Jeudi 21 novembre 2024

Politique

Une Assemblée nationale aux ordres

Une Assemblée nationale aux ordres
Des députés en pleine séance plénière

Un collègue journaliste, qui fait souvent la couverture des séances plénières à l’Assemblée nationale nous a dit : « Ceux qui ont des ordinateurs, ils ne sont pas nombreux, regardent des émissions d’animaux, de la musique et autres émissions. Ils n’attendent que le moment de vote. » Des députés témoignent.

Par Pascal Ntakirutimana, Fabrice Manirakiza et Rénovat Ndabashinze

Il se passe des choses à l’assemblée. Presque insolite. La dernière en date est quand la vice-présidente de l’Assemblée nationale, Sabine Ntakarutimana, a sommé les députés, qui voulaient plus d’explications sur le dépassement du budget de l’intendance du chef de l’Etat, à ne plus poser des questions sur ce sujet. C’était le 26 avril dernier lors des travaux de la séance plénière relatifs à l’analyse et adoption du règlement et compte-rendu budgétaire de la République du Burundi pour l’exercice 2022-2023.

Sidéré, amer, Agathon Rwasa, député de la circonscription de Ngozi lâche : «C’est évident, les choses ne marchent pas normalement. Les missions d’un député sont claires. Il vote les lois, contrôle l’action gouvernementale et représente le peuple qu’il l’a élu si jamais les élections sont crédibles.»

Incroyable. D’après lui, on devrait quand même être conscient d’une chose : «la plupart des fois c’est que quand on pose des questions à un membre du gouvernement, on est surpris de voir que c’est le Bureau qui réagit à sa place. Le membre du gouvernement ne fait que juste se tirer d’affaires et dire ce qu’il pense juste pour être entendu comme quoi il s’est exprimé.»

Il déplore que les députés accompagnent le gouvernement. «Cela veut dire qu’il faut tout bénir, comme des aveugles et suivre. Ce qui n’est pas de nature à booster le travail du parlementaire. Par ailleurs, je me dis que si on doit représenter le peuple, trois minutes pour s’exprimer ne suffisent pas.»

Ce député signale en outre que les conditions de travail ne sont pas favorables à un travail de bonne qualité : «Si on commence la plénière à midi ou presqu’après-midi, les gens sont fatigués.  Vous savez, l’homme est plus rentable la matinée que l’après-midi. Si chaque fois on doit travailler l’après-midi, on remarque un certain désintéressement de la plupart des députés.»

D’après Agathon Rwasa, on semble beaucoup plus payer allégeance aux partis politiques au lieu de payer allégeance à l’institution elle-même ou à la République qui attend des députés un travail de très haute qualité. «C’est peut-être la conception du pouvoir lui-même et là on ne peut rien. Parler de la séparation des pouvoirs, c’est toujours théorique. Ce qui est dans les textes, ce n’est pas nécessairement ce qui est appliqué au quotidien.»

La peur de perdre un siège

D’après un député membre du parti au pouvoir interrogé, ce qui se passe à Kigobe ne date pas d’aujourd’hui. «Honnêtement, il ne faut pas que les gens s’en prennent aux députés. Si nous fonctionnons de cette façon aujourd’hui, il y a une cause. Les députés ne sont pas libres, nous sommes très attachés à nos partis politiques d’origine. Nous suivons les directives qu’on nous donne.»

S’exprimant sous anonymat, pour des raisons personnelles, il indique qu’à partir du moment où il y a eu une loi qui dit qu’un député qui quitte un parti perd directement son siège à l’hémicycle de Kigobe, les députés sont devenus de plus en plus réservés. «En tout cas, dans ces conditions, c’est normal de peser tout mouvement et geste pour ne pas se retrouver dans la rue, éjecté de ton siège.»

Ce député affirme très bien que les députés savent qu’ils ont entre autres missions le contrôle de l’action gouvernementale.  «Mais, quand tu poses une question à un ministre, un membre du gouvernement et qu’un membre du bureau de l’Assemblée nationale vient à sa défense, le député n’a d’autres choix que de se résigner.»

