La police parle de démantèlement d’un réseau de trafic d’êtres humains au quartier ‘Miroir’ dans la zone Buterere. Les proches des 101 ‘victimes’ parlent de procédure d’immigration légale. Iwacu a tenté de comprendre. Les faits restent troublants.
Ce lundi 14 décembre vers midi, 101 femmes ont été appréhendées dans une villa louée par l’organisation « Culinary Training Agency Burundi » à 2 millions de francs burundais par mois. Les faits se sont déroulés au quartier « Miroir » de la zone Buterere.
D’après Moïse Nkurunziza, porte-parole adjoint du ministère en charge de la Sécurité, ces femmes proviennent majoritairement des provinces de Bujumbura-Mairie, Bujumbura, Bubanza et Cibitoke. Certaines d’entre elles venaient d′y passer deux semaines.
Le porte-parole adjoint du ministère chargé de la sécurité a révélé que dans cette maison, ces femmes n’avaient pas de moyens de communication et vivaient dans une précarité épouvantable.
La destination finale de ces femmes était les pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite, Oman, les Emirats Arabes Unis et le Yémen où elles arrivent après des transits en Tanzanie ou au Kenya. « Une fois arrivées dans ces pays, ces femmes et jeunes filles sont traitées comme des esclaves ».
Dans son point de presse ce mardi 15 décembre, l’Observatoire national pour la lutte contre la criminalité transnationale (ONLCT) a indiqué qu’il y aurait beaucoup de maisons « facilitant le trafic d’êtres humains à Bujumbura.» Cette association se dit inquiète face à cette situation et appelle « les autorités à être rigoureuses pour endiguer ce fléau. »
D’après Me Prime Mbarubukeye, représentant légal de l′association « ONLCT-Où est ton frère ? », les victimes seraient rassemblées avant leur départ dans des quartiers résidentiels « hors soupçons », comme Rohero, Kiriri, quartier asiatique, Kajaga, Mutanga Nord et Sud et d’autres quartiers.
L’association ONLCT a indiqué que la plupart de ces femmes ont été appréhendées alors qu’elles étaient déjà en possession de documents de voyage en bonne et due forme. « Ce qui est troublant pour l’opinion publique »
Il a demandé au gouvernement de rester vigilant, et surtout pendant ces fêtes de fin d’année, car les trafiquants ont eu le temps de rassembler des candidats pendant tous les mois de fermeture de l’Aéroport international Melchior Ndadaye.
Témoignages
Iwacu s’est rendu à Buterere. Le « Culinary training Agency Burundi » se trouve dans un nouveau quartier résidentiel. L’endroit est connu de presque tous les habitants du quartier Miroir en zone Buterere.
Dans ce quartier, peu de mouvements. Des chantiers en construction. Une jeune dame, nous explique qu’elle est « une autorité à la base. » Elle dit ignorer l’emplacement du centre, mais accepte de nous guider. Sauf qu’elle tentera de nous désorienter. « J’ai entendu parler de cette association qui se trouve au quartier asiatique. J’ai été même sollicitée pour aller y travailler, mais j’ai refusé ». Elle n’a pas voulu dire pourquoi.
Les voisins de ce centre, eux, ne sont pas surpris. Pour eux, ce n’est pas un fait isolé. «C’est connu de tout le monde. Ce n’est pas la première fois. Toutes les femmes qui sont parties pour Oman, Koweït et l’Arabie Saoudite ont transité et ont été formées là », raconte un tenancier d’un kiosque à une centaine de mètres de la luxueuse villa abritant le « Culinary training Agency Burundi ».
Un autre habitant accuse les autorités d’être impliquées dans l’affaire. « La police vient de les appréhender pour la troisième fois. Mais à chaque fois elles sont relâchées et finissent toujours par s’envoler vers les pays du Golfe ».
Et de s’interroger sur les motivations de la police, cette fois. Pour lui, c’est clair, cette maison servait de centre de formation professionnelle pour les femmes en partance au pays du Golfe.
Une jeune femme qui habite tout près de la maison se dit outrée. Selon elle, le trafic des femmes vers les pays du Golfe est une réalité. « Cette maison est un centre de transit. Ce qui est étonnant, c’est l’intervention de la police. Chaque nuit, on amène des femmes ici en partance pour les pays du Golfe depuis au moins deux ans. Comment se fait-il que les autorités n’étaient pas au courant ? »
Mais les choses sont loin d’être simples. Devant les locaux de ce centre M.N observe les lieux très attentivement. Il est concerné. Son épouse fait partie du groupe en partance.
