Le président élu, Evariste Ndayishimiye, a prêté serment ce jeudi 18 juin à Gitega. Des cérémonies riches en couleurs au stade Ingoma de Gitega. Toutefois, l’ombre de son prédécesseur, Pierre Nkurunziza, plane encore. A part l’ancien président de la République de la Tanzanie, Jakaya Kikwete, aucun chef d’Etat étranger. Dans son discours-fleuve, pas de mesures fracassantes, mais la population dit avoir senti une comme une volonté de réconciliation des Burundais.
Les rues, les monuments du prince Louis Rwagasore et celui du président Melchior Ndadaye rafraîchis. . Des forces de l’ordre patrouillent partout. La capitale politique fonctionne au ralenti ce jeudi 18 juin. Des élèves se rendent à l’école. Il est 7h30 min. Au marché de Gitega, aucune âme qui vive. «Normalement, on ouvre à 7h du matin. Les autorités nous ont dit d’ouvrir à 14 heures», racontent les habitants qui patientent tout près du marché.
Toutes les voies menant au stade Ingoma sont fortement sécurisées par des militaires, des policiers et d’autres en tenue civile. Les rues de la ville de Gitega grouillent de monde. Certains arborent des chemises faites dans des pagnes identiques (Igitenge). C’est par province d’origine qu’ils s’installent sur les gradins. Difficile d’entrer quand tu ne portes pas la chemise prévue pour la cérémonie. Certaines personnes sont carrément refoulées par les agents chargés de la sécurité. Mort dans l’âme, ils rentrent frustrés. «On aurait aimé voir notre Samurarwa (l’héritier) de Gitega».
Le premier challenger du président élu absent
A chaque entrée, les agents de la Croix-Rouge sont mobilisés avec des désinfectants. Ils portent des masques. On remarque de longues files de gens sur chaque entrée du Stade Ingoma. Carrément collés les uns sur les autres. Des kits de lavage des mains sont installés à chaque entrée. Des agents avec des désinfectants dans les mains veillent. Impossible d’entrer sans se laver les mains.
Les agents de la Croix-Rouge Burundi exigent une distanciation sociale, mais c’est difficile. Les maîtres de cérémonies rappellent sans arrêt aux invités de laisser un espace entre eux. Au moins 50 cm. En vain.
Les invités continuent d’affluer. Les modérateurs multiplient les mises en garde. Mais les consignes ne sont pas respectées. Parfois, on voit ici et là des gens qui portent des masques, mais ils ne sont pas nombreux.
Vers 10 heures, l’Ombudsman, le 2ème et le 1er Vice-président de la République arrivent. Le président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale sont sur les lieux par après.
Les journalistes et les invités s’interrogent: « Vous avez vu Rwasa ?» Le président du Congrès national pour la liberté (CNL), Agathon Rwasa, brille par son absence. L’homme qui est est arrivé 2ème à la dernière élection présidentielle du 20 mai 2020 est invisible.
Toutefois, les autres candidats malheureux à cette élection sont présents. Léonce Ngendakumana du parti Sahwanya Frodebu, Domitien Ndayizeye de la coalition RANAC, les indépendants Dieudonné Nahimana et Francis Rohero sont dans la tribune d’honneur ainsi que l’ancien président Sylvestre Ntibantunganya. Autre absence remarquée : celle de l’ancienne Première dame, Denise Nkurunziza. «C’est compréhensible», commentent les invités. Le président de la CENI, Pierre Claver Kazihise, et son équipe sont sur place.
Les huit évêques catholiques qui composent la Conférence des évêques catholiques du Burundi (Cecab) et les autres représentants des confessions religieuses sont présents. Certains ambassadeurs accrédités au Burundi aussi. Le président tanzanien, John Pombe Magufuli a envoyé son vice-président, l’ancien président Jakaya Kikwete. Des envoyés spéciaux venus de l’Egypte de la Guinée équatoriale et du Congo Brazzaville sont à Gitega.
La prestation de serment
Le président élu arrive aux environs de 11h30. Il ne passe pas sur le tapis rouge.
