulement là. Il indique tout de même que les élections doivent être inclusives comme l’ont d’ailleurs souligné les prélats. « Or, au regard du nouveau Code électoral et les cautions énormes qu’on nous a imposées, cela pourrait entraver la véritable compétition. Certains mini-partis risquent de ne pas participer à ces élections faute de moyens. »
Sur ce, le parti APRD apprécie ce que les Evêques ont dit. Il considère que leur message devrait être analysé afin de trouver des solutions à tous ces problèmes soulevés. Tout en demandant à l’Eglise catholique de monter aussi sa contribution face à tous ces problèmes.
Jean de Dieu Mutabazi : « Une lecture biaisée de la réalité politique »
« Prétendre que le pouvoir voudrait nous faire revivre un système de monopartisme révolu est pour moi une accusation gratuite ou une lecture biaisée de la réalité politique qui prévaut sur le terrain », réagit de prime abord Jean de Dieu Mutabazi, président du parti Radebu.
Cela étant, pour lui, la démocratie, la liberté d’expression, la liberté d’association, sont des réalités au Burundi.
Pour le président du Radebu, les Evêques n’ont pas raison de sortir une telle déclaration bien que certains paragraphes de leur déclaration soient pertinents. D’après lui, ce n’est pas la première fois que des Evêques burundais soient en « déphasage total » avec leurs « ouailles » surtout en politique.
« Les Burundais avisés connaissent l’histoire de l’Eglise catholique au Burundi depuis l’indépendance jusqu’aux événements récents. En 2015, par exemple, les Evêques catholiques ont pris fait et cause des soulèvements. Rappelons-nous du concept Sindumuja de l’Evêque Ntamwana. Et cela conte l’avis et les convictions de la majorité des chrétiens catholiques ».
Il indique que leurs préoccupations ne sont pas du tout fondées. « Les prélats semblent être pessimistes et peignent la situation burundaise en noir. Mais s’ils pouvaient prendre du recul et observer le Burundi avec un autre regard, ils considéreraient que l’impact du COVID 19, des guerres en Ukraine et au Gaza, sans oublier l’est de la RDC, pèsent sur le Burundi. »
Toutefois, observe Mutabazi, des défis dans les domaines de la bonne gouvernance, de la protection et de la promotion des droits de la personne humaine subsistent.
S’agissant des prochaines élections, le président du Radebu reste optimiste. Il souligne que les élections de 2025 et 2027 seront couronnées de succès. « Tenant compte de l’histoire de notre pays, en particulier les pages sombres sous les dictatures des trois premières républiques. Considérant les dix ans de guerres civiles consécutives à l’assassinat du président Ndadaye Melchior, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que les élections de 2025, qui constituent le 5è cycle d’élections depuis 2005, se dérouleront paisiblement, démocratiquement et en toute inclusivité. »
Kefa Nibizi : « Les prélats ont parfaitement raison »
D’après Kefa Nibizi, président du parti Codebu iragi rya Ndadaye, l’Eglise catholique ne peut pas manquer à s’inquiéter quand elle voit des signaux rouges qui pourraient perturber la paix et la quiétude de leurs chrétiens, et d’ailleurs de tous les Burundais.
Selon Nibizi, l’Eglise catholique représente une grande partie de la population burundaise. Et les évêques catholiques, étant citoyens burundais, ont des droits civiques et politiques, comme tout autre Burundais.
Cela veut dire pour lui que quand il y a des maux qui s’abattent sur le Burundi à travers les dérives politiques, ils touchent beaucoup plus les catholiques parce qu’ils sont nombreux.
« Vous comprenez que l’Eglise catholique, soucieuse d’une bonne vie socio-économique de la population, et plus pratiquement de leurs chrétiens, ne devait pas se faire une sonnette d’alarme pour empêcher toutes ces dérives qui pourraient perturber la paix, la sécurité, la quiétude du peuple burundais. »
Kefa Nibizi fait savoir que les dérapages politiques occasionnent beaucoup de dégâts dans un pays. Et touchent directement sur la foi. Sur ce, considère-t-il, les prélats ont parfaitement raison de prévenir de tout ce qui peut compromettre même la foi des chrétiens.