Néanmoins, il trouve choquant et déplore de voir celui qui dirige la session couper le micro à un député.  Il ne cache même pas qu’il y a des députés qui semblent gênés quand un député pose une question ‘’embarrassante’’.  «C’est pour cette raison que vous verrez peu de députés de notre parti poser de telles questions. Ils préfèrent se taire pour ne pas indisposer un membre du gouvernement. Nous avons des injonctions à suivre.»

Ce député avoue même que certains élus du peuple semblent craindre les membres du Bureau : «Quand le président de l’Assemblée nationale parle, ils se comportent comme un élève devant son maître.»

Se référant à ce qui se passe dans d’autres parlements comme en Tanzanie, il regrette de voir que les députés burundais soient contraints à ne pas évoquer certains dossiers.

Par ailleurs, il déplore que le fait d’avoir des documents, des projets de loi à analyser, des rapports, peu de temps avant la séance plénière ne leur permet pas de se préparer pour poser des questions pertinentes. «Il ne faut pas oublier qu’il y a des députés qui n’ont pas des connaissances requises pour bien analyser les projets de loi et donner des contributions», conclue-t-il.


Un ancien président de l’Assemblée nationale témoigne

«En intimidant les députés ou les sénateurs, ils le font au peuple burundais»

Privation de parole, coupure du micro, injonction de ne pas poser telle question, retard de l’envoi ou distribution des documents à analyser, … Le fonctionnement de l’Assemblée nationale lors des sessions plénières n’est pas apprécié et productif selon des observateurs. Eclairage de Léonce Ngendakumana, ancien président de l’Assemblée Nationale

Comment trouvez-vous actuellement le travail des députés ?

Les députés, les sénateurs actuels ne travaillent pas pour le compte de celui qui les a mandatés : le peuple burundais. Même le Chef de l’Etat l’a bien dit, à Kigobe, devant les mêmes parlementaires.

Qu’est-ce qu’il a dit ?

Il a dit officiellement et publiquement qu’ils sont là seulement pour toucher des indemnités, satisfaire leurs besoins qui n’ont rien à voir avec les intérêts du peuple burundais qui les a mandatés pour siéger au Palais des Congrès de Kigobe ou ailleurs.

De manière générale, le peuple est souverain. Il exerce cette souveraineté de deux manières.

Lesquelles ?

C’est soit directement par lui-même : par référendum, c’est-à-dire par un OUI ou un NON sur un projet donné. Soit à travers ses mandataires qui sont les députés et sénateurs. Mais c’est le même peuple qui s’exprime directement ou indirectement. Personne n’est au-dessus de ce peuple. Même pas le chef de l’Etat.

Alors, à l’Assemblée nationale à Kigobe, ailleurs ou à Gitega, on assiste effectivement à des humiliations des députés non seulement par les membres du Bureau de ces institutions mais aussi par des membres du gouvernement.

Des ministres qui intimident les députés. Ils ne savent pas ce qu’ils font en fait. En intimidant les députés, ou les sénateurs, ils humilient le peuple burundais.

Comment qualifiez-vous cela ?

C’est une faute lourde, c’est une trahison même. Mais, ces ministres, ces élus du peuple ne le savent pas. Comment est-ce qu’un député qui prend la parole, un ministre ou un membre du bureau peut lui couper la parole ? C’est incroyable, inimaginable. Mais comme ces députés ne savent plus leurs statuts, ils travaillent comme des simples fonctionnaires du président de l’Assemblée ou du ministre X. Ils ne savent pas qu’ils sont là pour voter la loi au nom du peuple burundais.

Ils ne savent pas qu’ils sont là pour contrôler l’action gouvernementale au nom du peuple burundais qui les a mandatés. Un membre du gouvernement ne sait pas que, lorsqu’il est devant le Parlement, il ne doit pas certes se courber, mais doit avoir du respect pour cette institution. Mais ce n’est pas ça qui se fait. En réalité, ces députés à qui on retire la parole ne connaissent pas leur statut.

