Vendredi 22 novembre 2024

Politique

Un emprisonnement polémique

19/10/2020 Commentaires fermés sur Un emprisonnement polémique
Un emprisonnement polémique
Fabien Banciryanino : « Les interrogatoires ont porté sur les propos que j'ai tenus à l'occasion de mes interventions à l'Assemblée nationale. »

L’ancien député élu dans la circonscription de Bubanza, Fabien Banciryanino, est incarcéré dans la prison centrale de Mpimba depuis le jeudi 8 octobre 2020. Il est accusé de rébellion, dénonciation calomnieuse et d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat. Cet emprisonnement divise la classe politique.

Pour l’avocat de l’ex-député Fabien Banciryanino, Christophe Nkeringanji, son client n’a commis aucun crime. « Il ne peut pas être poursuivi et emprisonné pour ce qu’il a dit au cours des sessions de l’Assemblée nationale compte tenu de l’article 155 de la constitution et l’article 13 du Règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale. » Cet article 13 stipule que les députés ne peuvent être poursuivis, recherchés ou arrêtés, détenus ou jugés pour des opinions ou votes émis dans l’exercice de leurs fonctions. Me Christophe Nkeringanji déplore que le parquet n’ait pas pris en compte son état de santé. « Il est atteint de maladies chroniques, à savoir l’hypertension et le diabète. Le parquet et les enquêteurs du BSR étaient au courant. Etant humains eux aussi, nous espérons que notre client va être relâché »

L’ancien député est accusé de rébellion, dénonciation calomnieuse et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat. Il avait comparu au parquet de Ntahangwa en mairie de Bujumbura, le jeudi 8 octobre dernier, après six jours d’incarcération dans les cachots du Bureau spécial de recherche (BSR). Il a été écroué à la prison centrale de Mpimba après 3 heures d’interrogatoire.

Au commencent, c’était une vidéo sur You tube

Dans une lettre, du 7 octobre 2020, au président de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (CNIDH), Sixte Vigny Nimuraba, Fabien Banciryanino appelle au secours : « J’ai été arrêté et conduit manu militari dans les cachots du Bureau Spécial de recherche (BSR) sans aucun mandat ni un quelconque autre titre d’arrestation. Les interrogatoires que j’ai déjà subis jusqu’ici portent sur les propos que j’ai tenus à l’occasion de mes interventions dans les sessions de l’Assemblée nationale, en ma qualité de député, législature 2015-2020.» Selon lui, c’est sur base de ses interventions qu’il est poursuivi pour avoir tenu des propos diffamatoires à l’endroit du chef de l’Etat. « En ce qui me concerne, je reconnais avoir fait des interventions dans bon nombre de sessions de l’Assemblée nationale, qui sont loin de constituer des infractions contre qui que ce soit, surtout pas le Chef de l’Etat à qui je dois tout le respect lié à ses plus hautes fonctions ».

Pour Fabien Banciryanino, ses tracas sont dus à des correspondances qu’il a adressées au ministre de l’Intérieur, au maire de la ville de Bujumbura et au Commissaire général de la Police judiciaire  » pour leur demander de m’aider à démentir les propos dommageables d’un certain Arthur Bizabishaka qu’il a tenus à mon endroit dans ses audios du 28 septembre 2020.  » Ce dernier serait un  » journaliste  » qui diffuse via une chaîne You tube dénommée Burundi Bwacu Online. L’ex-député a été arrêté alors qu’il s’apprêtait à recevoir les journalistes pour démentir les propos contenus dans cette vidéo, laquelle a été supprimée par son auteur depuis l’arrestation de Fabien Banciryanino.

La société civile préoccupée

Lewis Mudge : « L’espoir de voir un nouveau président renverser le cycle répressif au Burundi semble de plus en plus mince. »

« L’espoir de voir un nouveau président renverser le cycle répressif au Burundi semble de plus en plus mince. La décision des autorités judiciaires burundaises de poursuivre un ancien membre du parlement indépendant, connu pour être un fervent défenseur des droits humains, vient s’ajouter à une série de signes préoccupants », indique Lewis Mudge, directeur Afrique centrale à Human Rights Watch (HRW). Pour lui, les procureurs devraient présenter des preuves irréfutables reliant les actes ou les déclarations de Fabien Banciryanino aux accusations graves dont il fait l’objet et justifiant sa détention ou devraient le libérer sans condition. Dans le cas contraire, poursuit-il, cette arrestation enverra un message délibérément glaçant aux politiciens tous azimuts.