Des prières sont dites par les différents représentants des confessions religieuses. La Cour constitutionnelle fait son entrée. Avant d’appeler le président élu à prêter serment, son président rappelle le processus électoral et la victoire du candidat du parti de l’aigle, Evariste Ndayishimiye.
Avant de prêter serment, le modérateur, le Général de Brigade Gaspard Baratuza, appelle les 8 évêques catholiques et les autres représentants des confessions religieuses à venir au milieu du stade. Ils forment un cercle et le président élu s’agenouille à l’intérieur. Un moment fort. Dans sa prière avant la prestation de serment du président élu, l’archevêque de Gitega, Mgr Simon Ntamwana, va appeler le successeur de Pierre Nkurunziza à tourner la page : « Soyez toujours prêt à recevoir la sagesse du Seigneur à l’instar de Salomon.»
(…) « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu! (…) Soyez en sûr, vous êtes le fils de Dieu, capable de procurer la paix aux Burundais, vous savez à quel point nous en avons besoin, donnez-nous la paix, cherchez-là avec tout votre être … »
« Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal, nous savons que vous aimez le Seigneur».
(…) « Que le Seigneur vous éclaire pour que vous fassiez du bien au Burundi, que vous affermissiez l’amour parmi les Burundais. Rapatriez les réfugiés, pour que ces intelligences à l’étranger rentrent nous aider à combattre la misère dans laquelle le Burundi est tombé, pour qu’elles mettent leur génie au service du développement».
« Rétablissez les bonnes relations avec l’extérieur, pour qu’elles soient bénéfiques pour nous». Seul, Monseigneur Ntamwana a parlé. Des applaudissements ont fusé de partout. «Ils sont imprévisibles ces prélats. Ils osent», commente un invité.
Le nouveau président prête serment en tenant le drapeau du pays et celui de l’unité. Au début, les phrases ne sortent pas. Il hésite. Le trac, peut-être. « Devant DIEU le Tout-Puissant, devant le peuple burundais, seul détenteur de la souveraineté nationale, moi, Evariste Ndayishimiye, Président de la République du Burundi, je jure fidélité à la Charte de l’Unité nationale, à la Constitution de la République du Burundi et à la loi et m’engage à consacrer toutes mes forces à la défense des intérêts supérieurs de la nation, à assurer l’unité nationale et la cohésion du peuple burundais, la paix et la justice sociales. Je m’engage à combattre toute idéologie et pratique de génocide et d’exclusion, à promouvoir et à défendre les droits et libertés individuels et collectifs de la personne et du citoyen, et à sauvegarder l’intégrité et l’indépendance de la République du Burundi»
Après ces mots, la foule en délire acclame le président Evariste Ndayishimiye signe devant les membres de la Cour constitutionnelle avant qu’on lui remette les symboles du pouvoir.
Une première. 4 obusiers avaient été installés à l’entrée du stade. Après la prestation de serment, 21 tirs de canaux retentissent dans le ciel de la capitale politique. Les modérateurs ont prévenu la population de ne pas paniquer. Des dégâts légers ont été observés dans des maisons environnantes. Des vitres ont volé en éclats. Des enfants se sont cachés sous les lits. A l’intérieur du stade, certains ont applaudi, d’autres ont eu vraiment peur Deux personnes se sont évanouies et prise en charge par la Croix-Rouge. Puis, le président Ndayishimiye va passer les troupes en revue avant de prononcer son discours. Un discours qui va durer environ 2h.
Des éloges au Guide suprême du patriotisme
Le président Evariste Ndayishimiye a lu un long discours qui ressemble fort à un programme. Les moments forts
« Les précédentes élections ont renforcé l’unité entre les grands et les petits. Une preuve qu’étant unis, nous sommes capables », va déclarer Evariste Ndayishimiye. Puis, une minute de silence est observée en souvenir de feu Pierre Nkurunziza. « Nous nous souviendrons toujours de lui. Il nous laisse un pays qui se suffit, qui ne tend plus les mains à ceux qui se moquent de nous».
Le président Ndayishimiye invite alors l’assemblée présente à applaudir fortement et longuement feu Nkurunziza. Un nom qui va revenir dans son discours.
