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Tribunal pénal international pour le Rwanda : quel bilan ?

05/05/2013 Commentaires fermés sur Tribunal pénal international pour le Rwanda : quel bilan ?

Professeur de sociologie à Université Paris 1, André Guichaoua, expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda, analyse les échecs et acquis de la justice internationale. L’essentiel de ses recherches sur le sujet est à retrouver sur http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr

<doc6168|left>Une simple appréhension du climat qui entoure les débats actuels sur le rôle et les acquis de la justice internationale dans cette région de l’Afrique depuis les guerres civiles des années 1990-2000 situe d’emblée sa portée et ses limites. Si on ne retient que les deux conflits les plus marquants (la guerre et le génocide des Rwandais tutsi de1994 ; l’éradication des camps de réfugiés rwandais hutu et les massacres qui ont accompagné l’avancée des armées rwandaise et ougandaise lors de la tentative de conquête de l’actuelle République démocratique du Congo), on constatera que l’activisme politico-judiciaire des instances internationales n’a non seulement pas fait reculer les passions mortifères, mais est devenu lui-même un enjeu de polémiques.

Ce n’est pourtant pas faute d’initiatives: mise en place du lourd dispositif du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ; jugement au Rwanda de la quasi totalité de la population masculine hutu en âge d’être poursuivie et condamnation de 800 000 accusés par la justice populaire {gacaca}; procédures engagées par la Cour pénale internationale inaugurant son mandat en inculpant d’affilée cinq accusés congolais pour les crimes commis par les belligérants sur le sol de la République démocratique du Congo (RDC) ; les multiples missions, enfin, de rapporteurs mandatés par les instances des Nations Unies pour statuer sur ces crimes. Malgré cette longue marche judiciaire, redoublée par un travail d’analyse et de mémoire à la mesure de ces crimes d’exceptionnelle ampleur et de l’indifférence internationale qu’ils suscitèrent lors de leur commission, les passions n’ont toujours pas été apaisées, en partie parce que la justice s’est faite au fil d’engagements internationaux soucieux de combiner action diplomatique et lutte contre l’impunité dans une région marquée depuis les indépendances par des épisodes sanglants répétés.

Une histoire simple de bons et de méchants

Cette instrumentalisation de la justice a contribué à ce que les tentatives de requalification des faits et les approches ouvertement négationnistes bénéficient toujours d’une large audience. Ces dénégations prennent appui sur l’impunité dont a bénéficié l’armée vainqueur, l’Armée patriotique rwandaise (APR), depuis qu’elle s’est emparée du pouvoir à Kigali en juillet 1994, aussi bien pour les crimes commis au cours de la guerre que pour les crimes de « vengeance » qui l’ont prolongée, puis surtout pour les massacres systématiques de dizaines de milliers de réfugiés hutu installés au Zaïre le long de la frontière ou fuyant son avancée entre 1996 et 1998. À ces faits, s’ajoutent encore les 4 à 5 millions de victimes civiles congolaises, directes et indirectes, du conflit régional déclenché en premier lieu par le Rwanda qui n’ont toujours pas donné lieu à des suites judiciaires.

Ces dénégations prennent appui aussi sur les oublis, les savoirs partiels et partiaux et plus globalement la réécriture de l’histoire qui marquent le travail de vérité et de justice opéré sous tutelle du camp vainqueur. C’était le prix à payer pour l’efficacité judiciaire : une histoire simple de bons et de méchants avec d’un côté, des libérateurs luttant pour faire respecter leur droit au retour, de l’autre, un génocide planifié de longue date par des élites fascistes et racistes à la tête d’un peuple fanatisé.

