Lundi 23 décembre 2024

Culture

Troisième mandat : Cinq médias détruits

28/04/2016 5

Le 13 et 14 mai 2015, en l’espace de quelques heures, cinq radios et une télévision indépendantes sont littéralement frappées de plein fouet, détruites. Ces actes de vandalisme réduisent au silence le pluralisme médiatique burundais devenu une référence et cité en exemple en Afrique.

RPA détruites
Les 20 ans de contribution à la promotion des droits de l’Homme, de la bonne gouvernance, d’un Etat de droit, de la liberté d’expression, de la démocratie, sont effacés, annihilés.

Se sentant menacés ou visés, plus de 60 journalistes dont des directeurs de la plupart des organes de presse privés, se retrouvent contraints à l’exil. Certains parmi ces journalistes partiront après avoir amèrement subi des exactions ou des maux qu’ils dénonçaient comme la torture, les enlèvements, la persécution, l’arbitraire.

Les professionnels des médias restés au pays sont obligés de vivre la peur au ventre. Après la destruction de leurs organes, une décision judiciaire tombe quelques jours après leur interdisant l’accès à leurs bureaux. Même la Maison de la Presse n’est pas épargnée.

Mais la première alerte se précise par cette interdiction de couverture en direct du déroulement des manifestations contre la candidature du président Pierre Nkurunziza au troisième mandat. Avec son élection controversée, le mouvement de contestation s’amplifie, gagne du terrain même à l’intérieur du pays, il devient plus musclé et sévèrement réprimé.

La couverture de ces événements et la tournure qu’ils prennent auront un impact sur les médias indépendants. Une ’’guerre des ondes’’ qui ne dit pas son nom, couve. Pour limiter leur champ de rayonnement ou pour éviter toute ’’contagion’’, les antennes relais de la plupart des médias indépendants situés sur le site de la RTNB à Manga sont coupées.

Il devient de plus en plus risqué voire impossible pour les journalistes burundais et étrangers de se rendre dans tel quartier, dans telle zone afin de faire des reportages, prendre des photos ou filmer. Des menaces et autres intimidations découragent les plus téméraires parmi les professionnels des médias.

La peur atteint son paroxysme avec l’assassinat du cameraman de la RTNB, Christophe Nkezabahizi et toute sa famille, et du chauffeur de la radio CCIB FM+, Jean Bosco Nzeyimana. Certains journalistes optent pour la clandestinité, d’autres rasent les murs ou font le profil bas tout en levant le petit doigt comme pour dire ’’nous sommes là comme témoins’’, gênants certes.

Ne pouvant plus parler, ils se mettent à poster les informations collectées difficilement sur leurs sites, d’autres initiatives comme ’’SOS Médias Burundi’’ naissent et prennent d’assaut les réseaux sociaux. Les journalistes en exil lancent également sur le net des programmes quotidiens d’information qu’ils baptisent ’’Inzamba’’ ou encore ’’Humura’’.

«Les gens commençaient à sombrer dans l’alcoolisme, il fallait avoir une occupation, exercer notre métier, résister, essayer d’informer», dira un des initiateurs de ce projet mal vu par Bujumbura. Mais l’actuel directeur du Conseil national de la communication, Ramadhani Karenga, apporte une nuance et y voit un autre aspect : «Même dans un pays où la liberté d’expression est ce qu’elle est, les journalistes burundais démontrent qu’il ne faut pas baisser la garde.»

Le mot d’ordre est qu’il faut garder le cap malgré la tempête, être prudent et redoubler de vigilance : «Un bon journaliste est un journaliste vivant. Aucune information ne vaut la vie d’un journaliste. Il ne faut pas prendre trop de risques pour une telle photo, telle image», dira un patron de presse à ses journalistes.

Des reporters envoyés au Burundi par les organes de presse internationaux subissent des tracasseries de toute nature, sous prétexte qu’ils diffusent de fausses informations. Bon nombre d’entre eux se voient contraints à quitter le pays.

Il ne faudrait pas non plus perdre de vue ces convocations et ces longs interrogatoires. Objectif affiché : prouver la collaboration ou l’existence de liens entre les professionnels des médias et les ’’putschistes’’.