« Les chefs d’accusation qui lui sont reprochés n’ont rien de judiciaire et relèvent de l’imaginaire. Ensuite, le dossier est vraiment politique que judiciaire. Ce dossier monté de toute pièce discrédite davantage l’indépendance du pouvoir judiciaire », relève Me Gustave Niyonzima, défenseur des droits humains. Selon lui, Fabien Banciryanino a été incarcéré, sans qu’il y ait préalablement un mandat judiciaire, une convocation valable prévue par la loi de procédure pénale et sans qu’aucune règle légale de la procédure pénale inhérente à l’interrogatoire de la garde à vue ne soit faite. « Plusieurs droits n’ont pas été communiqués au prévenu comme c’est prévu par le Code de procédure pénale. Juridiquement et légalement, il devait y voir la nullité illico prestissimo de toute l’instruction comme l’exige l’article 111 de ce code. » Qui plus est, légalement, poursuit ce juriste de formation, il y a le principe général de droit qui exige que nul ne soit condamné pour des actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis ne constituaient pas une infraction. De même, il ne peut être infligé de peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. « L’incarcération de Fabien Banciryanino est une preuve tangible de la vacuité de l’indépendance de la justice burundaise. »

Pour un autre défenseur des droits de l’Homme qui a requis l’anonymat, l’emprisonnement de Fabien Banciryanino confirme la persistance de l’intolérance envers l’opinion dissonante, le rejet du débat politique contradictoire et l’inexorable recul de l’Etat de droit. « Un représentant du peuple bénéficie d’une protection légale pour lui permettre de faire son travail sans crainte de subir des intimidations par la justice interposée. L’arrestation et l’emprisonnement de cet élu du peuple prouve à suffisance que la loi n’est plus appliquée et que la justice est manipulée, instrumentalisée. » Pour lui, il y a des conséquences sur le travail du Parlement. « Il ne serait plus en mesure de jouer correctement son rôle surtout celui de contrôler le gouvernement. Si un parlementaire qui pose une question à un ministre peut aller en prison en raison de son opinion, vous comprenez que seuls ceux qui veulent faire l’éloge du pouvoir exécutif vont oser s’exprimer. »

Interrogé, le président de la CNIDH affirme qu’il a bien reçu la lettre de l’ex-parlementaire. « Nous suivons de près ce dossier. Nos équipes sont en train de collecter des informations. » Sixte Vigny Nimuraba assure que la CNIDH va s’exprimer dans les jours à venir.


>>Réactions

Térence Manirambona : « C’est une entorse grave à la démocratie.»

Le porte-parole du Congrès national pour la liberté (CNL), Térence Manirambona, indique que la plupart des arrestations suivies d’emprisonnements à caractère politique sont arbitraires. « Il revient au pouvoir public de respecter et faire prévaloir la loi pour tout citoyen quel que soit son rang social ». Selon Térence Manirambona, l’emprisonnement de Fabien Banciryanino est une entorse grave à la démocratie et à la liberté des citoyens.

Gabriel Banzawitonde : « Que la justice soit faite en toute indépendance. »

Pour le président de l’Alliance pour la Paix, la Démocratie et la Réconciliation (APDR), Gabriel Banzawitonde, c’est une triste réalité qu’un ex-député soit emprisonné. « Mais comme la justice est indépendante, personne n’est au-dessus de la loi. Que la justice soit faite en toute indépendance afin de trancher cette affaire». S’il s’avère qu’il est poursuivi pour ses opinions à l’Assemblée nationale, Gabriel Banzawitonde trouve qu’on aurait pu lui ôter son immunité lorsqu’il était député. Pour le président de l’APDR, cet emprisonnement n’aura pas de conséquences sur le travail des parlementaires. « La liberté d’opinion est garantie aux députés en fonction. A la fin du mandat, un député devient un citoyen comme les autres».

Kefa Nibizi : « Le magistrat doit lire attentivement le règlement d’ordre intérieur du parlement et la Constitution. »

Le président du parti Sahwanya Frodebu Nyakuri, Kefa Nibizi, trouve difficile de s’exprimer sur l’arrestation de Fabien Banciryanino sans connaître réellement les tenants et les aboutissants de cette affaire. « Un ancien député peut être interrogé ou inculpé sur les actes qu’il commet quand il n’est plus député, car il n’a plus d’immunité. Il est un citoyen ordinaire. »

S’il s’agit des actes qu’il a commis lorsqu’il était encore député, mais qui n’entrent pas dans ses fonctions et qu’on n’a pas pu l’emprisonner ou l’auditionner suite à son immunité, indique Kefa Nibizi, rien n’empêche maintenant de l’interroger. « Cependant, s’il s’agit des interventions qu’il aurait faites quand il était encore en fonction, je pense que le magistrat qui est en train de conduire l’instruction devait d’abord lire attentivement le règlement d’ordre intérieur du Parlement, mais aussi la Constitution pour voir s’il n’y a pas violation de ses droits ». Selon le président du Sahwanya Frodebu Nyakuri, un élu du peuple garde le droit de s’exprimer librement et même critiquer les actes commis par les dépositaires du mandat public. Il demande aux députés de bien lire la Constitution et le règlement qui les régit et de s’y référer dans leurs activités quotidiennes. « Rien ne pourra les empêcher de travailler, car ils ont été mandatés par le peuple ».