Quand on leur retire la parole, ils ne protestent même pas. Qu’il leur refuse la parole, ça veut dire qu’il la refuse au peuple burundais.

Voilà pourquoi ces députés se font dénigrer parce qu’eux-mêmes ne savent pas ce qu’ils font.

Souvent, on leur donne trois minutes pour poser des questions ou faire des observations. Est-ce suffisant ?

Généralement pour l’organisation des travaux, on peut prendre cinq minutes. Mais il faut aussi apprendre à être synthétique. Si dans le règlement d’ordre intérieur, on a mentionné trois minutes, cela veut dire que ce sont les mêmes députés qui ont voté ce règlement. S’ils ont voté pour trois minutes, ils doivent l’accepter ainsi. Rien à faire. Parce que c’est la loi. Sinon, s’il n’est pas prévu comme ça, celui qui lui retire la parole, il doit être sanctionné par le retrait de ce mandat qu’on lui a donné lui-même d’aller au Bureau.

Il arrive également des cas où celui ou celle qui dirige la session interdit tout simplement à un député de poser une question spécifique.  Est-ce normal ?

Pas du tout. Il n’y a pas de questions taboues. C’est pour cette raison même que le député ne peut pas être poursuivi pour ses opinions au sein de l’hémicycle. Jamais. Il doit aborder n’importe quelle question, évidement, poliment. Il ne faudra pas qu’il injurie les gens. D’ailleurs, un député ne peut pas se permettre d’injurier les gens, mais il n’y a pas de limites dans les questions que le député pose au gouvernement.

Alors pourquoi de telles remarques ?

Ce sont des spéculations de la part de celui ou celle qui est en train de diriger les travaux. Il ou elle est en connivence avec le membre du gouvernement sur tel ou tel autre manquement. Et là, il (elle) est obligé (e), pour protéger sa place, de faire du n’importe quoi ; de diriger les travaux de manière à ce que le député n’exprime pas les aspirations du peuple, qu’il soit intimidé. Ce qu’on observe ce n’est pas seulement chez les députés, c’est aussi chez la plupart des fonctionnaires burundais, ils protègent beaucoup leurs postes. Quand l’avoir se place au-dessus de la raison, du mandat, ce qui s’en suit ce sont ces manquements.

Il n’y a rien de surprenant qu’un ministre ou un membre du bureau, coupe la parole, crampe sur telle ou telle autre position vis-à-vis d’un député. Il sait que le député actuel n’a pas la capacité d’intérioriser sa mission, de comprendre ce qu’il est réellement et quelle est sa véritable mission.

Le député sait qu’il est là pour toucher des indemnités. Mais ce n’est pas le membre du Bureau ou du gouvernement qui lui donne ces indemnités. Elles proviennent des taxes et des impôts du peuple qui lui a mandaté. Pour lui permettre de travailler, il n’est pas rémunéré ni par le gouvernement, ni par le bureau de l’Assemblée nationale. Quand on lui retire la parole, quand on lui interdit de poser une telle ou telle autre question, il se tait.

Quand il s’agit d’étudier un projet de loi, d’analyser un rapport, … plusieurs députés affirment que les documents leur sont soumis quelques heures avant la plénière. Est-ce cela la procédure ?

Tout ceci rentre dans le fait que la mission des parlementaires n’est plus une référence aux députés, au gouvernement. Ce qui se fait là, c’est autre chose. Sinon, quand un projet de loi vient, le député n’a pas beaucoup de choses, c’est le projet de loi ou le programme du gouvernement.  Voilà les deux outils que le député utilise pour accomplir sa mission. Ou c’est le projet de loi, ou c’est le programme du gouvernement sur lesquels il est autorisé à 100 % à poser n’importe quelle question.

Les deux sont mentionnés dans le règlement d’ordre intérieur comment il est transmis au Parlement par le 1er ministre, les délais, comment il est reçu par le bureau, et comment le bureau organise une séance plénière pour annoncer ce projet.  Avant même de saisir une commission permanente, le bureau vient, organise une séance plénière, informe les députés qu’il y a un projet de loi ou un programme X du gouvernement que le moment venu, le gouvernement viendra présenter et expliquer devant les députés.