Il s’inscrit tout de suite en faux contre certaines affirmations de la police. « La police a tout faux quand elle affirme que ces personnes partent à l’insu de leurs familles ! ». Ce père de famille réfute également l’idée d’une émigration illégale. « Ces femmes obtiennent leurs passeports, régulièrement. A l’aéroport, les autorités ne sont pas capables de déceler des départs douteux ? »
L’homme révèle avoir payé le passeport de son épouse. De lui, nous apprenons que dans ce centre, les pensionnaires apprennent l’arabe et l’art culinaire et le maniement de certains appareils électro ménagers comme la machine à laver, les cuisinières électriques, etc. Bref, tout ce qui leur servira dans leur pays de destination.
Lui parle plutôt de bonnes conditions de vie à l’intérieur du centre. « Elles sont bien nourries et logées ». M.N dit également que les pensionnaires étaient priées de rester à l’intérieur du centre « pour les préserver des maladies ».
Un départ imminent ?
Depuis ce mercredi 16 décembre, des informations faisaient état d’une probable libération des femmes retrouvées au « Culinary training Agency Burundi ».
« C’est vrai que quelques-unes sont parties on ne sait où. Mais d’autres restent dans cette maison qui sert de centre de formation professionnelle pour leur ultime travail », raconte un habitant des environs.
Interrogé sur l’état d’avancement de l’enquête deux jours après, Moïse Nkurunziza, porte-parole adjoint du ministère en charge de la sécurité dit attendre l’issue des enquêtes. « On ne peut pas communiquer à chaque étape de l’enquête. Elles sont en cours pour établir les responsabilités. Les résultats vont être annoncés après clôture des investigations ».
Il fait savoir également que presque toutes les 101 femmes ont « regagné leurs familles respectives ». Exception faite, dit-il, pour celles qui sont impliquées dans cette affaire.
A l’association « ONLCT où est ton frère », c’est la consternation. Après avoir visité le centre de dépistage de la Covid-19 de l’INSP ce jeudi 17 décembre, Me Prime Mbarubukeye se dit intrigué, préoccupé par le nombre élevé de femmes qui cherchent des certificats de dépistage à la Covid-19.
Il soupçonne la complicité de certaines autorités pour faciliter ces femmes à s’envoler pour les pays du Golfe. « Curieusement, sur 10 personnes venues se faire prélever, 9 sont des femmes. Selon nos sources, le premier convoi de plus de 50 femmes doit s’envoler vers les pays du Golfe entre vendredi 18 décembre et samedi 19 décembre ».
Pour lui, cela prouve à suffisance que certaines autorités seraient impliquées dans cet « d’esclavage moderne ». Selon lui, il est inadmissible, car leurs familles les réclament. « Je ne comprends pas pourquoi cet ’’esclavage moderne’’ est pratiqué au vu et au su de tout le monde y compris par ceux qui sont chargés de lutter contre ce phénomène au premier chef. Nous avons crié haut et fort depuis longtemps que le trafic d’êtres humains est pratiqué et ce qui vient de se passer vient de nous donner raison », s’indigne-t-il.
Me Mbarubukeye s’interroge sur les motivations de solliciter les femmes seulement alors que même beaucoup d’hommes ont besoin de travail. Il appelle le gouvernement à prendre la question en main.
Il préconise notamment la signature des conventions avec les pays d’accueil pour que ces départs suivent des voies légales et officielles. Cela permettra, dit-il, à veiller au respect des droits de ces émigrées.
Vers une règlementation ?
Le 9 décembre dernier, à l’occasion des cérémonies de la deuxième journée des portes ouvertes au ministère des Affaires étrangères, il a été annoncé la mise en place d’une nouvelle direction chargée de la promotion de l’emploi des migrants.
Selon Isidore Ntirampeba, secrétaire permanent au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération au Développement, elle sera chargée de coordonner de façon légale les mouvements des migrants burundais. La première priorité, confie M. Ntirampeba, c’est de négocier les accords bilatéraux avec les Etats de destination.
« Lorsqu’ils seront signés, il y aura la phase d’établissement des partenariats entre les gouvernements », a indiqué ce haut cadre du ministère du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération au Développement.
Une fois ce cadre légal bien établi, a-t-il fait observer, il n’y aura plus de problèmes, la protection des migrants burundais sera rassurée. « Les gouvernements seront redevables ».
Sixte Vigny Nimuraba : « Il faut un cadre légal »
Contacté, le président de la CNIDH, Sixte Vigny Nimuraba demande la mise en place d’un cadre légal pour l’émigration vers les pays du Golfe. « Les ambassades burundaises sur place devraient être en mesure de déterminer les emplois disponibles et le nombre de places à pourvoir »
Le président de la CNIDH ajoute également qu’un tel cadre permettrait de veiller à la protection des migrants burundais sur leur lieu de travail, dont l’accès à des soins de santé.
L’article 4 de la loi de 2014 stipule que l’expression « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre, notamment l’autorité parentale ou morale, aux fins d’exploitation.D’autre part, l’article 10 stipule que le coupable de traite des personnes est puni de servitude pénale de cinq à dix ans augmentés d’une amende de 100.000 FBU à 500.000 FBU.
Jérémie Misago et Alphonse Yikeze