Lundi 25 novembre 2024

Editorial

Une puissance qui dépasse l’administrateur

17/12/2021 8

Omniscients, omnipotents, omniprésents… ». C’est ainsi que se qualifiaient les étudiants qui venaient de passer plus d’une
année à l’université du Burundi envers les nouveaux, lors de l’opération dite de « bizutage. » Ils prétendaient avoir une
connaissance approfondie de toutes choses, des « Madame ou Monsieur je sais tout », avec une autorité absolue, sans borne.

Les administrateurs communaux décrits ou voulus par le ministre de la Fonction publique et de l’Emploi seront-ils de cette catégorie ? Les propos tenus par le ministre Thaddée Ndikumana lors d’une réunion avec les administrateurs communaux des provinces Cib- itoke, Bubanza et Bujumbura risquent d’être mal interprétés et de porter préjudice au fonctionnement même des services publics. « Enseignants, médecins, moniteurs agricoles … devront rendre des comptes aux administrateurs communaux et seront payés sur base de leurs performances. » Selon le ministre, tout employé de l’Etat, qu’il soit sous-contrat ou sous-statut, qui œuvre au sein de la com- mune est tenu de dresser un rapport à l’administrateur.

Pour plusieurs analystes, ce discours sème la confusion. « Un administrateur peut être exposé à toutes sortes d’abus du pouvoir. Ce qui entraîne le chambardement et la politisation à outrance des services publics », commente un juriste. Il explique qu’un admin- istrateur communal coordonne, certes, toutes les activités dans sa commune « mais, cela ne signifie pas que c’est lui qui les gère, les dirige. » Un avis partagé par la société civile. « Instituer l’administrateur comme chef hiérarchique de tous les services de sa commune, c’est pratiquement impossible », prévient le vice-président de la
Confédération Syndicale du Burundi.

Les réactions de certains administrateurs, après la réunion, donnent raison à ces analystes. Un administrateur se voit déjà exercer cette super puissance. C’est le cas de celui de Rugazi, en province Bubanza, qui clame déjà : « Ces nouvelles dispositions nous per- mettront d’assurer le contrôle absolu des tâches exercées dans tous les domaines ».

D’autres se demandent ce que feront les directeurs communaux de l’enseignement, de l’agriculture et de l’élevage ou de santé. Par ailleurs, les administrateurs communaux sont-ils outillés pour gérer tout ce qui se passe dans tous les domaines ?

Le ministre est invité à clarifier ses propos. Il y a des lois qui spécifient les attributions, les pouvoirs et les compétences d’un administrateur communal. Elles seules doivent guider l’autorité communale. Sinon c’est la confusion garantie.

Forum des lecteurs d'Iwacu

8 réactions
  1. Gacece

    Dans toute organisation administrative, il y a une hierarchie. Il serait absurde qu’un enseignant ait à remettre des rapports à l’administrateur plutôt qu’au directeur de l’école. Dans le même ordre d’idée, pourquoi un moniteur agricole irait remettre son rapport directement à l’administrateur plutôt qu’à l’agronome. La meilleure façon pour l’administrateur d’obtenir ces rapports serait de le recevoir périodiquement des chefs de services communaux.

    Au niveau de l’efficacité et de l’efficience, un défilé de toutes les employés de la commune, au bureau de l’administrateur communale, n’est pas la meilleure solution… parce que ce serait « administrativement » ingérable. La meilleure façon d’accomplir cette tâche serait qu’à chaque debut de mois, chaque chef de service remette tous les rapports mensuels de ses subalternes à l’administrateur. Par exemple, un directeur d’école pourrait se charger de recevoir les rapports mensuels de tous les enseignants sous son autorité et les remettre au bureau de l’administrateur.

    Quant à ce que fera l’administrateur des rapports reçus, je présume que c’est dans le secret des dieux.

  2. arsène

    « Selon le ministre, tout employé de l’État, qu’il soit sous-contrat ou sous-statut, qui œuvre au sein de la commune est tenu de dresser un rapport à l’administrateur. »

    Il s’agit bien de propos tenus par le ministre de la fonction publique. Que l’on sache, les administrateurs ne sont pas des fonctionnaires. Ils sont sous tutelle du ministère de l’intérieur.
    C’est à cela que doit s’attendre le président lorsqu’il privilégie le jeu des chaises musicales. Si un ministre a est bon pour gérer la « Santé publique », il doit être maintenu à ce poste. Et s’il est mauvais, il doit être remercié. Ceci est valable pour n’importe quel poste ministériel. Maintenant, s’il est mauvais à la « Santé publique », il est discutable qu’il se retrouve subitement bon à la Fonction publique.

    • Stan Siyomana

      @arsène
      1. Vous écrivez: « Maintenant, s’il est mauvais à la « Santé publique », il est discutable qu’il se retrouve subitement bon à la Fonction publique… »
      2. Mon commentaire
      Tant que le Président de la République et le Premier Ministre estiment que tel citoyen burundais peut occuper un poste ministériel, ils peuvent le nommer à ce poste.
      Même ailleurs dans d’autres pays, il y a des ministres qui changent de portefeuille.
      « Tedros Adhanom Ghebreyesus, né le 3 mars 1965 à Asmara (Empire éthiopien), est un homme politique éthiopien.
      Ancien ministre de la Santé (2005-2012) et des Affaires étrangères d’Éthiopie (2012-2016), il est directeur général de l’Organisation mondiale de la santé depuis le 1er juillet 20172… »
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Tedros_Adhanom_Ghebreyesus

