… il est la première grande figure du stylisme au Burundi. Rencontre avec un artiste discret et touche-à-tout, amateur de lignes douces.
<doc5833|right>Quand il vous dit qu’il oublie souvent, vous y croyez spontanément. De même quand il ajoute, « j’aime la nature, le calme, observer ». A 45 ans, Frédéric Gashirahamwe, dit Turuso, donne l’impression d’être ailleurs, avec la vie. Parfois, d’être absent, presque.
Pourtant, dans des halls d’hôtels à Bujumbura, dans des bureaux ou salons du Rwanda ou du Burundi, dans les yeux des mariées des contrées, dansent des tableaux et des robes signées du sobre Turuso … Quatre couleurs tout au plus, l’attrait pour la noire, des jeux d’ombres, et des personnages élancés, sveltes. Le style Turuso existe : « Dans chaque tableau, il y a une part de stylisme », explique l’artiste.
Lorsqu’en 1992, avec quelques amis, Turuso décide d’organiser un défilé de mode à Bujumbura, c’est sa première collection. A l’époque, les machines du défunt Complexe Textile du Burundi (Cotebu) grondent constamment, enroulant les femmes de la sous-région dans de magnifiques pagnes qui n’ont rien à envier aux Super Wax importés de la lointaine Hollande. Une année avant, la maman de Frédéric quittait la Terre, portant sur ses lèvres le sourire de ce soir où elle s’était vue offrir un ensemble de pagnes cousus aux soins de son fils, huitième enfant sur neuf.
Voilà donc l’artiste dans l’aventure, flanqué de trois tailleurs tandis que ses amis remuent la capitale burundaise pour les petits soins du show, dont notamment l’épineuse recherche des mannequins. Tout cela est nouveau, et on le regarde avec perplexité : « Dites-nous : que fais-tu exactement ? Est-ce que tu dessines des gens ? », apostrophe-t-on Turuso ici, là. Son père, ancien d’Astrida, premier administrateur burundais de la Bancobu l’encourage, comme toujours.
Au bout du projet, le défilé tenu à l’Odéon Palace sera un joli succès, que l’histoire célèbre désormais … dans les yeux de ceux qui y ont assisté, faute d’images d’archives : « La Radio Télévision Nationale n’était pas là ! » Et il n’y avait pas de médias privés.
Le contact d’une directrice d’agence de mannequins établie à Nairobi conduira le styliste burundais à présenter, deux ans après, une nouvelle collection dans la capitale kenyane avant qu’il ne soit engagé par la boîte.
<doc5835|center>Mais sa carrière ne sera vraiment lancée qu’avec ce concours organisé en 1995 à l’occasion de la célébration des 50 ans de l’Unesco. Turuso se retrouve parmi les 50 designers à exposer, sur plus de 2000 candidatures. Ils sont deux à représenter l’Afrique. Lors de la soirée des récompenses tenue sous les ors du Sénat français, 49 artistes retenus pour l’exposition finale seront félicités chacun par l’ambassadeur du pays d’origine, sauf celui du Burundi. Comme toujours, les priorités du pays étaient ailleurs, loin de la culture …
<doc5834|left>« Après ce prix, j’ai travaillé pour une maison de prêt-à-porter, avant de commencer une carrière en solo », explique Turuso, toujours d’un ton calme, presque las, dans cette maison paternelle sise dans les collines de Kiriri. Un toit que l’artiste retrouve chaque fois qu’il quitte la lointaine Suède où il s’est installé depuis 2007.
Plus de quinze ans après, des expositions à Naples, Bruxelles ou Stockholm et des défilés de mode à Bujumbura, le peintre et styliste rumine un projet : « Avoir un endroit dans lequel rassembler les jeunes et les former. Essayer d’apporter un sang neuf dans le monde du design au Burundi… » Tenter de sortir des images archi-vues comme l'{ingoma} (tambour), pousser de jeunes créateurs à se lancer dans des recherches originales. Le styliste, récemment converti dans la décoration intérieure, est même optimiste, en citant deux noms : Guy Maza et Cynthia Munwangari … Deux noms qui marqueront, à coup sûr, le chemin tracé par l’ainé Turuso dans la mode.