Renaître de leurs cendres

Une date est à retenir dans toute cette dynamique: le 19 février 2016. Les stations Isanganiro et Rema FM sont autorisées à émettre de nouveau après de longs mois de silence radio. Mais il y a d’abord signature solennelle d’un ’’acte d’engagement’’ vu par certains comme un ’’acte de soumission’’.

Une autre date à retenir dans les tentatives de restauration de la liberté d’information par la réouverture des médias privés détruits: le 23 mars 2016. Durant deux jours, les représentants de ces médias, travaillant au Burundi et hors du Burundi, du CNC (Conseil national de la communication) et une vingtaine d’opérateurs internationaux d’appui aux médias, se sont réunis lors d’une table-ronde à Bruxelles. Objectif : renouer le dialogue entre ces acteurs des médias et identifier les recommandations nécessaires à l’action des autorités burundaises et de la communauté internationale.

Au cours de cette rencontre, le CNC s’est engagé à assurer sa mission constitutionnelle de régulation des médias publics et privés, à garantir un espace médiatique pluraliste et à favoriser la réouverture de tous les médias.

Les professionnels des médias ont réaffirmé leur engagement à exercer leur métier dans le respect des règles professionnelles, en dehors de tout combat partisan afin d’assurer le droit du public à l’information.
Ces journalistes comptent rédiger un manifeste rappelant leur volonté de pratiquer un journalisme répondant aux règles déontologiques. Ce document sera ouvert à la signature de tous.


Réactions

Ramadhani Karenga, président du CNC

Karenga Ramadhan
«Je suis optimiste malgré les épreuves qui sont devant nous. Il y a des conditions pour qu’il y ait cette normalisation, il y a des journalistes poursuivis, je dois m’informer sur leurs dossiers de même que sur ceux de leurs organes pour voir les actions à mener. Il faut également qu’ils soient soutenus techniquement et financièrement. Qu’on m’accorde le bénéfice du doute».

Mais avant tout, explique-t-il, il faut redynamiser le CNC. «C’est un arbitre ou un trait d’union entre les médias et les pouvoirs publics, entre la presse et la population. Ses missions doivent être bien comprises par tous. Mais le CNC ne peut pas être opérationnel quand les médias ne fonctionnent pas».

Comme deuxième mission, indique Karenga, il y a le renforcement des capacités afin de professionnaliser ce métier. «Il ne faut pas qu’il y ait des aventuriers».

L’autre mission, signale le président du CNC, c’est l’assainissement du cadre juridique et réglementaire. «Il nous faut par exemple une banque de données pour connaître tous les journalistes opérant au Burundi. Il faut également une carte de presse, au moins à titre provisoire».

Patrick Nduwimana

Patrick Nduwimana
Pour ce directeur de Bonesha FM et représentant de l’ABR (Association burundaise des radiodiffuseurs), l’espoir est permis même s’il y a un hic: «Nous avons senti chez Ramadhani Karenga, une certaine détermination pour la normalisation de la situation. Néanmoins, il y a doute au vu du contexte politico-sécuritaire actuel. Quand le pouvoir traite les medias indépendants et leurs responsables de putschistes, cela est décourageant.»

Selon lui, la normalisation dépendra de la volonté politique. «Il faut que Bujumbura accepte un dialogue inclusif sous une médiation étrangère où toutes les questions en rapport avec la sécurité, la justice, la démocratie et la liberté de la presse, seront discutées».

Alexandre Niyungeko, président de l’UBJ

Alexandre-Niyungeko«Nous osons espérer que la rencontre de Bruxelles va permettre aux organes de presse indépendants encore sur terrain et aux différentes initiatives nées après la destruction des médias d’être soutenus pour continuer à informer le public burundais. Il faut tout faire pour refuser ce déni du droit du public à l’information, le blackout médiatique imposé».

Pour le président de l’Union burundaise des journalistes, il serait naïf de croire à cette normalisation. «La dernière arrestation d’une personne soupçonnée de travailler pour la radio Inzamba en dit long. Les déclarations des différentes autorités sur les initiatives des journalistes en exil, n’augurent rien de bon. Comment penser à une normalisation alors qu’il y a une chasse à l’homme contre même les proches de ces derniers».