Donc, tout député doit avoir au préalable et à temps une copie du document sur lequel on va travailler ?

Tous les députés sont en séance plénière. Même celui qui est absent, il doit avoir une copie de ce projet. S’il n’est pas là, on lui réserve sa copie dans sa boîte. Généralement, on saisit une commission permanente spécialisée en la matière et on lui donne des délais aussi. Comment alors vous me dites qu’un député est informé d’un projet de loi, d’un programme du gouvernement quelques heures ou une journée avant ? C’est impensable, inacceptable. Cela ne se fait qu’à l’Assemblée nationale du Burundi.

Un clin d’œil au bureau, aux parlementaires

Pour servir à quoi ? Moi j’écoute régulièrement des personnes s’exprimer, pour donner des propositions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, au Sénat, à l’appareil judiciaire mais rien ne change. Cela fait 18 ans. Si à l’issue des 18 ans, rien n’a changé, vous pensez qu’on va changer quelque chose dans les deux ans qui restent ? On peut émettre un souhait mais ce n’est pas pour changer.

D’ailleurs, le souhait que je peux soumettre ce n’est pas à l’intention de ce gouvernement, de ce Bureau, mais à l’intention du peuple burundais lui-même qui est souverain. Et aucune partie de la population ne peut s’en approprier.

A ce peuple alors, je lui dis d’être vigilant, de tout faire pour connaître ses droits constitutionnels surtout en matière d’organisation et de fonctionnement de l’Assemblée nationale et du Sénat qu’il mandate. Si un député ou un Sénateur n’a pas rempli sa mission, il faut qu’à la prochaine législature, on le remplace par un autre député ou sénateur qui soit en mesure de voter la loi et de suivre l’action gouvernementale pour le compte du peuple burundais.

A l’endroit du bureau, il faut que ses membres sachent qu’ils ont les mêmes prérogatives que les députés ou les autres sénateurs qu’ils ont eu tout simplement la chance d’être désignés comme organisateur, support d’organisation des activités de l’Assemblée nationale et qu’en cas de manquement, les députés sont en droit de le destituer et le remplacer par un autre.

En définitif, si on avait posé la question au peuple burundais, aux partis politiques, lorsqu’ils ont élaboré le projet de code électoral, on aurait dû suggérer que les députés ne soient plus élus sur des listes bloquées, parce qu’à ce moment, le député répond au chef du parti qui l’a mis sur la liste alors que lui-même il peut se présenter devant le peuple et se faire élire.

A ce moment, non seulement, il répond aux aspirations du président du parti mais aussi aux préoccupations ou aspirations du membre du gouvernement parce qu’il pense que ce membre du gouvernement signe et lui donne des indemnités.

Il faut que les députés et les sénateurs soient élus au suffrage universel direct individuellement, personnellement. Car, les députés actuels ne rendent plus compte à ceux qui les ont élus.   Il faudrait mettre une croix sur l’histoire des listes bloquées parce qu’il y a beaucoup de spéculations dedans. Il y a même de cas de vente ou d’achats de ces postes, des positions sur la liste. Il sait que s’il donne 10 millions BIF dans une année, il aura déjà récupéré cet argent avec des intérêts. C’est de la fraude. Si les députés et sénateurs étaient élus individuellement, ils seraient plus responsables et rendraient des comptes. Ce qu’on appelle redevabilité au peuple burundais.

Mais, même dans le nouveau code électoral, on a maintenu le système de listes bloquées ?

C’est dommage. Mais tout change. Ça changera.


Réactions

Patrick Nkurunziza : «Il n’y a pas de questions taboues pour les députés.»

«C’est dommage et même regrettable qu’un député, mandataire direct du peuple burundais, soit traité de manière indigne et qu’il l’accepte», se désole Patrick Nkurunziza, président du parti Frodebu.

