Par Clarisse Shaka
Un don de 600 boîtes de pommade vaseline a été remis par Iwacu à une organisation des personnes atteintes d’albinisme de Gitega. Ce don offert par des lecteurs d’Iwacu va soulager leur peau des morsures du soleil pendant quelques mois. Récit d’une belle histoire de solidarité.
Mercredi 29 juillet, 8 heures du matin. Une certaine frénésie règne dans la cour du journal. Une mission « spéciale » se prépare. Une équipe de journalistes va se rendre sur le terrain non pas pour chercher l’information, mais pour porter un peu de soulagement. Les journalistes chargent joyeusement des cartons dans un véhicule. Les cartons contiennent 600 boîtes de pommade vaseline, un don des lecteurs d’Iwacu qui ont été émus par mon article sur le calvaire des personnes atteintes d’albinisme.
L’émotion me gagne, je tremble un peu. En écrivant cet article, je ne savais pas qu’il allait déclencher un tel élan de solidarité. Des lecteurs à travers le monde ont réagi. Ils ont souhaité aider, contribuer pour soulager un peu ces personnes atteintes d’albinisme. En 10 jours, une cagnotte lancée par Iwacu va permettre d’acheter 600 boîtes de ½ kg de pommade vaseline. Je me rends compte de la force et de la beauté de notre métier. Plus que jamais je me sens journaliste, ce métier que j’adore depuis mon enfance.
La journée s’annonce belle. Un doux soleil perce les nuages. 8h30, c’est parti pour Gitega. Pour une fois, Abbas, le directeur adjoint du Groupe de presse a mis une veste. C’est lui qui va remettre le don. Il y a Dorine de la web Tv, Fabrice le cameraman, le chauffeur et moi.
Ces derniers temps lors des départs en reportage, nous sommes toujours tendus depuis ce qui est arrivé à nos collègues Agnès, Christine, Térence et Egide. Pour cette mission-ci, nous sommes joyeux. Les blagues fusent tout au long du voyage. Mélomane et guitariste, dans le véhicule, Abbas a mis la musique à fond. Quelle belle équipée !
11h. Nous arrivons à Gitega, un soleil de plomb règne sur la capitale politique. Directement nous nous dirigeons vers le bureau de l’Organisation des Personnes Atteintes d’Albinisme du Burundi (OPAB).
L’accueil est chaleureux. Une cinquantaine de personnes atteintes d’albinisme, très joyeux, nous attendent. Peu habitués, nous sommes un peu gênés par toutes ces marques de respect et d’affection. Il y a des enfants, des hommes, des femmes…Ils sont venus de plusieurs provinces, accompagnés par leurs familles, pour recevoir les pommades. Dans les pharmacies, une boîte coûte plus de 8000 Fbu. Une fortune pour ces gens pour la plupart sans aucun revenu. J’ai la gorge nouée.
Des jeunes filles, des enfants portent des vestes à capuchons pour tenter de se protéger du soleil. Les hommes ont mis des chapeaux. Le soleil, c’est la bête noire pour ces personnes avec une peau très fragile. Juillet, c’est la grande saison sèche. Je remarque que plusieurs personnes ont du mal à nous regarder. Ils clignent des yeux, mettent leurs pauvres mains devant leurs visages. Ils nous disent qu’ils n’ont pas de moyens pour s’offrir des lunettes de soleil. Pris par un sentiment de honte ou de culpabilité, j’ai envie d’enlever mes lunettes de soleil . Je ne sais pas quoi dire devant tant de détresse. Allez, je ne vais pas commencer à pleurer. Je regarde mes collègues, visiblement, Dorine, très émotive, souffre et fixe ses pieds. Même Abbas, d’habitude si dur est ému.