M. Nibizi répertorie d’ailleurs des faits qui corroborent cette affirmation et qui justifient que les prélats n’ont pas tort de mentionner que le Burundi tend vers la dérive du monopartisme.
« Au regard du cas récent du CNL, la manière dont la CENI a été mise en place et sa composition, un Code électoral très liberticide et qui a suivi un processus unilatéral dans sa mise en place et qui consacre l’exclusion e. À écouter la concordance de différents discours des hautes autorités du pays et du parti au pouvoir, il y a lieu de parler d’un retour en force de cette tendance monopartisane. »
Quant aux prochaines élections, Kefa Nibizi indique qu’il faut être ignorant et dupe pour affirmer que depuis pratiquement l’indépendance, les élections, à quelques exceptions près, ont été organisées dans la transparence. « Ce n’est donc pas le CNDD-FDD qui va organiser des élections remplissant des normes démocratiques. », charge-t-il.
Kefa Nibizi va plus loin en montrant que quand bien même il y a un multipartisme que l’on peut qualifier d’apparence, le pluralisme médiatique et la tenue régulière des élections, tout est rouge. Pas de tendance positive en matière démocratique.
Il appelle ainsi toutes les forces vives de la nation qui veulent le changement politique, social et économique profond à conjuguer leurs efforts pour organiser une trame d’observation électorale quitte à permettre d’avoir les résultats de tout le pays, parallèlement aux résultats de la CENI pour faciliter des réclamations fondées.
Et de conclure : « Au cas contraire, les prochaines élections constitueront un tournant vers un retour au monopartisme. Car, il y a un risque qu’au lendemain desdites élections, le pouvoir va durcir encore les conditions d’existence des partis politiques à tel point que certains partis vont s’effacer de la scène politique. »
Aloys Baricako : « La population ne doit pas céder »
Comme l’ont dit les Evêques catholiques, indique le président du parti Ranac, le monopartisme est déjà consacré au Burundi. « Toutes les institutions de la République sont vouées à la seule cause du parti Cndd-Fdd. On n’a jamais vu de contradiction entre les deux chambres du Parlement. Elles convergent toujours sur la même chose. Ailleurs, il y a des débats contradictoires quand il s’agit de voter des lois. Nous avons un seul parti qui a la majorité nécessaire pour faire passer les lois. »
Pour Aloys Baricako, il revient aux partis politiques de conjuguer leurs efforts pour casser ce monopartisme. « Il faut éduquer la population burundaise. Il faut faire de bons programmes pour que la population puisse changer et voter d’autres partis. Des députés de plusieurs formations politiques sont nécessaires pour qu’on puisse assister à un débat au niveau de ces institutions. »
Concernant les malversations économiques et les détournements, le président du parti Ranac indique que leur dénonciation est problématique. « Même si on dénonce, il n’y a pas de sanctions. C’est le même système qu’on retrouve à l’exécutif, au législatif et au judiciaire. Il s’agit d’un groupe de gens qui font tout pour s’accaparer des richesses du pays. »
Faustin Ndikumana : « Actuellement, le Cndd-Fdd est en train de se bunkériser dans une tour d’ivoire. »
D’après le directeur national de Parcem, les Evêques catholiques ont parfaitement raison et nous les félicitons de ce rôle de sortir de leur silence lorsque la patrie en danger les y appelle. « Par ailleurs, leur message contient des éléments qui ont été évoqués par d’autres acteurs, mais la différence est que c’est un message communiqué par des personnalités dont la respectabilité, l’autorité morale et l’influence dans la société sont d’une importance inestimable. »
Pour ceux qui ne le savent pas, poursuit-il, les interventions régulières des Evêques catholiques tirent leurs sources dans le document appelé « Doctrine sociale de l’Eglise » élaboré par le Conseil pontifical Justice et Paix.