Pour lui, la mission constitutionnelle d’un député étant de voter la loi et contrôler l’action du gouvernement, il devait l’exercer en toute indépendance, en dehors de toute forme d’intimidation.

Patrick Nkurunziza considère d’ailleurs qu’il n’y a pas de questions taboues pour les députés.

Au niveau de la durée accordée à chaque député pour s’exprimer, Patrick Nkurunziza crois que le règlement d’ordre intérieur est clair. Ce dernier étant également une loi, poursuit-il, le temps imparti à chaque député pour s’exprimer devrait, en principe, être respectée. Car, explique M. Nkurunziza, aucune autorité n’est au-dessus de la loi.

Malheureusement, regrette-t-il, il s’observe une forme de solidarité négative entre le gouvernement et le bureau de l’Assemblée nationale pour violer la loi.

Face à une telle situation, le président du Frodebu souligne deux possibilités pour le député : «soit, il se resigne et se conforme aux instructions du bureau de l’Assemblée nationale. Dans ce cas, il renonce à sa mission. Soit, il refuse d’exercer un mandat impératif car, la Constitution est très claire en la matière : tout mandat impératif est nul pour un député.»

Patrick Nkurunziza propose que pour mettre un terme à tous ces dysfonctionnements, il faut réviser la Constitution pour qu’il y ait la séparation effective des trois pouvoirs et abandonner le système des listes bloquées.

Tatien Sibomana : «Si on refuse la parole aux représentants du peuple,…»

Selon Tatien Sibomana, la situation, telle qu’elle se présente lors des séances plénières est déplorable. Elle montre que l’Assemblée nationale ne peut pas jouer son rôle. Parce que, explique-t-il, de par la Constitution du Burundi, presque toutes les constitutions de tous les pays, l’Assemblée nationale a deux principales missions à savoir le vote des lois et le contrôle de l’action gouvernementale.

«Ces deux missions ne peuvent pas être efficacement remplies sans que l’Assemblée nationale jouisse entièrement de son indépendance.», observe-t-il.

Cette jouissance, avance toujours Tatien Sibomana, ne peut pas être une réalité tant que les députés ne s’expriment pas librement et jouissent de leur droit de se saisir de toute question qui intéresse la nation burundaise et/ou le peuple burundais dont ils sont sensés représentés.

Dans pareille situation, estime ce politique, il est difficile de parler de la séparation des pouvoirs tant que le législatif ne peut pas contrôler l’action de l’exécutif. «Tant que les députés, entre eux-mêmes, ne se respectent pas et ne sont pas solidaires pour défendre leurs droits et les compétences que leur confère la constitution. Vous comprenez que c’est l’exécutif qui gère le législatif. Ce qui est constitutionnellement inadmissible et incompréhensible.»

Sibomana considère que dans ce cas, l’Assemblée nationale ne devient qu’une caisse de résonnance pour l’exécutif puisqu’elle est n’est pas en mesure de contrôler l’action gouvernementale et encore moins de se saisir de toute question qui intéresse la nation.

Sur ce, renchérit Sibomana, les députés devaient revendiquer leurs droits. «Ils devraient se lever comme un seul homme pour dire non à quiconque qui veut leur couper la parole : et le président de l’Assemblée nationale ou quelqu’un d’autre. Et s’ils ne le font pas pour leur propre compte, comment peuvent-ils le faire pour le peuple ?»

Tatien Sibomana indique par ailleurs que les membres du bureau de l’Assemblée nationale n’ont pas de droits supplémentaires que ceux dont jouissent leurs pairs. «Ils ne constituent qu’un bureau de coordination et n’ont pas des compétences constitutionnelles plus que les autres députés.»

D’après lui, certains membres du bureau de l’Assemblée nationale n’ont pas encore compris le rôle de l’assemblée nationale. «Constitutionnellement, jouer le rôle de vote des lois et de contrôle de l’action gouvernementale devrait être fait dans l’intérêt supérieur de la nation et non dans l’intérêt de l’exécutif.»

