Invité au Forum des leaders des médias en Afrique qui s’est tenu à Tunis, Antoine Kaburahe partage avec les lecteurs d’Iwacu sa découverte d’un peuple fier de sa révolution. <doc2071|left>Aéroport de Tunis –Carthage, à la vue de ma carte de presse, le policier de l’immigration se fend d’un large sourire : « Bienvenue en Tunisie , vous venez pour un reportage ? ». Le policier est heureux que des journalistes viennent découvrir son pays. Cette joie d’un peuple je vais la retrouver tout au long de mon séjour. Dans le taxi qui m’emmène à l’hôtel, le chauffeur brûle d’envie de parler. « Ben Ali c’est fini, parti, lui, sa femme, toute la famille, tous des voleurs ». Et il commence à montrer les banques, les villas qui, semblent-ils, étaient la propriété du clan présidentiel. A l’écouter, apparemment tout le pays appartenait au président et ses proches. On sent une haine contre cette famille qui avait mis le pays en coupe réglé. Nous prenons l’autoroute vers Gammarth à une vingtaine de kilomètres du centre de Tunis. Le site, au bord de la mer, abrite hôtels et villas luxueux. La famille Ben Ali y avait plusieurs propriétés. Soudain le taximan s’arrête : « Monsieur je vais vous montrer quelque chose.» Il me désigne une belle villa, complètement dévastée. Le Tunisien est fier. Moi, je ne comprends pas. « Cette ville appartenait à la mère de la femme de Ben Ali, Leïla Trabelsi, le peuple a tout pillé ». Le taximan est heureux de me montrer la belle maison vandalisée. « La jeunesse n’avait plus d’espoir » Les autorités tunisiennes avaient tout fait pour rendre agréable le séjour des journalistes invités. Elles voulaient montrer que tout avait changé. Une belle opération de charme. Dès l’ouverture de la conférence, le premier ministre tunisien va donner le ton : « on ne peut pas vous souhaiter la bienvenue car vous êtes chez vous. » Et rapidement, il évoque la chute de Ben Ali, « ce despote qui avait mis en place un système totalement corrompu ». Avec émotion, le premier ministre lance : « il y a quelques mois, un événement comme celui-ci ne pouvait pas se tenir ici ». Applaudissements des journalistes. L’immolation du jeune marchand de légumes qui a déclenché la révolte est encore dans les mémoires. Pour le premier ministre tunisien explique : « La jeunesse s’est révoltée parce qu’elle n’avait pas d’espoir. » <doc2072|left>Le système Ben Ali a été pris de court En discutant avec les intellectuels Tunisiens, on se rend compte que les choses ne devaient que mal finir pour les Ben Ali. Le clan avait été trop loin dans la prédation. Les Ben Ali avaient pratiquement pris tous les leviers économiques. Un journaliste tunisien me dira : « la famille Ben Ali était présente dans chaque business économiquement rentable.» Mais comment expliquer le succès et la rapidité d’une révolution dans un pays que l’on disait verrouillé. Un professeur d’université m’a fait une analyse qui me semble pertinente : « La jeunesse s’est révoltée, seule, sans leadership, sans référence idéologique, sans même aucune structure ou soutien étranger, c’était tellement inédit que le système pris de court, n’avait aucune parade ». Aujourd’hui, les Tunisiens sont fiers de leur révolution. Le parti islamiste qui a remporté les élections n’inquiète pas. A l’hôtel, loin du rigorisme islamique, lors d’une soirée de gala, nous avons eu droit à une belle danse du ventre d’une danseuse tunisienne, presque déshabillée, avec des déhanchements très suggestifs. « Nous voulons un islam actuel , compatible avec des valeurs modernes, c’est possible » me glisse un Tunisien, les yeux gourmands rivés sur la danseuse. « Il faudra faire comme les Tunisiens » Sur le chemin du retour, un autre taximan. Dès l’entrée dans son véhicule il se lance : « Vous savez Ben Ali c’est fini… » Et c’était réparti sur les crimes réels ou imaginaires des Ben Ali. Je lui fais remarquer que le président a construit quand même des belles routes, et il me répond : « Oui, il a beaucoup construit mais beaucoup volé aussi ». J’ai envie de lui dire qu’il y en a qui volent mais ne construisent même pas, mais je garde ma réflexion pour moi. De toute façon il ne m’écoute pas, il parle, et parle encore. Il a envie de vider sa rancœur. « Vous savez Monsieur, combien d’argent on a trouvé dans les coffres de son palais ? 230 milliards de dollars, Wallah, je vous jure ! » J’arrive enfin à l’aéroport de Tunis Carthage, le taximan est heureux. Il m’a raconté leur révolution. En guise d’adieu, l’air grave, subitement inspiré, il me dit : « Le prochain à tomber c’est Bachar El Assad en Syrie, puis la révolution descendra au centre de l’Afrique, tous ces voleurs chez vous, il faudra faire comme les Tunisiens ». « Inc’Allah », ai-je répondu en prenant ma valise.