Sa voix est hachée quand il prend la parole : « Des lecteurs d’Iwacu ont entendu votre cri de détresse. Ce n’est pas grand-chose, mais sachez que cela vient du cœur, des personnes pensent à vous. »
Abbas Mbazumutima trouve difficilement les mots, les discours ce n’est pas son truc. Moise Nkengurutse, le représentant de l’OPAB se rend compte que le journaliste est bloqué, qu’il ne trouve pas les mots. Diplomatiquement, il vole à son secours et prend la parole au grand soulagement du journaliste complètement retourné.
Il remercie beaucoup les lecteurs d’Iwacu . « La détresse des personnes atteintes d’albinisme n’est pas souvent connue ». Il nous explique l’importance de cette pommade pour leur peau très fragile. D’après lui, pour éviter des cancers, les dermatologues leur recommandent de se protéger contre les rayons ultraviolets du soleil. A défaut des crèmes solaires européennes chères et difficilement disponibles au Burundi, la vaseline peut soulager et protéger. C’est d’ailleurs pourquoi le pharmacien Bukera a décidé de soutenir notre action : « L’été est une période très éprouvante pour cette population fragile, la pharmacie a décidé de répondre favorablement à la demande du journal Iwacu de rendre disponible les pommades à un prix coûtant, sans aucune marge à la vente », dira le Directeur Général de la pharmacie Salama.
Avec une boîte d’un demi-kg chacune, ces trois prochains mois seront supportables pour les 438 membres de l’association bénéficiaire de cette aide.
Térence Nduwayo, 21 ans, présente une plaie au niveau de la gorge. Il vit avec cette lésion causée par le soleil depuis deux ans « La plaie me démange beaucoup, parfois j’ai peur de me déchirer le corps tellement je me gratte. »
Le jeune homme est très heureux par ce don. « Quand j’applique la vaseline, je peux passer plusieurs heures sous le soleil sans danger». Odile, une jeune élève raconte combien c’est dur de porter tout le temps de longs vêtements pour couvrir tout le corps dans la chaleur de la saison sèche. « Désormais, je vais pouvoir porter des tenues décontractées, avec cette vaseline », lance souriante la jeune élève heureuse pour sa coquetterie retrouvée.
Le soleil est « notre ennemi numéro un » disent les personnes atteintes d’albinisme autour de nous. Tous regardent avec soulagement les cartons de pommade. Le responsable de l’association nous explique qu’une vingtaine de personnes de leur oganisation sont déjà mortes à cause des cancers de la peau. Plusieurs autres souffrent des lésions cutanées qui risquent de se transformer en cancer.
Quand nous partons, nous avons un double sentiment : la joie d’une bonne action et une grande reconnaissance pour nos lecteurs, mais aussi le sentiment que ces boîtes de vaseline ne vont servir que deux ou trois mois. Et après ?
Deux questions à Antoine Kaburahe/ « Un bon petit geste dans un monde qui va mal »
A la demande des lecteurs émus par un article, vous avez lancé une cagnotte. L’objectif de la cagnotte, 2000 euros, a été atteint à 85%. Quel est votre sentiment ?
Je suis satisfait et reconnaissant envers nos lecteurs. Ce sont d’ailleurs des lecteurs qui m’ont demandé de lancer cette cagnotte. J’aurais aimé arriver à 100% mais il ne faut culpabiliser personne. Les gens sont très sollicités, et puis, même en Europe la vie n’est pas rose, des sociétés ferment, des entreprises font faillite, le chômage est galopant, le coronavirus est passé par là. Il faut donc remercier le moindre geste de solidarité dans un monde qui va mal.
Vous allez continuer à faire des actions pour cette cause ? Le journal Iwacu pourrait être un bon relais pour aider cette association par exemple ?
La cause est noble, je vais toujours soutenir ce genre d’action mais franchement, je dois dire que ce n’est pas mon domaine . L’humanitaire est un métier, avec ses exigences, il faut reconnaître. Et puis c’est aussi très prenant, il faut solliciter, relancer. Je suis heureux pour ce que nous avons fait en 10 jours mais l’information reste et doit rester ma cause principale. Et il y a vraiment à faire.
Propos recueillis par Clarisse Shaka