C’est un document très important qui analyse la vie du chrétien au niveau multidimensionnel : spirituel, social, économique et politique. Il est mentionné dans ce document : « L’Eglise apprécie le système démocratique comme système qui assure la participation des citoyens aux choix politiques et garantit aux gouvernés la possibilité de choisir et de contrôler leurs gouvernants ou de les remplacer de manière pacifique lorsque cela s’avère opportun. Cependant, l’Eglise ne peut pas approuver la constitution de groupes de dirigeants restreints qui usurpent le pouvoir de l’Etat aux profits de leurs intérêts particuliers ou à des fins idéologiques. »
Or, poursuit Faustin Ndikumana, on voit que le parti au pouvoir essaie de remuer ciel et terre pour rester maître du jeu et rester seul sur l’échiquier politique burundais en verrouillant l’espace politique et institutionnel. « Le Parlement et le gouvernement sont monocolores, la justice est kidnappée par l’exécutif. Ce dernier est sous la coupe du parti au pouvoir. »
Faustin Ndikumana doute de la tenue des élections équitables et inclusives. « Normalement, chaque élection est une compétition. Or, chaque compétition a des règles du jeu auxquelles souscrivent tous les compétiteurs. Lorsqu’ils sont fixés par un des participants, il est compréhensible que ces règles soient taillées sur mesure à sa propre guise. Les dés sont pipés d’avance. »
Selon le directeur national de Parcem, le Cndd-Fdd est actuellement en train de se bunkériser dans une tour d’ivoire alors que les difficultés économiques, sociales sont en train d’asphyxier le pays.
Pour lui, le parti au pouvoir n’y échappera pas, car le pilotage et l’issue du processus électoral actuel vont influencer la solution aux problèmes. « Le Cndd-Fdd est dans un tournant et il est devant ses responsabilités et devant l’Histoire. Les vagues de bouleversements économiques seront irrésistibles à telle enseigne que le pays et le Cndd-Fdd risquent de sombrer dans la noyade collectivement. »
Quant aux Evêques catholiques, Faustin Ndikumana ne fait que les encourager pour leur droiture. « On sait qu’ils ont toujours eu des problèmes avec les régimes politiques qui leur étaient contemporains, mais ils l’ont fait toujours avec courage, détermination et impartialité. »
Et d’ajouter : « La preuve est qu’au moment des régimes dits « Tutsi » comme sous Bagaza quand l’Eglise lui résistait, la majorité des Evêques étaient Tutsi. Actuellement, sous les régimes dits « Hutu », la majorité des Evêques sont Hutu. Toutefois, leurs messages restent fermes et adressés aux dirigeants sans complaisance. »
Hamza Venant Burikukiye : « Les Evêques ont réagi sur les rumeurs et le sensationnel. »
« Dire qu’au Burundi, on risque de nous retrouver dans le monopartisme, c’est déconsidérer les plus de 30 partis politiques qui existent et fonctionnent au vu et au su de tout le monde sauf les aveugles et les sourds », réagit le représentant légal de l’Association Capes+.
Pour lui, lorsque cette affirmation n’émane pas des partis politiques, cela reste une affirmation gratuite et sans fondement.
Hamza Venant Burikukiye trouve que se préoccuper pour un bon et serein climat politique qui doit caractériser la période d’avant, pendant et après le scrutin est un souci légitime partagé par tout citoyen honnête, patriote et épris d’esprit démocratique. « Mais alarmer ou s’inquiéter sans évidences est une incitation à la panique et au désespoir. »
Or, poursuit-il, les respectueux Hommes de Dieu comme les Evêques d’une respectueuse religion catholique devraient apaiser les esprits, favoriser la prière au lieu de donner des messages qui sèment la peur, la panique et le désespoir. « Franchement parlant, les Evêques ont réagi sur les rumeurs et le sensationnel. »
Concernant les prochaines élections, M. Burikukiye indique que la Ceni sera jugée par ses actes et non par des suspicions, des préjugés ou toute autre manipulation tendancieuse et hypocrite. « Restons sereins, confiants, vigilants et rassurés et savoir jouer le fair-play pour s’incliner face aux résultats des urnes. »
Emery Pacifique Igiraneza : « Le cri d’alarme des Evêques catholiques du Burundi est bien fondé et véridique. »
« C’est un message courageux, juste et qui résume la situation socio-politico -économique et sécuritaire qui règne aujourd’hui au Burundi », indique le président du Mouvement d’Actions Patriotiques, MAP-BURUNDI BUHIRE.
