Cinq médecins généralistes sont déjà écroulés au cachot du Service national des renseignements burundais. Accusés « d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat », ces derniers réclamaient l’augmentation de leurs salaires dans les structures sanitaires où ils prestent. « Tout le corps médical risque d’entamer un mouvement de grève si rien n’est fait », lâchent nos sources. La Fédération nationale des syndicats du secteur de la santé (FNSS) dénonce une violation notaire des droits de l’Homme.
« C’est une situation insupportable. On ne travaille plus à l’aise de peur d’être arrêtés ». Certains médecins vivent actuellement dans une peur panique. Cela après la rafle de cinq médecins généralistes burundais perpétrée entre les 27 et 31 janvier 2025.
Nazaire Ndereyimana est chef médical du district sanitaire de Fota dans la province de Mwaro. Il a été arrêté à Bujumbura le 27 janvier 2025 alors qu’il était en mission de travail. Achel Igiraneza, de l’hôpital Gahombo dans la province de Kayanza, Pierre-Claver Rurahagiye, de l’hôpital des sœurs catholiques en commune Musongati dans la province de Rutana, Désiré Congera prestant à l’hôpital général de Mpanda dans la province de Bubanza, ont été tous arrêtés le 30 janvier 2025. Tandis que Polycarpe Ntakiyiruta, de l’hôpital Mivo dans la province de Ngozi a été arrêté le lendemain, c’est-à-dire le 31 janvier.
« Sauf Nazaire Ndereyimana, tous les autres ont été enlevés au moment où ils étaient au travail. Celui de Mpanda faisait d’ailleurs sa garde de nuit », confie notre source au Centre hospitalo-universitaire de Kamenge.
Et notre source d’évoquer d’autres cas de menaces que certains médecins sont en train de subir. Aimable Ndabereye, président dudit syndicat a été appelé au Service national des renseignements le 21 janvier 2025 pour se justifier. Et Joseph Miburo, représentant du syndicat en Mairie de Bujumbura a subi le même sort. Tous les deux ont été sommés d’arrêter « cette sale besogne ».
Un groupe WhatsApp qui emprisonne
Alors que l’exode des médecins s’enlise déjà au Burundi, ces derniers, tout comme d’autres fonctionnaires burundais sont confrontés à des conditions de travail difficiles et des salaires jugés insuffisants.
Dans un contexte socio-économique fragile, renchérit un autre médecin d’un hôpital privé de Bujumbura, les médecins généralistes burundais avaient alors commencé à trouver un cadre de débat sur leurs conditions de vie.
Sur ce, glisse notre source, le Syndicat des médecins généralistes du Burundi (Symegeb) a tenu, début octobre 2024, une assemblée générale, d’abord pour redynamiser ses activités mais aussi pour analyser les conditions de vie actuelles d’un médecin en vue d’une potentielle demande d’augmentation salariale.
« On est même arrivé à mettre en place de nouveaux organes dirigeants du syndicat et avons aussi pensé à créer un groupe WhatsApp pour faciliter les échanges entre les membres concernant notre objectif », raconte notre source.
D’après les informations fournies par la direction du syndicat, les revendications « pacifiques » devaient commençaient dans des structures sanitaires privées. « On s’est convenu qu’il est essentiel pour celui qui preste, sous contrat, dans un hôpital privé, de recevoir un minimum de salaire de 2 000 000 de BIF. Et celui qui va faire une garde (le jour ou la nuit) devra avoir 50 000 mille BIF ».
La direction du syndicat Symegeb précise en effet que les cinq médecins généralistes ont été victimes de leurs interventions dans leur groupe WhatsApp.
« Nos collègues ont été alors la cible de ces arrestations en raison de leurs interventions ‘’dures’’ dans un groupe WhatsApp du Syndicat sur l’ultimatum à donner aux employeurs privés des hôpitaux ».
Certains médecins rencontrés soupçonnent une éventuelle infiltration, dans leurs groupes, par des personnes qui ne sont pas des médecins. « Je ne pense pas que quelqu’un qui a prêté serment pour défendre l’intérêt supérieur du métier pourrait lui-même oser transférer des messages des collègues vers d’autres groupes ou personnes. Je suis sidéré », se désole un médecin de l’hôpital militaire.
Par ailleurs, rappelle-t-il, les médecins généralistes, tout comme d’autres burundais, ont leurs droits et devoirs. Et la liberté d’expression et de revendication est reconnue au Burundi.
Des hôpitaux privés derrière ces arrêtions
Au Burundi, les médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes travaillent parallèlement dans des hôpitaux publics et dans des structures médicales privées. « Il y a quelques mois, l’association des hôpitaux privés a révisé la structure des prix de tous les services sanitaires. Je pense qu’elle l’a fait en fonction du coût actuel de la vie et des prix des produits sur le marché », indique une source syndicale.
D’après cette source, les médecins prestant dans ces hôpitaux ont ainsi demandé à leur tour l’augmentation de leurs salaires. Consécutivement aux conclusions de l’assemblée générale du syndicat Symegeb, ces médecins ont adressé des correspondances à leurs employés leur demandant une augmentation salariale. « Ils ont entamé des négociations. Certains hôpitaux privés de Bujumbura ont accepté d’honorer cette requête. Mais, d’autres se sont désistés. Ces derniers sont Baho Medical Polyclinic sis à Kajaga en commune Mutimbuzi et Solis Hospital se trouvant sur l’avenue de l’Université. Il y avait respectivement trois médecins généralistes ».