Pour Tatien Sibomana, l’Assemblée nationale n’est pas élue pour soutenir nécessairement le gouvernement quand cela n’est pas nécessaire.  Dans certains cas, les élus du peuple rappellent à l’ordre. «On élit ces députés pour agir en lieu et place du peuple. Si on refuse la parole aux représentants du peuple, ce n’est pas à ce peuple qu’on va la donner.»

Le fait qu’ils reçoivent les documents à analyser et puis à adopter le même jour de la séance plénière ou tout au moins la veille, estime M. Sibomana prouve à suffisance qu’ils ne jouissent pas de leur indépendance constitutionnelle. Même si tout cela dépend des textes règlementaires de fonctionnement de cette institution, ce politique voit que les députés devaient exiger un délai minimal en deçà duquel ils ne peuvent plus recevoir les projets de loi.

Pour que l’Assemblée nationale puisse représenter réellement les intérêts de la nation et non partisans, Tatien Sibomana propose quatre voies.

La première chose est de faire un clin d’œil à la population qui élit ces députés pour qu’elle ne soit pas dupe.

La deuxième chose à faire est de changer la façon dont ces députés figurent sur les listes des partis politiques. «Il faut permettre, au sein des partis, une compétition ouverte des candidats à mettre sur les listes des députés. Il faut qu’on supprime le système de listes bloquées pour exiger les élections primaires au sein des partis politiques.»

La troisième action, ce sont les critères de choix. «Même s’il advenait que cette ouverture de procéder aux élections primaires devient une réalité, il faut guider ce peuple en fixant des critères objectifs : un minimum d’instruction, d’expérience dans la gestion des affaires étatiques, insister sur la moralité de ces gens qui doivent figurer sur les listes.»

Dernière chose à faire pour Sibomana : une fois élu et avant de commencer les sessions, il faut systématiquement former et informer les députés élus sur leurs missions et leurs prérogatives constitutionnelles. Ceci va permettre de voter les textes règlementaires régissant cette institution parlementaire en connaissance de cause.

Gaspard Kobako : «C’est inimaginable et inadmissible» 

«Empêcher les députés de s’exprimer en violant leurs droits constitutionnels signifie les museler et, par voie de conséquence, museler le peuple qui les a élus. C’est une situation qui s’apparente à « meurt et tais-toi ». C’est inimaginable et inadmissible», commente Gaspard Kobako, président du parti Alliance Nationale pour la Démocratie, AND-INTADOHOKA. Pour lui, empêcher un député de s’exprimer, c’est également une façon de le déshonorer alors qu’on l’apostrophe honorable.

«C’est lui ôter cet honneur lui conféré par ses mandants que sont le peuple, somme toute, les électeurs qui ont place confiance en lui. C’est violer la Constitution. Or quand on viole la Constitution, la loi-mère ou loi fondamentale, c’est aussi une façon d’ouvrir une boite de pandore. C’est une voie ouverte vers une anarchie et/ou une dictature. En ne respectant les députés dans leurs droits et leurs prérogatives c’est se moquer de son peuple.»

Il dit ne pas comprendre comment les députés vont continuer à s’incliner devant le bureau de l’Assemblée Nationale et du Sénat en guise de respect.

Pour l’ancien ministre Gaspard Kobako, si cela est arrivé lors de l’analyse du projet de loi portant règlement et compte rendu budgétaire de la République du Burundi pour l’exercice 2022-2023, ‘’c’est tout simplement scandaleux.’’

«Si des députés ne posent plus de questions, ce sera l’expression de la violation du droit d’expression consacré et reconnu par la Constitution, donc sa violation pure et simple. Et s’ils l’acceptent, ils auraient failli du coup à leurs missions, celles de nous représenter et de nous défendre au travers de nos intérêts.»

Kefa Nibizi : «C’est regrettable»

«C’est regrettable que les représentants du peuple soient empêchés d’exercer leurs missions de contrôle de l’action gouvernementale ou examen approfondi des lois que leur sont soumises», réagit Kefa Nibizi, président du parti CODEBU.