Sur le terrain politique, souligne-t-il, seul le Cndd-Fdd est autorisé à organiser des activités de campagne : croisades de prières, journées diverses, descentes dans toutes les communes du pays, etc. « Parallèlement à ces activités autorisées du Cndd-Fdd, le ministre de l’Intérieur musèle les autres formations et autorise des congrès illégaux juste pour diviser les partis d’opposition en ailes. Le cas récent du CNL illustre bien la volonté délibérée et manifeste d’instaurer le monopartisme de fait. »
Emery Pacifique Igiraneza fait savoir que le cri d’alarme des Evêques catholiques du Burundi est bien fondé et véridique. « Nous trouvons que le but du message des Evêques reste toujours la recherche et la sauvegarde du bien-être et l’intérêt général des Burundais et du pays. »
D’après M. Igiraneza, l’Histoire retiendra que les Evêques catholiques et bien d’autres organisations auront prodigué des conseils aux autorités du pays d’éviter la dictature militaire et le retour au monopartisme. « L’Histoire retiendra que le CNDD-FDD a peur de la compétition, d’où le choix de faire taire toute organisation politique ou apolitique qui dénonce les dérives du système DD. »
Selon le président de MAP-BURUNDI BUHIRE, les signaux sont au rouge. « La situation est dramatique pour le pays et pour le peuple burundais dans son ensemble. Vous vous imaginez ce que sera le Burundi si le Cndd-Fdd reste au pouvoir jusqu’à en 2034 ! Le président Ndayishimiye lui-même a reconnu le risque de faillite de l’Etat burundais. Après 19 ans de pouvoir du Cndd-Fdd, le bilan est désastreux dans tous les secteurs de la vie nationale. »
D’après lui, les élections de 2025 et 2027 seront de façade et de complaisance. « La démocratie que l’on chante est un leurre. En aucun cas ces élections ne seront transparentes, inclusives, impartiales et crédibles. La stratégie des dignitaires issus du Cndd-Fdd est toujours d’endormir les Burundais par l’hypocrisie de belles promesses qui s’envolent comme le souffle dans le vent. »
S.N : « Le silence est devenu la norme et la dénonciation l’exception. »
D’après cet activiste de la société civile, la répression de toute idée dissonante a déjà produit ses néfastes effets. « Le pays est tétanisé par la peur au point que la dénonciation de crimes ou toute critique constructive sont devenues tellement rares au point qu’ils nous semblent sortir de la normalité. Le silence est devenu la norme et la dénonciation l’exception. »
Pour lui, c’est normal que l’Eglise catholique pointe du doigt ce qui ne marche pas dans une approche positive et constructive. « C’est le silence d’autres forces vives de la Nation qui est étonnant face à cette déliquescence de l’Etat. »
Quant aux prochains scrutins, il rappelle que les élections supposent une compétition des projets de sociétés portés par des partis politiques qui travaillent librement dans un pays où les droits et libertés civiles et politiques sont assurés par les pouvoirs publics. « Or, depuis 2010, le Cndd-Fdd s’est activé à disqualifier tous ses adversaires politiques qui portaient de projets capables de constituer une alternative au régime actuel. Nous sommes dans un Etat dirigé par un parti unique qui a caporalisé les pouvoir régaliens. »
D’après lui, la mise en place de la Ceni tout comme la loi électorale taillées sur mesure du parti de l’aigle a été une aventure solitaire menée par les caciques du régime qui veulent se maintenir à tout prix. « Dans ces conditions, parler d’élections libres et inclusives serait une grande et utopique illusion. »
