Samedi 23 novembre 2024

Politique

Une détention qui ne dit pas son nom

22/10/2018 Commentaires fermés sur Une détention qui ne dit pas son nom

Arrestation pour motif inconnu, refus de liberté provisoire accordée par le juge, les membres de la coalition Amizero y’Abarundi à Bubanza se disent malmenés.

Samson Gahungu est arrêté samedi 13 octobre 2018. Fonctionnaire de l’Etat civil de la commune Gihanga, en province Bubanza, il participe ce jour-là avec les autres cadres de la commune aux festivités marquant la commémoration de l’assassinat du prince Louis Rwagasore. Il ne sait pas qu’il ne lui reste que quelques minutes de liberté.

Vers 11h 30, des policiers sont sur les lieux. Ils brandissent ce qu’ils appellent un « mandat d’arrêt » et demandent à Samson Gahungu de les suivre. Ce dernier obtempère, mais demande de voir le mandat d’arrêt pour prendre connaissance de ce dont il est accusé. « Ce mandat d’arrêt va se révéler être un feuille blanche !, Rien n’était écrit dessus…» témoigne un de ces collègues sur les lieux au moment de l’arrestation.

Samson Gahungu, 54 ans, est embarqué par les policiers, direction le commissariat de police de la province Bubanza. Jusqu’à mercredi, il n’est pas entendu. La police locale diffuse l’explication classique : « Les enquêtes sont en cours. » Mais le père de quatre enfants n’a pas encore été interrogé. Il ne sait donc pas pourquoi il a été arrêté. « On lui a dit que c’est le service de la documentation qui va l’écouter. »

Un de ces collègues pointe du doigt l’administrateur de la commune Gihanga comme étant à l’origine de cette arrestation. Il soupçonne un message whatsapp partagé par Samson Gahungu dans le groupe de travail des agents communaux qui n’a pas été du goût de l’administrateur. « Il plaisantait sur la fermeture des ONG et les quotas ethniques. » Le patron de Gihanga aurait conclu à un message de haine et dénoncé son employé qui a été arrêté.

Faux, indique l’administrateur de la commune Gihanga, Léopold Ndayisaba. Selon lui, il s’agit de rumeurs visant à créer un climat malsain entre lui, son employé et sa famille. L’administrateur indique ne pas savoir le mobile de l’arrestation de Samson Gahungu. Il témoigne par ailleurs de bons et loyaux services de son employé. « Il n’a jamais eu de demande d’explication ni aucune autre sanction administrative. » Il dit qu’il va se renseigner sur le sort de son employé « Sa famille et ses collègues me demandent constamment de ses nouvelles. Mais il faut qu’ils sachent que je ne peux pas empêcher la justice de faire son travail.»

Les proches du détenu soupçonnent de mobiles politiques à l’origine de cette arrestation. Samson Gahungu est un membre de l’Uprona de la coalition Amizero y’Abarundi. « C’est un opposant qui n’a pas peur de critiquer positivement ou négativement le pouvoir, voilà pourquoi il est dans les cachots de la police. » La preuve de son innocence ? Le fait que personne ne veuille assumer jusqu’à présent son interpellation.

La liberté provisoire, mais… en prison

Alexis Manirakiza, de la coalition Amizero y’Abarundi de la province Bubanza, déplore le fait que les membres de cette coalition soient traqués et malmenés. « Accusés injustement, certains préfèrent l’exil à une justice qui ne fait pas correctement son travail. »

L’exemple est celui de Noé Ndayizeye et André Ndikumana de la localité de Murengenza, commune Mpanda de la province Bubanza, dont les familles sont sans nouvelles. Ils ont décidé de prendre le large quand ils ont été informés qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre eux pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Accusés d’avoir tenu secrètement une réunion illégale visant à perturber la sécurité de l’Etat.

Les familles de Ndayizeye, père de deux enfants et Ndikumana, père de trois enfants, ne savent plus à quel saint se vouer, depuis la fuite de ces derniers. « Ils aidaient beaucoup leurs familles respectives à survivre. Maintenant qu’ils ne sont plus là, c’est très difficile », confie une voisine.

Ceux qui ne se sont pas soustraits à la justice ont été interpellés dans l’avant-midi du 19 septembre à Rubira, zone Musenyi de la commune de Mpanda. « Je me rappelle qu’on les accusait de tenir une réunion nocturne secrète. Mais curieusement, ils ont été arrêtés par les Imbonerakure dans la matinée chacun de son côté,» raconte Fabien Banciryanino, député indépendant élu dans la circonscription de Bubanza.

Ces 9 membres actifs de la coalition Amizero y’Abarundi ont, par la suite, été conduits dans la prison de Bubanza. Accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat, ils ont été entendus par les juges du tribunal de Grande instance de cette province. Constatant un manque d’éléments probants à charge pour étayer les accusations portées contre ces détenus, le tribunal a décidé leur libération provisoire le 10 octobre.

Pourtant, une semaine après, ces détenus n’ont pas encore recouvré leur liberté. « Le directeur de prison tarde à leur procurer des billets d’élargissement pour qu’ils sortent de prison,» déplore le représentant de la coalition Amizero y’Abarundi à Bubanza. Alexis Manirakiza se demande si ce directeur de prison accuse juste un retard administratif ou s’il est mal intentionné comme ceux qui voulaient garder des innocents derrière les barreaux.

Il s’agit de Claudine Vumilia, Etienne Minani, Chadrak Manirambona, Ndacayizigiye, Fabien Bigirimana, Vénuste Nduwayo, Dieudonné Mvuyekure, Claudine Kwizera ainsi qu’Evelyne Harerimana.

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Réactions

Agathon Rwasa Le patron de la coalition Amizero y’Abarundi indique qu’en principe lorsque les juges prennent une décision elle doit être exécutoire. Un directeur de prison n’a pas à analyser cette décision ni d’émettre d’autres considérations. « Qu’est-ce qu’un directeur de prison gagne à garder les gens dans sa maison d’arrêt dès lors qu’ils ont bénéficié d’une liberté provisoire ? » s’interroge Agathon Rwasa. Il demande que les pouvoirs judiciaires fassent respecter la loi. « Sinon, l’anarchie s’installe et on ne sait plus qui dirige ou prend des décisions. Aimée Laurentine Kanyana Selon la ministre de la Justice, le retard dans l’exécution des jugements rendus des cours et tribunaux par les directeurs de prison peut s’expliquer par des fraudes. « Certains détenus peuvent présenter des papiers justificatifs frauduleux pour demander leur libération, c’est au directeur de prison de tout vérifier ». Aimée Laurentine Kanyana reconnaît néanmoins que pour le bien des innocents, il faut un système plus rapide. « Nous avons pensé à un logiciel de liaison entre les prisons et les cours et tribunaux, pour que quand un jugement est rendu, les directeurs de prison les constatent sur leur ordinateur. Cela va régler le problème de retard. »

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