Selon lui, Nkurunziza avait hérité d’un pays détruit, désorganisé. « Il nous lègue un pays rajeuni, tranquille et en paix. En témoigne, c’est la première fois que le Burundi perd un président de la République et que la situation reste calme. Remercions le Bon Dieu. » Il en profite pour consoler encore une fois l’épouse du président Nkurunziza, sa mère, ses frères et sœurs, ses proches, tous les Burundais et les amis du Burundi. « Que Dieu le Tout Puissant reste de vos côtés pour poursuivre les travaux de développement, un modèle du président défunt. »
Des remerciements sont aussi adressés au parti Cndd-Fdd pour la confiance placée en lui. Il promet de ne pas les décevoir et s’engage pour le développement le Burundi.
D’après lui, les élections de 2020 viennent de confirmer que la démocratie s’est déjà enracinée irréversiblement au Burundi. Il rappelle que dans le passé, à chaque fois que les Burundais ont tenté d’organiser des élections, il y a eu des perturbations. Il cite les années 1961 et 1993.
2020 devait être, selon lui, une occasion de jeter un regard rétrospectif pour préparer un bon avenir.
Les colonisateurs indexés
« Dans le Burundi ancien, les Burundais étaient unis. Un seul peuple. Ils partageaient tout. Ils avaient un seul Dieu, un seul roi. Des interdits. Ils avaient un respect aux dirigeants et à la vie humaine», rappelle-t-il. Et de comparer le premier roi du Burundi et Moise biblique.
Selon le président Ndayishimiye, c’est avec les colonisateurs que les bases socio-culturelles, les bonnes mœurs ont été détruites. « Et c’est de là que date, le premier coup d’Etat. » Et grâce à la bravoure des Burundais, l’indépendance a été recouvrée.
Malheureusement, regrette-t-il, il y a eu toujours certains Burundais qui sont devenus des serviteurs des colonisateurs. Il indexe le PDC de 1961, l’Adc-Ikibiri en 2010 et Cnared en 2015. Des annonces suivies d’applaudissements.
D’après lui, il faut éviter de retomber dans ces pièges : « Nous sommes déjà entrés dans une nouvelle ère. Cette étape franchie aujourd’hui est une des victoires pour sauver le Burundi commencé par une lutte armée sous le commandement de Son Excellence Pierre Nkurunziza » Il avoue que ce combat a occasionné beaucoup des morts, de sacrifices. « Aucune famille n’a été épargnée », souligne-t-il, demandant à la foule de se lever pour une minute de silence aux disparus.
Le président Ndayishimiye affirme que les 15 ans de règne du parti au pouvoir a permis de réaliser que les colonisateurs sont encore là. Il s’insurge contre la provocation de la communauté internationale. D’après lui, ils appellent (les colons) au respect des droits de l’homme alors que dans leurs pays, il y a beaucoup de morts. « Certains tirent même sur des enfants en classe. Au moment où dans ces pays, les mariages homosexuels, la zoophilie… existent. Ils nous demandent la justice alors que chez eux ils pratiquent l’euthanasie et l’avortement.»
Et de leur laisser un message : « Que ces étrangers nous laissent reconstruire le Burundi en renforçant la bonne gouvernance et la promotion des droits humains. Et ce, en nous basant sur l’éducation, les mœurs et la culture de notre pays. » D’après lui, la bonne gouvernance débute par la mise en place d’un gouvernement ‘’rassembleur’’. Ce qui commence par un président de la République, respectueux qui aime son peuple, qui se préoccupe de leur survie. Et de promettre qu’il vient mettre en place ce gouvernement conformément à la Constitution. Et avec Dieu, il ne doute pas qu’il en sera capable : « N’ayez pas peur. Je sais ce qui m’attend. Je viens renforcer l’indépendance du Burundi. Que les Burundais se sentent libres et protégés. »
Le dialogue en avant
« S’il y en a qui sous-estiment encore le Burundi, qu’ils soient rassurés. Tous les Burundais sont des combattants pour défendre leur pays». D’après le président, le dialogue est dans la culture burundaise.