Il pense que le chaos qui règne dans tous les secteurs de la vie nationale merite pourtant pour le dialogue et l’ouverture. « Mais voilà, peut-être la bonne marche du pays n’est pas prioritaire pour tout le monde. Le parti semble primer sur la Nation aux yeux du parti au pouvoir. »
Gabriel Rufyiri : « C’est bien clair que les biens publics ne sont pas protégés »
Selon le président de l’Olucome, les Bergers des cœurs et de l’esprit ont un devoir moral de veiller à ce que le citoyen ait une vie décente. « Le message qu’ils ont donné est un message normal. Je ne sais pas s’ils avaient déjà donné un message verbal aux autorités avant de le rendre public. Ce qui est sûr est que tout le monde voit que la population croupit dans la pauvreté, car les chiffres sont clairs. Concernant la justice, même les autorités le clament haut et fort. »
En demandant que les auteurs des malversations économiques et de détournements soient traduits devant la justice, le président de l’Olucome trouve que les Evêques catholiques ont joué leur rôle. « C’est bien clair que les biens publics ne sont pas protégés. Si dans un pays, il y a des gens qui peuvent avoir plus de 150 maisons, 55 véhicules, c’est normal de le dénoncer. De plus, les mandataires publics ont refusé de déclarer leur patrimoine alors que la loi les y oblige. La loi contre le blanchiment des capitaux exige que tous ceux qui déposent dans les banques plus de 20 millions de BIF doivent justifier l’origine de ces montants, mais ça ne se fait pas. Dire qu’au Burundi, les voleurs de la République sont devenus plus forts que l’Etat, on ne se trompe pas. »
Gabriel Rufyiri rappelle que les Evêques ont également parlé du monopartisme. « Sur cette question, je vais m’exprimer comme un simple citoyen. Avoir un seul discours dans un pays n’est pas un principe de bonne gouvernance. Par exemple, décider que les médias ne diffusent pas, en temps réel, les résultats le jour du scrutin, ça n’augure rien de bon. Dans un pays pauvre comme le Burundi, exiger une caution de 100 millions de BIF pour être candidat n’augure aussi rien de bon. »
Le citoyen Rufyiri trouve également que voir un parti comme le Cnl, 2ème force politique, être privé de son leader charismatique n’est pas une bonne chose pour la démocratie. Pour lui, le déchirement des partis politiques devait inquiéter le pouvoir et tous les citoyens qui militent pour qu’il y ait les principes de bonne gouvernance. « Avec cette situation, on ne peut pas prétendre qu’il peut y avoir des élections libres, transparentes et compétitives. »
Eulalie Nibizi : « C’est pire que ce que nous avons vécu à l’époque du monopartisme. »
Cette activiste des droits humains abonde dans le même sens que les Evêques catholiques. « Ces considérations sont fondées et inquiétantes et il faut alerter à temps pour que l’autorité rectifie le tir. Il est de leur devoir de citoyens et de leaders d’opinion de prévenir les catastrophes qui ont souvent jalonné les processus électoraux. »
D’après Eulalie Nibizi, le système n’admet pas de diversité des opinions politiques. « C’est pire que ce que nous avons vécu à l’époque du monopartisme. »
D’après elle, refuser aux partis de l’opposition de se réunir pour réaliser leur programme en toute indépendance, c’est étouffer une partie du peuple. De plus, poursuit-elle, obliger les partis politiques de s’allier au parti dirigeant ou devenir son ami n’est autre qu’une limitation de la participation démocratique.