Parmi les hôpitaux privés dont les prestataires avaient lancé un ultimatum, lâche cette source syndicale, les deux ne sont pas parvenus à une solution avantageant les médecins. « Devant le refus de les satisfaire et après l’échec des négociations, ces derniers ont jugé bon de démissionner de ces structures, le premier janvier 2025, tout en continuant de travailler dans les hôpitaux publics. Aucun médecin n’a voulu y aller malgré de multiples appels d’offres. C’est depuis lors que la chasse aux médecins généralistes membres du syndicat Symegeb a commencé ».
Notre source syndicale fustige la politisation de cette affaire accusant les propriétaires de ces deux structures de faire recours aux appareils répressifs de l’Etat. « Je ne comprends pas pourquoi le Service national des renseignements s’en mêle. On n’a pas attaqué l’Etat. C’est une simple question entre les employés et les employeurs ».
Si les arrestations et menaces continuent, prévient un membre de la direction du syndicat Symegeb, il y a risque de déclencher une grève générale. « Nous savons nos droits et devoirs. Si rien n’est fait, nous allons continuer notre revendication pacifique tout en saisissant des instances habilitées comme la justice. Nous allons même lancer une alerte auprès des défenseurs des droits humains. Nous défendons l’intérêt du métier et de toute personne qui va embrasser cette carrière ».
Le Symegeb lance un appel au chef de l’Etat de prendre en main cette situation jugée alarmante et demande aux agents du Service national des renseignements la libération immédiate et inconditionnelle de tous les médecins généralistes déjà arrêtés. « Il serait plus sage de penser à la régulation qu’à l’usage de la force. Car, le dialogue vaut mieux que la force », laisse entendre une source syndicale.
Iwacu a essayé de joindre les directeurs de ces deux hôpitaux, le ministère de la Santé publique ou le ministère de la Sécurité publique mais sans succès.
« Une violation notoire des droits humains », dixit la FNSS
Après plusieurs jours de silence sur les arrestations des médecins généralistes au Burundi, la Fédération nationale des syndicats du secteur de la santé a sorti, le mercredi 5 février 2025, un communiqué de presse dénonçant le recours à la force dans la requête des médecins d’augmenter leurs salaires.
« Un tel emprisonnement est un harcèlement qui doit être dénoncé par toute personne animée de bonne-foi, car, il s’agit d’une violation notoire des droits de l’Homme », lit-on dans ledit communiqué signé Mélance Hakizimana, président national de la fédération et Marie Bukuru, vice-présidente.
L’arrestation des médecins, critique toujours ce communiqué, est un acte de violence, antisyndicale et antidémocratique qui montre à suffisance la tentative de vouloir intimider les travailleurs pour que personne ne parle plus malgré de nombreuses injustices sociales dont les travailleurs sont victimes.
« Revendiquer les conditions de travail n’est pas un crime et ne doit en aucun cas être le motif d’être traité comme un criminel. Les salaires ont été toujours revendiqués, ils sont revendiqués aujourd’hui et seront toujours revendiqués jusqu’à la fin du monde par des travailleurs », rappelle la Fédération.
Elle dénonce le prétexte soulevé d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat qui n’en est pas un. « Ce sont plutôt ceux qui y croient qui sont en train de perturber la paix sociale en milieu du travail. Et cela en violation des conventions numéro 29 et 190 de l’Organisation internationale du travail relatives au travail forcé, sur la violence et le harcèlement, au moment où le pays est membre de cette organisation et s’est doté d’institutions de dialogue social auxquelles chaque partenaire devrait saisir en cas de conflits liés aux relations de travail ».
Au lieu de recourir à la force, demande la FNSS au gouvernement, il est impératif de recourir plutôt à la voie de dialogue, la seule qui va réconcilier les parties avec une solution durable.
À quand les frais de stabilisation des médecins ?
Alors que l’exode des médecins en général n’en finit pas, le gouvernement burundais avait adopté une politique visant la « stabilisation des médecins restés au pays ».
Ces frais, révèle notre source syndicale, avaient été votés dans le budget général de l’Etat exercice 2024-2025. « Cette politique concerne beaucoup plus des médecins prestant à l’intérieur du pays. Une somme de plus d’un million devait s’ajouter à un salaire mensuel d’un médecin selon cette politique. Malheureusement, elle tarde à se concrétiser puisque l’année budgétaire va bientôt prendre fin ».
Ce cadre du syndicat demande aux ministères concernés d’accélérer le processus.
Pour rappel, devant le sénat burundais, le 9 janvier 2024, la ministre de la Santé publique, Lyduine Baradahana avait reconnu que l’insuffisance de médecins dans les structures médicales burundaises et leurs départs massifs à l’étranger sont la conséquence de leurs maigres salaires.
« Un médecin spécialiste œuvrant dans une structure sanitaire publique touche 650 000 BIF par mois alors qu’il serait payé 2 500 000 BIF voire plus dans les structures sanitaires privées ».
Le moment choisi pour elle de lâcher ses vérités : « Imaginez-vous, la situation est ainsi au Burundi au moment où au Rwanda, il gagne 1 300 000 FRW. Au Kenya, c’est 3 000 USD, en Tanzanie, il touche 1 300 USD ». Selon notre source syndicale, un médecin généraliste œuvrant dans la Fonction publique reçoit un salaire mensuel variant entre 460 et 470 mille BIF.
Signalons que depuis 2020, des médecins burundais quittent le pays en masse parce qu’ils ont de faibles salaires. D’autres préfèrent se rabattre sur d’autres activités économiques délaissant donc leur carrière médicale.
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