En effet, défend-il, les députés et sénateurs agissent en lieu et place de la population pour surveiller que l’exécutif est en train de bien accomplir les missions qui lui sont assignées et est en train de respecter différentes lois et règlements. Donc, il s’agit d’un contrôle permanent de l’action gouvernementale.

«S’il advenait qu’ils soient empêchés ou sommés de ne pas continuer à débattre sur tel ou tel autre sujet, par ces coupures de micros ou autre restriction c’est en tout cas déplorable.»

Cependant, il estime que cela ne pouvait pas être autrement : «La cause principale est que l’Assemblée nationale est dominée par les députés issus du même parti. Il n’y a pas une véritable opposition dans le Parlement que ça soit les bureaux du parlement, et l’exécutif, ils tirent les directives à la même source.  C’est-à-dire dans les organes dirigeants du parti au pouvoir.»

Revenant sur le cas spécifique de cette question relative au dépassement du budget destiné à l’intendance du chef de l’Etat qui est en même temps le président du Conseil des Sages, l’organe suprême du parti au pouvoir, M.Kefa trouve que la vice-présidente de l’Assemblée nationale ne pouvait pas avoir le courage de permettre un débat houleux pour examiner en profondeur un dépassement ou une conduite budgétaire qui suscite des questions effectué par un haut cadre de son parti et qui pourrait même influencer sur son avenir politique.

M.Nibizi pense que ces députés ne devraient pas se limiter à des lamentations. «Il faut qu’ils prouvent qu’ils sont là. Parce qu’il y a un fait étonnant. On attend ces lamentations, les députés sont interdits de ne pas parler mais quand le moment du vote arrive, on trouve que tous les députés votent presqu’à l’unanimité les lois auxquelles ils n’ont pas eu le temps suffisant de contribuer. C’est là où on se demande si réellement ils sont conscients de ce qu’ils sont.»

Faustin Ndikumana : «On essaie de recadrer toute voix discordante»

«Au sein du parti au pouvoir, tout est orchestré, tout est régenté par le parti cndd-fdd. Tous les hauts cadres, tous les agents de l’administration, les parlementaires, les magistrats, ils sont redevables au parti au pouvoir. Il est donc compréhensible que les hauts cadres, membres du parti au pouvoir, remuent ciel et terre pour se poser en véritables défenseurs du système.», réagit d’entrée de jeu le directeur exécutif de Parcem.

Selon Faustin Ndikumana, la vice-présidente de l’Assemblée nationale essayait de se montrer en véritable défenseuse du système Cndd-fdd en acculant au silence le député qui était en train de poser une question jugée ‘’gênante’’ parce qu’il était considéré comme un crime de lèse-majesté en essayant de nuancer sur le budget, l’exercice budgétaire de l’intendance présidentielle. C’est comme ça que les députés du Cndd-fdd le savaient.

«On se souvient du cas Banciryanino qui a voulu montrer la voie de liberté d’opinion au sein de l’institution. Il a fini par avaler des couleuvres. Vous vous souvenez des cas des députés exclus. Les seuls membres de l’opposition qui tentent aussi, c’est pour cela qu’ils sont recadrés : ils sont amenés au silence pour que justement le parlement garde son rôle d’être une caisse de résonance du parti au pouvoir.»

Pour cet activiste de la société civile, c’est cela qui a été érigé et qui continue à être érigé en mode de gouvernement ou de gestion des institutions. Ça serait difficile, poursuit-il, de parler de la séparation des pouvoirs actuellement dans un pays où le système de pouvoir est bâti sur la supériorité du pouvoir militaire et policier des généraux sur le pouvoir civil des institutions. Il est difficile de cerner la séparation des pouvoirs.

«Elle est dans le papier, elle est consacrée dans la constitution, mais dans l’exécution, elle est impossible parce que la suprématie du pouvoir militaire et policier sur le pouvoir civil des institutions est évidente et perceptible. Je crois que quelque part, parmi les problèmes qu’il y a actuellement, c’est qu’il est difficile au parti Cndd-fdd de se réformer. Il tente d’engager des réformes ici et là, mais il sera difficile tant que le système est bâti comme on vient de le décrire actuellement.»