Face à une telle situation, on comprendra pourquoi les débats qui ont suivi la divulgation par la presse en octobre 2010, d’un [Mapping du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) « sur les crimes commis en RDC par les armées étrangères entre 1993 et 2003 »->http://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&ved=0CDIQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww.ohchr.org%2FDocuments%2FCountries%2FZR%2FDRC_MAPPING_REPORT_FINAL_FR.pdf&ei=Q1e0UMezMs6ZhQe_x4HoCw&usg=AFQjCNE4GDhVtkLKwHUQ7rduwLJyPdEBLg&sig2=WRq0PX6Ga7XyPvqPJdXFkQ] se sont focalisés sur les responsabilités du Rwanda. La violence de la réaction des autorités rwandaises suscitée par la qualification juridique des crimes commis au Congo par l’APR, puis la place centrale qu’occupent dans les controverses publiques les comptabilités macabres des victimes afin d’établir un équilibre d’annulation entre les crimes commis par les deux belligérants révèlent crûment que le très important travail de justice effectué depuis 1994a à peine entamé l’impact des propagandes. La confrontation se poursuit au niveau idéologique sur fond de globalisation ethnique, comme si la débauche des investigations réalisées depuis 1994 par toutes les instances appelées à dire le « vrai » et le « juste » ne comptait pour rien, comme si l’ensemble des savoirs et informations laborieusement accumulés depuis plus de quinze ans n’était pas crédibles ou pas cru.

<doc6170|right>Le privilège d’impunité accordé {de jure} ou {de facto} à tous les membres de l’ethnie victorieuse et les pouvoirs illimités reconnus aux accusateurs pour poursuivre toute une ethnie ont suscité une telle défiance envers l’ensemble des juridictions appelées à rendre la justice que les vaincus clament désormais leur exigence de justice. Alors que les populations étaient prêtes à assumer une mise à jour collective des amertumes, le résultat étonnant de ces justices politiques univoques et sélectives aura donc été de susciter le double mécontentement des rescapés et des accusés.

Ainsi, les politiques de sortie de la justice transitionnelle butent désormais sur la mémoire obstinée de populations désabusées refusant, pour des raisons opposées, de sacrifier la lutte contre l’impunité sur l’autel de l’unité et de la stabilité nationales et exigeant qu’une justice dans laquelle ils auraient confiance se prononce enfin.

La « guerre de la mémoire » continuera

Mais au total, le travail réalisé par le TPIR et le HCDH n’a pas été vain. Sur le plan de l’impact de la justice internationale et de la lutte contre l’impunité, les deux institutions aboutissent finalement à des résultats très similaires. Les deux structures, malgré les pressions des grandes puissances tutélaires et de leurs relais locaux, arrivent finalement, y compris à leur corps défendant, à remplir leur mission éthique sur le plan de l’information. Certes, ce qui n’a pas été documenté à ce jour par le TPIR ne le sera vraisemblablement jamais. Mais une exploitation fine de tous les témoignages et enquêtes recensés dans la banque de données du Tribunal suffit largement à étayer une vision du conflit rwandais moins manichéenne que celle qui s’est imposée au sortir de la guerre et n’interdit pas des approfondissements ultérieurs en d’autres lieux si les archives demeurent intactes et libres d’accès.

<doc6170|left>On regrettera aussi que seule une infime partie des investigations des missions d’enquête créées par le Conseil de sécurité de l’ONU a vu le jour mais elle est dûment consignée et peut toujours ressortir au gré des évolutions diplomatiques et politiques régionales. C’est ce qui est advenu avec la publication contestée du Mapping sur la RDC non en raison des faits révélés qui étaient de notoriété publique, mais parce que, pour la première fois, un organe de l’ONU osait porter officiellement de très graves accusations à l’encontre de l’APR pour des crimes imprescriptibles dont celui de génocide. Il est certes très peu probable que le système onusien revienne sur l’indulgence plénière continument accordée à ce régime, mais une partie au moins de la « vérité » a finalement été reconnue.

Ainsi, en renonçant à remplir la mission qu’elle était censée assurer, la justice internationale et nationale a durablement et délibérément compromis les objectifs de retour de la paix et de reconstruction d’une unité nationale.La « guerre de la mémoire » continuera donc, puisque, le travail de vérité n’a pas été mené à terme par les instances qui avaient le mandat et l’autorité pour juger les auteurs de tous les crimes commis au cours de ce conflit.
La leçon mérite d’être retenue.

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