En lisant le livre d’Adam Hochschild « King Leopold’s Ghost »1, j’y ai découvert des personnes qui ont marqué de façon extraordinaire et indélébile les premiers contacts entre nos régions et les Européens. Dans le chapitre sept du livre – dont la version française est intitulée {« Les Fantômes du roi Léopold »}2 – l’auteur s’étend sur le rôle clé et pionnier de la défense des droits des Noirs du Congo qu’à joué un Afro-Américain du nom de George Washington Williams.
<doc6761|right>Il est né en 1849 en Pennsylvanie. A quinze ans, il participe à la guerre de Sécession et combat dans quelques batailles mémorables avant d’être démobilisé comme blessé de guerre. Faute d’emploi, il se réengage au sein de l’armée républicaine du Mexique qui va combattre l’empereur Maximilien et le détruire lui et ses troupes européennes. Il rejoindra l’armée américaine et mènera de nouveaux combats de conquête de l’Ouest contre les Indiens d’Amérique jusqu’en 1868. C’est enfin après toutes ces campagnes qu’il reprend les études et obtient un diplôme en théologie en 1874. Il a vingt-cinq ans. Il commence alors une vie active à Boston durant laquelle il milite sans relâche pour les droits des Noirs Américains. Il poursuit des études de droits et lorsqu’il les achève, c’est sera le premier Noir à faire partie du Parlement de l’état de Ohio. Il y fera voter des lois abolissant l’interdiction des mariages interraciaux.
Un précurseur
En 1882 et 1883, il publie une étude magistrale en deux volumes, {« History of the Negro Race »}3, qui décrit les empires et les royaumes africains indépendants jusqu’à la période de l’esclavage. L’étude pousse ses investigations et suit la déportation des Noirs, leur participation à la Guerre de Sécession et surtout leur contribution à la reconstruction des Etats-Unis d’Amérique. Il est considéré en histoire comme un des précurseurs – un siècle en avance sur les autres académiciens ! – d’une critique historique qui ne repose pas seulement sur des documents écrits, mais bien sur les témoignages, sous diverses formes, de peuples opprimés à qui on a souvent nié le droit à l’expression. William E.B. Du Bois, dira de lui qu’il était « le plus grand historien de la race noire ».
<doc6762|left>Face à la réalité coloniale
En dépit des tentatives de dissuasion du roi Léopold II, George W. Williams s’embarque pour le Congo en 1890 en faisant préalablement le tour du continent. Six mois durant, il visite Le Caire, Zanzibar et la république du Transvaal avant d’accoster à Matadi. Arrivé au Congo, il voyage sur des bateaux à vapeurs. A chaque escale, il observe, questionne, interview et analyse avec acuité comment fonctionne le système d’exploitation des indigènes par les agents du roi Léopold II.
Il ne tarde pas à se rendre compte que le Congo est comme « une Sibérie du continent africain ». Il montre comment l’explorateur Stanley, au service du roi Léopold II, a asservi les Noirs en les dépossédant de leurs terres par tromperie juridique. Il décrit comment les postes militaires sont des centres de diffusion de la brutalité sous toutes ses formes : viols, rapts de jeunes, pillages, tueries, … Il démonte systématiquement le système commercial du roi des belge qui prétendait apporter la civilisation et ne faire qu’une œuvre philanthropique. C’est au travers d’une célèbre Lettre Ouverte au Roi4 qu’il fustige ces actions barbares et porte l’estocade en accusant le roi d’être coupable de crimes contre l’humanité. L’expression est utilisée par Williams un demi-siècle avant qu’il ne le soit au procès de Nuremberg à l’endroit des nazis! Les Congolais qui ne se sont point trompés sur la personne le surnommeront : « Mundele Ndombe » (« Le Blanc Nègre »)
Enfants et adultes mutilés pour n’avoir pas recueilli la quantité de sève de caoutchouc requise quotidiennement dans les plantations du roi Léopold II.
George Washington Williams s’épuisera au travail et mourra en Ecosse à l’âge de quarante et un an seulement. Soixante-dix ans avant Patrice E. Lumumba, un Noir s’était déjà dressé fièrement et fermement devant la couronne de Belgique pour lui dire qu’il n’existe jamais de fraternité hors la dignité et le respect mutuel. Aujourd’hui que l’Afrique fête un demi siècle de souveraineté, il serait juste de réhabiliter la mémoire d’un homme qui a tant fait pour qu’un jour le Congo et l’Afrique soient respectés dans le concert des nations.
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1 Hochschild, A., {King Leopold’s Ghost: A Story of Greed, Terror and Heroism in Colonial Africa}, Basingstoke – Oxford, Pam Books, 2002
2 Le titre original est en anglais : Hochschild, A., {King Leopold’s Ghost: A story of Greed, Terror and Heroism in Colonial Africa}, London, Houghton Mifflin Company, 1998. Le titre francophone original est : "Les Fantômes du roi Léopold : un holocauste oublié". La version de 2007 est intitulée : "Les Fantômes du roi Léopold : la terreur coloniale dans l’Etat du Congo (1884-1908)"
3 Le titre en entier est le suivant : {"History of the Negro Race in America from 1619 to 1880. Negroes as Slaves, as Soldiers, and as Citizens, together with a preliminary consideration of the Unity of the Human Family and historical Sketch of Africa and an Account of the Negro Governments of Sierra Leone and Liberia”}
4 {"An Open Letter to His Serene Majesty Leopold II, King of the Belgians and Sovereign of the Independent State of Congo”}, July 18th, 1890.