En ces temps de rentrée littéraire francophone, impossible de passer sous silence la sensation du moment : « Petit Pays », de Gaël Faye. Comprenons-nous bien : ce roman n’est pas simplement cité dans ces pages littéraires du fait que sa peinture des Grands Lacs africains des débuts des années 1990 soit récompensée par le Prix FNAC. Ou que le Goncourt 2016 le place dans sa première sélection.
Non : il faut parler de ce roman parce qu’il est un miroir saisissant de « nos » pays, de nos réalités partagées entre le Burundi, le Rwanda et la RDC. Roman d’une brûlure : celle des forces souterraines, fomentant des projets de violence et de destruction qui finissent par violenter la façade des sourires et des grands discours d’optimisme.
Roman d’une déchirure : « Chez moi ? C’était ici. Certes j’étais le fils d’une Rwandaise [et d’un Français], mais ma réalité était le Burundi. » Il suffit de lire les mots « ubuswage, tchélélés, Canjo Amissi, Kadja Nin, Yebabawe, Au delà du son » pour s’en convaincre.
« Petit pays, grand roman », titrent nos pages littéraires. C’est un roman écrit par des mains qui ont vécu l’indicible, « même si c’était à côté ». Car, écrit Gaël Faye, « le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie. »
Le texte rappelle aussi la plume d’un certain Patrice Faye, dont les pièces de théâtre au Centre Culturel Français étaient truffées de personnages tels ce Jacques de Bukavu qui appelle son boy « macaque, chimpanzé. »
Il y a, dans ce roman, beaucoup de tendresse pour le Burundi. Et beaucoup de lucidité sur ce pays des rumeurs et du non-dit, rappelant au passage que les relations avec son faux-jumeaux du nord ont toujours été douces-amères : même à l’époque des régimes militaires mono-ethniques, la diaspora rwandaise au Burundi faisait face à l’insulte, la stigmatisation ou le douloureux numerus clausus à l’école.
L’africaniste Alain Ricard, dont nous saluons la mémoire dans ces quatre pages, avertit sur l’importance « de montrer que les questions africaines sont quand même plus larges que ce que la mémoire établie veut nous en dire. »
Gaël Faye répond à cet appel, en nous envoyant de Paris cette carte postale titrée « Petit Pays .»