      • arsène

        Je ne peux m’empêcher de constater que l’Éthiopie n’est pas ce qu’il y a de mieux comme exemple. Cependant, je suis tout à fait d’accord avec vous que c’est la pratique du jeu de chaise musicale n’est pas une particularité burundaise, loin de là. Partout où le président nomme qui il veut, selon des critères qui lui sont propres, il faut être dans des pays démocratiques pour que cela marche (désolé de sous-entendre que tant l’Éthiopie que le Burundi ne me semblent pas encore réellement démocratiques – il y a encore pas mal de chemin à parcourir).
        Dans différents pays démocratiques, on observe aussi des jeux de la chaise musicale mais il y a quand même certaines limites.
        Je dirais notamment que (i) dans des systèmes où les élections sont organisées de sorte qu’elles soient susceptibles d’être perdues par les partis au pouvoir, (ii) des systèmes où le peuple peut s’exprimer librement; son choix étant respecté par le pouvoir en place, (iii) des systèmes où les citoyens peuvent manifester pacifiquement sur la place publique sans craindre les tirs de la police ou des peines arbitraires de plusieurs dizaines d’années de prisons et aussi (iv) des systèmes où la presse est libre (dans le sens où elle peut avoir le droit d’aborder des sujets politiques sans craindre la fermeture ou l’emprisonnement (ou au pire la mort) des journalistes et j’en passe, la nomination se fait sur base d’en certain nombre de critères quoique certains soient parfois absurdes.
        Je me rappelle d’un cours que j’ai eu sur la démocratie où l’on nous répétait que la différence entre un politique et un fonctionnaire est que le premier est élu et le second nommé. C’est bien sûr de la théorie. Dans certains pays, ce jeu de chaise musicale ne se traduit pas par les échecs que connaissent nos pays pour la simple raison que ceux qui sont nommés ont déjà plusieurs années d’expérience dans l’exercice de responsabilité. Ce n’est pas le cas au Burundi où des personnes sont limogées pour leur incompétences tambour battant et nommés à de plus hautes fonctions le lendemain.
        Il y a cependant des pays où ce genre de jeu de chaise musicale est rare et surtout que la permutation d’un ministre n’émane pas du bon vouloir d’une seule personne. Je peux citer le système de démocratie directe suisse où tous les membres du gouvernement sont élus et ne peuvent être limogés que par démission (parfois poussés vers la sortie par leur parti ou par la presse!).

    • Stan Siyomana

      @arsène
      1. Vous écrivez: « Si un ministre a est bon pour gérer la « Santé publique », il doit être maintenu à ce poste… »
      2. Mon commentaire
      Andreï Andreïevitch Gromyko doit avoir battu le record puisque il a été Ministre des Affaires Etrangères de l’Union Soviétique très longtemps.
      « Il est ministre des Affaires étrangères sans discontinuité pendant 28 ans de 1957 à 1985…
      14 février 1957 – 1 er juillet 1985, soit 28 ans, 4 mois et 17 jours… »
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Andre%C3%AF_Gromyko

      • arsène

        Je dirais seulement que ce n’est pas parce qu’ils restent longtemps que tout va bien dans leur pays. On connaît des hommes d’État qui sont devenus indéboulonnables mais sont-ils pour autant ceux qui font mieux pour leur population? J’en doute. Regardez ce qui se passe en Guinée équatoriale, au Cameroun, au Congo (Brazzaville), en Ouganda,…. Je pourrais aussi ajouter le Zimbabwe de Mugabe, ou l’Algérie de Bouteflika,…
        Il y a des invariants chez ces dirigeants: ils ont un terreau de personnalités dont ils ne se séparent jamais et qui passent de ministère à ministère ou se trouvent toujours à la tête de telle ou telle autre institution comme si personne d’autre ne pourrait occuper ces fonction. Je comprendrais si c’était pour le bien de la population, ce qui est rarement le cas.

        • Stan Siyomana

          @arsène
          Amir Habib Jamal yari umutanzaniya wo mu bwoko bw’abahinde (Gujarati).
          « In 1962, Jamal joined the Tanganyika African National Union (TANU) as its first non-African member.[10]…
          Amir Habib Jamal (26 January 1922 – 21 March 1995) was a Tanzanian politician and diplomat who served as a Minister under various portfolios in the Julius Nyerere administration.[1][2] He represented the parliamentary constituency of Morogoro from 1960 to 1985,[3] and was Tanzania’s longest-serving Finance Minister and led the ministry for about 12 years…
          Jamal died on 21 March 1995 in Vancouver, British Columbia, Canada at the age of 73.[17] According to Sophia Mustafa, Nyerere’s efforts to have Jamal’s remains repatriated to Tanzania were in vain.[18] Nyerere in his tribute called him a « person of absolute integrity.. never a Yes man » and was « privileged to count him a friend ».[3] Prominent Tanzanian scholar and writer Godfrey Mwakikagile described him as « more of a technocrat than a politician ».[19]… »
          https://en.wikipedia.org/wiki/Amir_H._Jamal

  3. Mvuyekure

    … »Le ministre est invité à clarifier ses propos. Il y a des lois qui spécifient les attributions, les pouvoirs et les compétences d’un administrateur communal. Elles seules doivent guider l’autorité communale. Sinon c’est la confusion garantie ».
    Merci encore une fois de plus d’alerter sur ces incohérences juridiques voire pratiques. Akajagari !

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