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Un délinquant mérite-t-il la mort ?

05/05/2013 Commentaires fermés sur Un délinquant mérite-t-il la mort ?

Pour plusieurs observateurs, le gouverneur de Gitega a raté l’occasion de se taire. Les bourreaux de Juvénal Havyarimana seraient des agents de sécurité commandités par le commissaire provincial adjoint de la police à Gitega.

<doc4260|right>Un coup de poignard dans le dos de la famille de François Sindaharaye, un sexagénaire de la commune Bugendana qui venait de perdre son fils. Comme si un délinquant n’avait pas le droit de vivre, Sylvestre Sindayihebura, gouverneur de Gitega, déclare : « Il n’y a pas de torchon qui brûle dans le site des déplacés de Bugendana dont Juvénal Havyarimana est originaire. Nous avons des informations qu’il était un délinquant qui faisait partie d’une bande armée (…) » D’après toujours le gouverneur, c’est un garçon qui avait même échappé au contrôle de son père. « Plusieurs conseils lui ont été adressé mais il avait même fini par abandonner l’école », affirme-t-il.

28 mai 2012 à 21heures à la 3ème avenue du quartier Magarama où Juvénal Havyarimana ("Juv", pour les proches) vivait avec ses cousins. Il reçoit un coup de fil sur son portable portant le numéro76877804. Il n’a pas révélé l’identité de son auteur. D’après B.V., son amie d’enfance et voisine, c’était à quelques minutes du repas, tout était prêt. Juv, raconte celle-ci, s’en va à la rencontre de son « ami » qui l’invite à prendre un verre ensemble. L’un de ses cousins lui demande de prendre soin de lui compte tenu du contexte politico-sécuritaire du moment. Toutefois, Juv rassure que tout va bien. Il les prie d’ailleurs de ne pas l’attendre au souper. Au bout de 30 minutes, la mauvaise nouvelle fusait de partout : un jeune homme venait d’être enlevé.

A.M. a assisté à toute la scène. Il explique qu’il était tout près du lieu de kidnapping (entre la 2ème et 3ème avenue) quand Juvénal et son bourreau, quelqu’un de plus âgé que lui, ont commencé à échanger normalement. Soudain, se souvient-il, l’échange s’est transformé en disputes. D’après A.M., il a vu, par après, venir deux individus : l’un du côté de la Route Nationale 1 et l’autre de la direction sud du lieu d’enlèvement. « Les disputes se sont arrêtées au moment où une double cabine blanche de marque Hilux est intervenue. Juv a eu juste le temps de crier demandant secours et le véhicule était parti », indique-t-il. D’après ce témoin oculaire, les bourreaux de Juvénal Havyarimana étaient en tenue civile et non en tenue policière. Il indique également que la double cabine était sans plaque d’immatriculation. « Pour éventuellement fausser les pistes », remarque-t-il.

Une police inapte ?

D’après Jean Ngenda, chef de quartier Magarama, deux hommes sont venus 30 minutes après l’enlèvement de Juvénal Havyarimana lui annonçait la situation. M. Ngenda dit avoir informé le chef de poste. Cependant, ce dernier a minimisé les faits arguant que la police ne peut pas courir derrière un véhicule sans identification. Au cours de la réunion de sécurité du 29 mai dernier, le chef de quartier l’a aussi signifié au chef de zone.

Plus d’une semaine sans nouvelles

La famille a dû souffrir. Alors que Sylvestre Sindayihebura, gouverneur de Gitega, insiste sur le fait que la famille n’a pas porté à la connaissance de l’administration la disparition du jeune Havyarimana, Imelde Niyonzima, sa sœur le désavoue : « Nos parentés, voisins et amis ont parcouru toutes les prisons à la recherche de Juv sans succès. »

Les larmes aux yeux, elle se rappelle des premières informations selon lesquelles un corps sans vie a été retrouvé dans Nyabihanga (Mwaro), le 5 juin dernier. Elle se dit que ce doit être son frère. Et elle avait raison.
Bien que des responsables administratifs, dont elle n’a pas voulu révéler l’identité, affichent un comportement réticent à la récupération du corps de Juv, elle y parvient grâce au soutien du responsable du parti MSD à Gitega. « C’était bel et bien le cadavre de mon frère à l’état de décomposition, sans aucune trace de blessures ou de balles. Il aurait été étranglé», lâche-t-elle en essayant de retenir ses larmes. Mme Imelde Niyonzima regrette qu’au moment où le corps a été retrouvé, l’accès a la morgue de l’hôpital de Gitega n’a pas été facile : « Il nous a été signifié que la morgue n’accueille pas des cadavres en décomposition. Le cadavre est resté au parquet de Gitega de 13h à 19h.» Juvénal Havyarimana sera enterré le lendemain, 6juin dans sa commune natale.