Pour M. Ndikumana, dans un contexte où le parti fait tout pour garder le pouvoir, gagner les élections, bon et malgré. Tous les instruments seront mis à leurs dispositions justement pour réduire au silence toutes les voix qui tentent de s’exprimer autrement.

Quant à la stratégie pour qu’il y ait séparation du pouvoir pour que le parlement puisse jouer son rôle, Faustin Ndikumana propose d’abord qu’il faut qu’il y ait la volonté politique de le faire au moment où le CNDD-FDD voudra se réformer, c’est là que les situations changeraient.

Faut-il encore, insiste-t-il que le système des listes bloquées des parlementaires, soit supprimé pour que chaque parlementaire soit soumis à l’électorat populaire en personne à partir de ses œuvres. Là, il pourrait alors avoir un mandat populaire.

D’après le directeur exécutif de Parcem, le parti au pouvoir est à la croisée des chemins. Il faut faire un bon choix, il faut se réformer, c’est-à-dire accepter les contradictions, les conseils, sinon on va tout bonnement dans l’abîme. Parce qu’il sera difficile lui aussi d’expliquer devant l’histoire comment un parti n’a pas pu sauver un pays des dérives alors qu’il était au contrôle de toutes les institutions, (le parlement, le gouvernement, l’armée, la police).

Hamza Venant Burikukiye : «Il doit y avoir de l’ordre»

«Comme dans toute activité, il doit y avoir de l’ordre et de la discipline pour garantir le déroulement des travaux», indique le représentant légal de l’Association Capes +. Selon lui, il appartient au Bureau de veiller à l’harmonisation des débats et cadrage de tout dérapage susceptible de distraire ou désorienter voire toute tentative manipulatrice pour semer la confusion ou gêne aux autres. «Les débats sont ouverts, mais des opinions contraires sont bien exprimées et entendues. Pour ceux qui veulent honnêtement l’assumer, le rôle est bel et bien respecté et librement.»


Lisez l’éclairage de Dénis Banshimiyubusa, Professeur de Science politique à l’Université du Burundi.

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Kira

    @ Bakame
     »Le rôle du parlement est vital dans les démocraties occidentales »? Vraiment? Je connais un pays d’Europe occidentale dont les dirigeants sont parmi les premiers à vouloir donner au monde entier des leçons de démocratie et de séparation de pouvoir. Dans ce pays, le président de la République évoque de plus en plus l’hypothèse d’un envoi au sol en Ukraine des éléments de l’armée nationale pour soutenir l’armée ukrainienne face aux Russes sans passer par un débat préalable à l’assemblée nationale. Dans ce pays, le soutien matériel à l’Ukraine a déjà coûté 3 à 5 fois le déficit projeté-mais non prouvé-de la caisse nationale des retraites dont la réforme, massivement rejetée par la population, a été imposée à celle-ci par l’article 49 alinéa 3, un mécanisme institutionnel qui vise précisément à mettre sous le boisseau le rôle prépondérant du parlement que vous semblez tenir en haute estime.

  2. Nshimirimana

    Malgré la politique d’Iwacu de censurer tout mon propos, me revoilà pour dire que le parlement burundais n’est rien d’autre qu’une section de Kigobe du CNDD-FDD

  3. Bakame

    Le rôle du parlement est vital dans les démocraties occidentales.
    Muvyatumye bashika aho Bari. La séparation des pouvoirs vient en premier lieu.
    Si nos parlements ne servent à rien, zifute. Le pays économisera beaucoup d’argent.
    As simple as that

  4. hakizimana jean capistran

    je crois savoir que partout en afrique, les pouvoirs de l’executif sont inegalables pietinant au passage le legislatif et le judiciaire et je pense que sur ce point le Burundi n’est pas tres en arriere tant que l’on n’a pas encore instaurE le systeme de parrainage pour etre reconu CANDIDAT. Ikintu ca parrainage c’est tres dangereux kabisa. Les Beninois et les Mauritaniens vous en diront plus.

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