D’ailleurs, poursuit-elle, il y a un affaiblissement des partis politiques par divers moyens : persécution des membres de partis politiques actifs ou atteinte à leur sécurité, création de dissidences, interdiction de réunions et destruction des biens des partis politiques, vandalismes, incendie des bureaux …
Eulalie Nibizi parle également de la restriction des libertés fondamentales : la liberté d’association et de réunion, la liberté de manifester pacifiquement. « La presse est prise en otage suite à la censure et l’autocensure. Le pouvoir persécute les lanceurs d’alerte et les défenseurs des droits humains, car le monopartisme n’admet pas de surveillance et de dénonciation. »
Eulalie Nibizi reste confiante que les élections inclusives et crédibles sont possibles à condition qu’il y ait une volonté politique de diriger dans la paix et de stabiliser le Burundi. « Par ailleurs, les hommes politiques burundais n’ont-ils pas suffisamment appris les leçons à conséquences funestes des atrocités commises pendant les processus électoraux des années antérieures ? N’ont-ils pas retenu qu’on ne peut pas se réjouir d’un pouvoir conquis sur fond d’exclusion, d’injustice et de répression ? »
Cette activiste des droits humains compte sur les jeunes « qui doivent être fatigués de l’inefficacité des institutions issues des élections gagnées par la violence et incapables de résoudre les défis économiques, sociaux et sécuritaires qui persistent. »
Nous avons essayé de joindre Doriane Munezero, secrétaire nationale chargée de la communication du parti CNDD-FDD, en vain.
Eclairage
Denis Banshimiyubusa : « La CECAB n’a joué que son rôle d’intermédiaire et d’agrégation des intérêts »
« De quel droit ou en qualité de qui, l’Eglise catholique a-t-elle fait cette intervention ou, d’où l’Eglise catholique tire le droit et la légitimité de faire cette intervention. » C’est l’une des grandes questions que Denis Banshimiyubusa estime que l’opinion se pose.
Pour lui, trois aspects méritent d’être soulevés pour répondre à cette question.
Premièrement, la CECAB est composée d’Evêques qui sont d’abord des citoyens. Ce sont des citoyens burundais à part entière. La qualité d’être pasteurs n’altère en rien la qualité d’être citoyen. Or, d’après la constitution, notamment dans son article 31, tout citoyen a le droit de s’exprimer sur la vie nationale de son pays. Et l’Etat doit respecter son opinion, son idée ou son expression.
Consécutivement à ce premier aspect, avance le politologue, c’est que la CECAB représente une grande partie de la population burundaise. C’est la principale force morale du pays. Il explique que l’Eglise catholique compte plus de 60 % des citoyens burundais d’après le recensement général de la population et de l’habitat de 2008.
Le troisième aspect pour ce professeur d’université est que la CECAB est composée d’hommes sages, la plupart d’entre eux ont plus de 60 ans, mais aussi d’hommes avec un niveau intellectuel hautement élevé.
La CECAB a joué son rôle
D’après toujours Denis Banshimiyubusa, l’Eglise catholique, à côté d’autres groupements, fait partie de ce qu’on appelle les groupes d’influences ou d’intérêts. « Elle a, à cet effet joué son rôle d’intermédiaire et d’agrégation d’intérêts ; c’est-à-dire faire parvenir aux dirigeants, les doléances de la population. »
D’après le politologue, c’est ce message qui vient à point nommé, du moment que nous n’avons plus d’autres forces pour élever la voix.
« Dans un pays où nous avons presque un monopartisme de fait ; où des voix discordante et critique se sont éteintes. Où il n’existe presque plus de véritables partis d’opposition et d’associations sans but lucratif qui peuvent jouer le rôle de chien de garde. Où il n’existe presque plus de syndicats qui peuvent s’exprimer et des intellectuels qui osent lever leur petit doigt pour s’exprimer ou donner leurs idées philosophiquement, je pense que l’Église catholique est dans son rôle. »
L’Etat burundais n’a qu’à prendre en considération ce message
Selon ce spécialiste des élections, cette déclaration ne devait pas être une Pomme de discorde entre l’église et l’Etat. « Elle devrait plutôt inciter le gouvernement burundais à être, lui aussi, dans son rôle. Celui d’écouter les citoyens. Et parmi les citoyens, figure en premier lieu la CECAB qui représente une importante proportion de la population. L’Etat burundais n’a qu’à prendre en considération ce que vient de dire la CECAB. »
Il indique d’ailleurs qu’il y a une forte inquiétude que la situation que vient de peindre la CECAB est réellement celle qui conduit à penser qu’on risque de ne pas avoir de bonnes élections en 2025 et en 2027.
