Dimanche 22 décembre 2024

Société

« Tristesse et courage ! »

21/11/2019 Commentaires fermés sur « Tristesse et courage ! »
« Tristesse et courage ! »
Antoine Kaburahe, fondateur du Groupe de Presse Iwacu

Le fondateur du Groupe de Presse Iwacu qui vit en Belgique s’est exprimé sur les épreuves que vit le média qu’il a fondé il y’a 11 ans. Antoine Kaburahe estime qu’Iwacu doit continuer à vivre et salue l’extraordinaire résilience de ses collègues. Il s’est confié à Laurence Dierickx.

Comment avez-vous vécu la décision de maintenir les quatre journalistes en prison ?

C’est d’abord un sentiment de tristesse. Je suis triste parce que je sais que mes collègues sont innocents. Je suis même triste pour les juges qui vont instruire ce dossier, car ils savent qu’il n’y’ a rien et qu’ils ne trouveront rien. Mais entre-temps, quatre journalistes vont végéter en prison. C’est un immense gâchis… Bref, je suis triste mais je garde courage car la vérité est de leur côté.

Mais vous reconnaissez que la justice a le droit de chercher la vérité ?

Certainement ! Chercher la vérité, mais pourquoi humilier, briser les gens ? Souvenez-vous , la journaliste Christine Kamikazi a été giflée lors de l’arrestation. Par après, les journalistes ont été détenus, enfermés pendant cinq jours dans des cachots, , isolés dans deux petites pièces, à dormir par terre, sans matelas, sans draps, avec dans la pièce un trou qui sert de latrines. Pourquoi ces conditions dégradantes ?

L’accusation portée contre Iwacu est quand même gravissime : « Atteinte à la sureté intérieure de l’Etat ». Votre commentaire ?

Certains veulent présenter notre média comme un « ennemi de la nation ». Iwacu n’est pas un média clandestin. Il existe depuis mai 2008, c’est-à-dire que nous avons près de onze ans d’activités. Nous faisons surtout de la presse écrite. Des archives existent donc. Tous les articles sont signés, assumés. Je défie quiconque de trouver, tout au long de ces onze années, des écrits à l’encontre de la paix au Burundi, des papiers « divisionnistes ». Iwacu, fidèle à sa devise « les voix du Burundi », donne la parole à tout le monde. Le professionnalisme et la volonté de s’adosser aux plus hauts standards du journalisme, c’est d’ailleurs ce que les Burundais aiment chez Iwacu. Et c’est cela qui fait sa force et son originalité dans le paysage médiatique burundais. Il ne faut pas perdre cela.

Iwacu serait un média de l’opposition ?

Pendant la première République au Burundi et dans une certaine mesure les régimes qui ont suivi, la mission des journalistes était claire. « Valoriser, accompagner l’action gouvernementale ». C’était écrit. Limpide. En d’autres mots, encenser, être « la voix du pouvoir ». Est-ce que la situation a fondamentalement changé ? Oui et non. Des médias choisissent d’accompagner l’action gouvernementale. D’autres choisissent de s’en tenir aux sujets qui ne fâchent pas, « entertainment», comme disent les anglophones. Tout le monde est libre. Il faut respecter la ligne de chaque média. Mais en 2019, dans un pays qui se veut démocratique, il faut aussi pouvoir tolérer une presse qui fait le choix de donner un autre son de cloche, une presse qui doute, qui fouille, mais qui, d’une certaine manière, aide ainsi « l’action gouvernementale » en pointant les lacunes, ce qui ne marche pas. Une presse qui fait remonter les peurs et les espoirs des citoyens. Et comme disait avec un peu d’humour un journaliste, respecter « cette liberté d’aboyer » est très important. Une presse qui n’est pas aux ordres du pouvoir. C’est un rôle important et Iwacu l’assume. Mais cette ligne ne fait pas pour autant d’Iwacu « un média de l’opposition ».

Certains pensent qu’il existerait un plan de « fermer Iwacu avant les élections » ?

Pourquoi ? Pour quel crime ? Parce qu’Iwacu donne la parole à tout le monde ? Mais n’est-ce pas là justement le propre d’un bon média ? Iwacu ce sont toutes les « Voix du Burundi », c’est notre devise, c’est à dire, toutes les voix, même les voix dissonantes. Vous savez si un tel plan existe, ceux qui le planifient ne sont pas en train d’aider le pouvoir burundais. La fermeture éventuelle du journal serait certainement une catastrophe pour les 54 personnes qui y travaillent et leurs familles, mais aussi pour le Burundi. Ce serait une régression terrible, je dis toujours que c’est une petite institution, un joyau national qu’il faut protéger. Je rappelle aussi que le droit à l’information est en principe garanti par la Constitution du Burundi.