<doc4261|right>Des accusations portent sur Rwembe

B.N. du quartier Magarama indique ne pas savoir ce qui se passait dans son village car il était au bistrot « Chez Tujajure » avec Michel Rwaneza alias Rwembe. Selon lui, il a vu Rwembe s’agiter de façon inhabituelle, après une communication qu’il venait de recevoir. En donnant les ordres à ses subalternes, raconte N.I., on sentait une sorte de satisfaction. « Nous connaissons que c’est un policier criminel. Quand je suis rentré et que j’ai appris l’histoire de ce jeune Juv, j’ai compris que Rwembe a été contacté pour lui assurer que la mission a été accomplie », lance-t-il.

K.O. ne doute pas : « Quand on se rappelle comment le meurtre de Léandre Bukuru a été organisé et qu’on compare avec celui de Juv, c’est la même personnalité qui l’a planifié. » Et Rwembe, insiste-t-il, n’est pas loin dans cette affaire louche.

Q.Y. s’interroge sur la provenance de ces « fameux » véhicules double cabine et se donne du coup la réponse : « Soit de l’administration, de la magistrature ou des forces de l’ordre. » Il indique que tous les meurtres qui sont commis à Gitega sont imputables à ces services ci-haut mentionnés.

Interrogé, Michel Rwaneza alias Rwembe rejette toutes ces accusations : « Il s’agit de criminels non encore identifiés et non des policiers »
Selon Elie Bizindavyi, porte-parole de la police, il est regrettable qu’un citoyen soit enlevé puis tué. Il signale que le jeune MSD n’est pas passé entre les mains de la police. Le porte-parole de la police fait savoir qu’avant de condamner qui que ce soit, il faut établir les preuves de culpabilité. Et de demander le concours de la population pour que la vérité soit rétablie.
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Ces enquêtes qui n’aboutissent pas

Il y a sept mois, Léandre Bukuru, militant du MSD, avait été arrêté à son domicile, au quartier Shatanya 3 de la ville de Gitega, et retrouvé décapité à plus de 10 km de chez lui. Michèle Rwaneza, commissaire provincial adjoint de la police à Gitega, était le premier accusé. Le parquet de Gitega avait rassuré que des enquêtes avaient déjà commencé mais… Aujourd’hui, l’administration et le parquet disent se saisir du cas. Entre-temps, des enfants du pays continuent à être tués par ceux-là même qui étaient sensés les protéger. Il est grand temps que les Burundais sachent la vérité. S’il reste difficile de connaître la vérité sur le passé récent, qu’adviendra-t-il de la vérité sur les tragédies qui ont endeuillé notre pays au cours des cinquante dernières années.

<doc4262|right>Le désespoir

A la veille de l’enterrement de son fils non loin d’un camp de déplacés de Bugendana, François Sindaharaye a l’apparence d’un homme fatigué et blessé. Il portait une vieille veste usée. Regard absent, il a du mal à répondre à une question qu’on lui pose. Chaque fois, on est obligé de répéter deux ou trois fois. Quand il y parvient, il tient un monologue. « Mon fils n’avait jamais eu la paix, depuis sa naissance comme d’ailleurs toute la famille. II avait quitté Bugendana pour chercher refuge ailleurs, mais ce sont les mêmes, qui avaient voulu le tuer auparavant, qui l’ont poursuivi et assassiné », dit-il après avoir soupiré.

Comme il le confirme, le calvaire pour sa famille ne date pas d’hier. La vie dans un camp de déplacés, l’assassinat de sa mère en 1996 suite à une attaque des rebelles dans le camp de déplacés de Bugendana. Et sa sœur est devenue handicapée à vie, depuis ce jour-là.
Le père de Juvénal Havyarimana rejette toutes les accusations qui font de son fils un membre des groupes armés. Pour lui, c’est un montage pour cacher la vérité. « S’il était dans ces groupes armés, pourquoi le tribunal de Ruyigi l’aurait blanchi ? », a-t-il poursuivi. Il aurait préféré qu’il restât dans la prison plutôt que d’être acquitté et tué par la suite.
Toute en continuant à se poser des questions sur les motifs de l’enlèvement et de l’assassinat de son fils, François Sindaharaye demande que les bourreaux de son fils soient identifiés et traduits devant la justice.

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