« A voir comment la CENI a été mise en place unilatéralement par le parti au pouvoir ; la manière dont le Code électoral est en train de cheminer pour devenir une loi et cela presque unilatéralement. A voir comment le principal parti d’opposition, le CNL est en train de subir les secousses en interne, mais aussi avec des interventions du ministère de l’Intérieur. Le gouvernement devait tenir compte de cette sonnette d’alarme de la CECAB. »
Une énième sortie musclée des Evêques catholiques plutôt car le peuple en a les habitudes. A la veille de chaque échéance électorale, au lendemain des drames, l’Église catholique s’est toujours manifestée! Que retenir de leur sortie? A chacun/e d’apprécier. Tenez:
En 1973, pour l’Église catholique « la justice est possible, la paix aussi ». Première sortie significative de nos Pasteurs. Dans leur lettre pastorale publiée en 1973 par exemple, les évêques du Burundi affirmaient à qui voulait les entendre que « la justice est possible, la paix aussi ». Nous sommes au lendemain des pires massacres aux allures génocidaires de 1972 où 300’000 ennemis de la Nation ( selon la version officielle) ont été massacré et où même les églises ne furent pas épargnées car les pasteurs, les prêtres, les religieux et les religieuses furent recherchés et tués par dizaines, voir par centaines. Évidemment que la paix et la justice sont toujours possibles ! Mais après 300’000 morts, de quelle paix et de quelle justice s’agissaient-elles? La paix des morts et la justice de Dieu ? Peut-être! L’histoire nous le dira mais treize ans plus tard, une nouvelle réflexion s’invite dans le débat.
En 1986, « vivre ensemble ».
Sous la conduite de la même Eglise, avec feu Mgr Bududira Bernard à la tête, des conclusions d’une réflexion sur le thème « vivre ensemble » animent les conversations dans ce Burundi. Des éloges fusent de partout mais ce « vivre ensemble », se transformera rapidement en cauchemar. Deux ans plus tard, c’est l’hécatombe avec les massacres de Ntega et Marangara où plus de 50’000 citoyens de ce monde appelé à « vivre ensemble » périront sous les balles de leurs semblables.
A travers une lettre ouverte, des intellectuels dénonceront cette barbarie mais curieusement, aucune prise de position des théoriciens du « vivre ensemble » ne se fera entendre. Au contraire, d’autres membres du clergé s’en prendront plutôt aux signataires de la lettre ouverte comme si les faits dénoncés n’avaient pas eu lieu (lire à ce propos les commentaires de la lettre ouverte du 22 août 1988 par des professeurs d’université du Burundi dont deux prêtres). Alors, que dire de cette réflexion sur le « Vivre ensemble » ? Une énigme !
En 2015, « Sindumuja »
Un appel de l’Eveque Simon Ntamwana, à la veille des élections de 2015, devenu, avec le temps un slogan officiel des hommes et femmes qui combattent le pouvoir. Avec bonne ou mauvaise intention au départ, le monde retiendra l’impact du slogan dans le subconscient collectif de la population. Au nom de « Sindumuja », on a tué son semblable. « Sindumuja » égalait opposant politique. « Sindumuja » pour demander le rapatriement des militaires burundais en mission pour le maintien de la paix dans le monde avec les conséquences que l’on connait. « Sindumuja » pour appeler le monde à asphyxier le Burundi, son peuple et son économie. Mais ce qui a étonné toujours, fut le silence de l’auteur !
2024, à la veille d’une nouvelle échéance électorale , voilà « Une (nouvelle) sortie musclée des Evêques catholiques ». Bonjour les dégâts!