Toutefois, depuis 2015, Iwacu a traversé plusieurs moments difficiles : fermeture des commentaires sur le site, disparition de Jean Bigirimana et, maintenant, ces accusations à l’encontre de quatre journalistes. Estimez-vous qu’il y a un acharnement particulier à l’encontre d’Iwacu ?

L’existence n’est pas en effet facile depuis 2015. Mais ces différentes épreuves ont mûri Iwacu. Les journalistes sont sortis plus renforcés.

Pour revenir sur le cas des 4 collègues, quelle sera la ligne de défense d’Iwacu maintenant qu’il va y avoir procès ?

Je suis serein et comme le procès sera public tout le monde se rendra compte que ces charges « d’atteinte à la sureté intérieure » ne tiennent pas. Aucune quelconque collusion dans ce sens ne sera jamais trouvée tout simplement parce qu’elle n’existe pas. Si la justice dit le droit, la défense est toujours facile pour l’innocent.

Et si vous pouviez adresser un message aux journalistes en prison ?

Un message de soutien et de compassion. La prison n’est pas un hôtel et les journalistes ne sont pas des super héros. Ce sont des simples humains qui veulent vivre comme tout le monde et qui souffrent des conditions carcérales. J’ai une pensée spéciale pour Agnès, notre responsable du service politique. C’est une jeune mère célibataire avec un fils de 9 ans. C’est dur pour elle. Mais malgré une santé fragile, je pense qu’elle puisera en elle la force de résister. Je voudrais surtout qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls, à travers le monde une immense solidarité se crée. Et surtout, qu’ils sortiront blanchis.

Un mot pour vos collègues toujours au travail au Burundi ?

Je leur redis mon profond respect. J’admire leur formidable résilience. Lorsque j’ai été contraint de quitter mon pays, Iwacu ne s’est pas effondré. Parce que la relève est là, solide. Les grands hommes et les grandes dames se révèlent dans les épreuves. L’histoire retiendra que pendant ces moments difficiles, au Burundi, des journalistes sont restés dignes, debout.

Comme fondateur d’Iwacu, mais contraint de vivre à l’étranger, comment vous vivez ceci ?

Avec une certaine sérénité. Vous savez, Iwacu ne m’appartient pas. Il me dépasse. Je me rappelle toujours cette belle phrase, je pense qu’elle est de Mère Teresa qui disait que « les bons projets survivent toujours à leurs fondateurs ». Iwacu appartient aux 54 personnes qui travaillent chaque jour dans des conditions difficiles pour produire une information de qualité. Leur engagement me donne le courage d’espérer. Pour ma part, je continue à travailler, à écrire sur le Burundi, à éditer des livres sur l’histoire récente de notre pays car on ne peut pas construire l’avenir sans connaître, sans reconnaître et accepter son passé. Bref, je joue mon rôle de citoyen amoureux de mon pays, pour paraphraser un poète, si « aujourd’hui je n’habite pas le Burundi, le Burundi m’habite. »

Si vous aviez un message pour les autorités ?

Un message d’apaisement. Iwacu n’est pas le problème. Il y’a d’autres enjeux pour le pays. Surtout en ce moment. L’existence d’un bon groupe de presse indépendant est même un plus pour le pays. D’ailleurs, mes collègues et moi nous recevons beaucoup de messages de soutien au Burundi ! Ce n’est pas parce que les gens ne disent rien publiquement qu’ils adhèrent à ce harcèlement. La retenue observée par rapport à ce qui nous arrive est très significative. Même sur les réseaux sociaux, j’ai vu très peu se réjouir du calvaire d’Iwacu. J’aime mon pays, j’aimerais qu’il se relève, qu’il remonte la cote, qu’il ne soit pas relégué parmi les « prédateurs de la liberté d’expression ». Je ne sais plus qui disait que la manière dont un pouvoir traite les journalistes est un bon indicateur de son degré de tolérance… Laisser Iwacu travailler en toute liberté serait un bon message dans ce sens. Ne perdons pas espoir.

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