Olivier Nkurunziza : « Nous demandons à la justice de respecter scrupuleusement la loi. »

 » S’il est emprisonné pour ce qu’il a dit à l’Assemblée nationale, ce serait déplorable « , souligne Olivier Nkurunziza, Secrétaire général du parti Uprona. Selon lui, un parlementaire ne peut être emprisonné pour ce qu’il a dit dans les sessions du parlement. « Les députés sont protégés même s’ils n’ont pas la permission de parler comme ils veulent. En lisant la lettre de l’ex-député, je pense qu’il y a peut-être un autre mobile ». Le parti Uprona demande à la justice de respecter scrupuleusement la loi en menant ses enquêtes et de ne pas condamner un parlementaire suite à ses interventions pendant la session. Pour le Secrétaire général de l’Uprona, si Fabien Banciryanino a continué de parler en dehors de la session, c’est une autre affaire. « Ce qui me gêne, c’est de ne pas savoir les vrais mobiles. Après avoir mené des investigations, le parti Uprona va donner sa position sur cette affaire ».

Tatien Sibomana : « Un emprisonnement illégal et arbitraire. »

 » Si les faits lui reprochés sont les propos qu’il aurait tenu au mois de février 2019 à l’Assemblée nationale, je pense que son emprisonnement est illégal et arbitraire « , réagit Tatien Sibomana, un des ténors du parti Uprona non reconnu par le ministère de l’Intérieur. Il fonde son argument sur l’article 155 de la Constitution.  » A moins qu’ils nous prouvent que ce sont des propos qu’il aurait tenus ailleurs.  »

Pour les non-initiés, poursuit-il, ils peuvent dire que c’est de la flagrance. « Cette dernière a été prévue par le même article. Il est stipulé que sauf en cas de flagrant délit, les députés et les sénateurs ne peuvent, pendant la durée des sessions, être poursuivis qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée Nationale ou du Bureau du Sénat ». Et de poursuivre : « Si c’était un cas de flagrance, il aurait été poursuivi juste après ses dires selon ce juriste de formation. Ce qui n’a pas été fait. Il est hors de question qu’ils trouvent une brèche légale pour interpeller Fabien Banciryanino. »

Phénias Nigaba : « Une façon de museler les voix discordantes. »

Pour le porte-parole du parti Sahwanya Frodebu, Phénias Nigaba, les chefs d’accusation ne tiennent pas debout. « Il y a d’autres mobiles politiques qui se cachent derrière cet emprisonnement. Pourquoi il n’a pas été interrogé lorsqu’il a prononcé ces mots à Kigobe ? » Phénias Nigaba n’y va pas par quatre chemins : « Ils veulent museler les Burundais en général et les parlementaires en particulier. Ces derniers vont commencer à avoir peur pour contrôler le gouvernement, comme il se doit. Le débat ne sera plus possible au Parlement. »

Selon Phénias Nigaba, les parlementaires ne pourront plus dénoncer la corruption, les malversations économiques, la mauvaise gouvernance, etc. Le porte-parole du Sahwanya Frodebu trouve que le principe de la séparation des pouvoirs est menacé. « C’est un message qui leur est adressé. Mais, les parlementaires devront se battre pour leurs droits, leur immunité. Ils devaient se lever comme un seul homme pour défendre Fabien Banciryanino ».

Pendant la législature de 2015-2020, Fabien Banciryanino s’est illustré pour ses interventions à l’hémicycle de Kigobe. Le 19 février 2020, il s’est opposé à la loi qui visait à donner à Feu président de la République, Pierre Nkurunziza, le titre officiel de  » Guide suprême du patriotisme « . Des propos qui lui sont reprochés selon ses avocats. Avec sa voix de stentor, il s’est écrié : « Durant ce mandat de 15 ans, il s’est passé des choses terribles à tel point que nous ne pouvons pas préparer un tel projet pour le chef de l’Etat actuel. Il y a eu des tueries, des gens ont été jetés dans les rivières, d’autres enterrés mutilés sous son régime. Pouvons-nous vraiment dire qu’il agissait franchement pour être Guide suprême du patriotisme ? Est-ce que les générations futures pourraient prendre cela comme exemple à suivre ? Autre chose, il a dit de sa propre bouche qu’il y a des gens qui mourront errants, il a qualifié des gens de chiens faméliques errants. Faut-il alors qu’il soit récompensé pour cela. Si on regarde bien ce qui s’est passé pour les associations de défense des droits de l’Homme, les confessions religieuses, les partis politiques scindés en plusieurs ailes. Est-ce que vraiment il y a eu des signes évidents sous ce régime qui montrent que son leader mérite ce que vous êtes en train de prévoir pour lui ? Au vu de tout cela, je pense que l’actuel chef de l’Etat ne mérite pas cette distinction. Il risque même de se retrouver devant la justice. »

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