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Fofo

    Je suis contre la destruction des médias mais je suis également contre les médias qui se comportent comme des juridictions! Un journaliste digne de son nom ne donne une information authentique. Pendant les situations politiques très tendues comme celles de mai 2015, un journaliste digne de son nom agirait comme un médiateur et éviterait le sensationnel de peur de ne pas aggraver la situation qui était déjà fragile! Malheureusement, tels journalistes étaient devenus rares! Avez-vous déjà vu des médias qui donnent une information comme si on était entrain d’animer un match de football? Ceux qui les ont détruit on mal fait également parce qu’il fallait penser aux innocents qui y travaillaient mais et surtout leurs familles qui vivaient de ce métier!

  2. Jean-Pierre Ayuhu

    Cher Monsieur Abbas Mbazumutima,
    Quand on défend sa cathédrale, les mots pour le dire ne traduisent pas la réalité pour les défenseurs d’autres cathédrales.
    Troisième mandat: cinq médiats détruits tel est le titre que vous donnez, pour dire plutôt, au secours, la presse est en péril..
    Or, cher Monsieur, la presse fait partie de ces institutions du pays qui ont fait la pluie et le beau temps. Or encore, les problèmes de mon pays sont les conséquences des actions et des œuvres de plusieurs acteurs, la presse y compris. Troisième mandat: cinq médiats détruits, journaliste en exil, d’autre vivant la peur au ventre etc…
    Souvenez-vous l’éditorial de la RPA, à la veille du mariage du Ministre des Finances. N’est-il cette radio, s’immisçant, de la vie privée de ce Ministre, a mis dans la rue des informations erronées?
    Des enquêtes faites par cette radio RPA m’ont rappelé les enquêtes d’une télévision brésilienne, qui finançaient les crimes pour enfin les couvrir et faire sensation!!!
    La presse burundaise est victime d’un climat dont elle a été l’acteur!

    • Kagabo

      Tu as bien dit mon frère Ayuhu. Si tous les burundais avaient une lecture vraie de la situation actuelle serait une bonne chose pour voir comment on peut rectifier la tire. Y compris les journalistes aussi.

    • OYA

      Vrai ! C’est facile de jouer à la victime, quand on est démembré par la grenade qu’on a soi-meme lancée. Veuillez me répondre: quelle est la première radio qui a été brulée et par qui ? REMA FM. Par les putschistes soutenus par les radios dites indépendantes RPAet Cie. Si donc les putchistes qui prétendaient rétablir la démocratie au Burundi ont incendié les premiers une Radio indépendante, cela est un signe évident qu’ils s’appretaient à instituer la plus terrible des dictatures. Les autres radios ont surement été démolies par représailles.

    • roger crettol

      Mais malgré ce que vous dites, Monsieur Ayuhu, il y a un lien direct entre la candidature à un troisième mandat et les évènements qui ont vu la destruction de ces cinq médias. Le titre ne fait que réunir des éléments qui sont effectivement liés.

      Il est bien possible – comment pourrais-je en juger – que certains des médias n’aient pas toujours été d’un professionalisme parfait. Pas plus d’ailleurs que ces représentants du pouvoir qui ont voulu accuser de trahison un journaliste qui avait osé dire, ou écrire, que la sécurité de l’aéroport de Bujumbura ne pourrait contrer une attaque terroriste. Ou ceux qui ont vidé des journalistes qui s’y trouvaient la villa d’un responsable politique, empêchant la tenue d’une conférence de presse « non-autorisée ». L’ami burundais auprès duquel je me trouvais avait été bien embarrassé face à ma réaction incrédule.

      Le niveau de la communication m’a parfois semblé – depuis 2006 que je m’informe épisodiquement – peiner à se hausser au-dessus du niveau de la confrontation haineuse. Le gouvernement aurait pu essayer d’éduquer, il ne l’a pas fait.

      « On » a simplement profité de circonstances troubles pour éliminer des « opposants » insupportables. Machiavel approuve, mais une société moderne a besoin d’autres conditions pour vivre et se développer normalement. L’argument de l’exception africaine ne me convaincra pas.

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