Se référant à certains proverbes comme ‘’ Umutwe umwe ntiwigira inama » « imiti ikora ikoranye », il souligne que dès les temps les plus anciens, les Burundais dialoguaient pour éviter les conflits. Et de hausser le ton : « Qu’aucun étranger ne se mêle plus des affaires burundaises soi-disant qu’il plaide pour un dialogue entre Burundais. »
Il annonce une ouverture : «Aucun Burundais ne va pas être privé de sa parole qu’il soit au Burundi ou à l’étranger. Dès aujourd’hui, le dialogue doit être privilégié. Que chacun exprime sa position, son point de vue. » Il appelle même ceux qui sont en exil de rentrer au pays pour construire le pays. Et de rappeler que tous les Burundais sont égaux devant la loi. Le nouveau président de la République affirme être là pour faire respecter ce principe. Et le dialogue entre tous les Burundais, les partis politiques et le gouvernement sera une priorité.
Pour le futur gouvernement, ou autres dirigeants, le président Ndayishimiye promet des dirigés dignes de ce nom, qui le méritent et qui travaillent pour l’intérêt des dirigés.
Pour arriver au développement, le président Ndayishimiye indique que la justice doit être là. Et ce, pour que chaque citoyen se sente rassuré et protégé. Il signale que dans ce domaine, des corrections vont être faites. Pour lui, il faut une justice qui rassure tout le monde. « Nous souhaitons que les infractions soient punies sans distinction du rang ou du poste du coupable». Il annonce un combat acharné contre les corrompus que cela soit dans le public ou le privé.
Relations avec les autres Etats
Le président de la République promet que les forces de l’ordre et de sécurité vont continuer à participer dans des missions de maintien de la paix. Ce qui nécessite, selon lui, des formations, des appuis pour les rendre plus efficaces et plus professionnels. Le président Ndayishimiye signale que le Burundi veut montrer à la face du monde qu’il a un rôle à jouer dans le développement du monde. « Le Burundi n’est pas là pour être assisté, pour être un fardeau pour la communauté internationale». Pour lui, le Burundi a appris de son passé. Il apprécie les bonnes relations avec les pays et organisations africains. « Nous avons besoin de collaborer avec les autres Etats. Car, nous avons beaucoup en commun». En cas de malentendu entre les Etats, le président Ndayishimiye indique que le dialogue doit être mis en place et pas la force. Et d’appeler les pays africains d’éviter tout ce qui peut noircir les relations entre eux. Il rêve un développement du transport terrestre pour permettre plus d’amitiés, de visites entre les populations de différents pays. Il appelle tous les réfugiés de rentrer au pays. Ceux qui vivent à l’étranger pour le travail, il leur demande d’être de bons ambassadeurs. Les pays limitrophes, nous leur demandons d’être de vrais voisins.
Le Burundi va s’ouvrir aux investisseurs
Durant son mandat, le président Ndayishimiye appelle les investisseurs à venir au Burundi : « Nous souhaitons que le Burundi attire le monde. » L’augmentation de la production n’est pas laissée de côté. Et ce, pour satisfaire le marché local et vendre vers l’étranger. Via le projet ‘’Ewe Burundi urambaye’’, le président Ndayishimiye annonce un programme de protection des sources d’eau par la plantation des arbres fruitiers.
« Nous allons multiplier les entreprises, les usines de transformation de la production agropastorale », promet-il. Et pour y arriver, il indique que la recherche agronomique et scientifique sera très soutenue. Et toujours dans le but de rassurer les investisseurs, le président Ndayishimiye évoque un projet de construction de sept barrages hydroélectriques et l’utilisation de l’énergie solaire.
Face aux problèmes de logement, il signale que son gouvernement compte résoudre cette question par la location-vente. Côté sanitaire, des innovations aussi de la colline au niveau national. Chaque commune aura un hôpital. La mesure de gratuité des soins de santé s’élargit aux retraités. Ce qui sera doublé d’une pension équivalente au salaire du concerné. Dans cette période de pandémie de la Covid-19, il invite tous les Burundais à jouer un rôle pour limiter les contaminations.