Traités comme des esclaves en Inde, deux jeunes burundais ont porté plainte à leur retour au Burundi. Un homme de nationalité indienne a été emprisonné dans un premier temps à la prison centrale de Mpimba, puis relâché vendredi dernier. Un autre Burundais, présumé complice, est recherché.
Ils espéraient une vie meilleure. Fabrice Ndikumana et Jean Baptiste Niyonkuru ont vite déchanté. Dans le pays de Gandhi, ces deux jeunes hommes ont vécu un cauchemar.
Fabrice Ndikumana, la trentaine, a connu un Indien prénommé Joshua par l’entremise de son oncle. Ce dernier demande une somme de 1200 $ aux parents du jeune homme pour le visa et le billet d’avion. «Il me disait que j’allais travailler la journée et étudier le soir. » D’après lui, je devais toucher 300$ par mois. Ils se débrouillent pour collecter la somme. «Le processus a commencé en 2015. Joshua me disait de patienter car il avait besoin de 20 personnes.» En 2017, il fait la connaissance d’un autre candidat au voyage, Jean Baptiste Niyungeko.
La trentaine, ce père de deux enfants fait la connaissance de Joshua grâce à un ami, adepte comme l’Indien de l’Eglise Israël Church. «Il m’a demandé 1500$. Le deal était le même que Fabrice ». Jean Baptiste Niyungeko vend une parcelle familiale. «Comme je ne pouvais pas réunir les 1500$, j’ai donné à Joshua 3.500.000 Fbu ». C’était en octobre 2016.
Et le calvaire commença
En janvier 2017, Joshua leur dit que les visas sont disponibles. Mais leur départ est sans cesse repoussé sans raison apparente. Ces visas ont une validité de 6 mois. « Nous sommes partis le 22 mai 2017. Il restait deux mois avant l’expiration du visa. Pour le renouveler, il fallait revenir au Burundi. Nous avons compris très tard les motivations de Joshua.»
Ils arrivent à Gobichettipalayam dans l’Etat de Tamil Nadu pleins d’espoir. L’Eldorado vire rapidement à l’enfer. Ils sont dépouillés de leurs passeports et téléphones portables. «On ne comprenait pas pourquoi. Ils nous ont dit que l’ordre venait de Joshua.» On leur montre la chambre où dormir. «On dormait sur des morceaux de carton à même le sol. Nous avons vite compris que nous avons été vendus.»
Ils avaient été « recrutés » par une société qui fabrique des seringues, Pristine Medical Equipments Ltd, mais ils travaillaient pour sa filiale Meditech Medical Disposables. Ils chargeaient et déchargeaient les colis. «On montait 3 étages avec un sac de 100Kg sur le dos. L’horaire du travail était de 7h du matin à minuit, alors que les autres travailleurs indiens rentraient à 18h.» Ils avaient droit à une heure de pause pour déjeuner et ils mangeaient une seule fois par jour. De plus, ils n’avaient pas le droit de sortir des enceintes de cette usine.
Après une semaine, ils exigent un contrat. Le patron de la société leur rit au nez. Concernant les études, on leur conseille d’oublier. «Nous avons demandé à parler à Joshua. Il confirme les propos du patron et ajoute que le travail durera 2 ans.» Ils commencent alors à échafauder un plan pour s’échapper.
Un retour difficile
Ils profitent de l’inattention des gardes pour fuir. Ils se rendent à un commissariat de police. «Les policiers nous ont écouté et ont appelé le patron de l’usine pour s’expliquer. Ils étaient furieux car nous n’étions enregistrés nulle part, comme le veut la loi.» La police ordonne au patron de leur remettre leurs passeports pour qu’ils reviennent au Burundi. Le patron s’exécute.
Les deux jeunes gens prennent alors le train pour Bombay. Ils n’avaient que 50$. En empruntant un téléphone à des passants, car les leurs étaient restés chez leur ancien patron, ils arrivent à joindre leurs proches au Burundi. Ils voulaient s’assurer que leurs billets-retour étaient toujours valides avant d’arriver à l’Aéroport de Bombay. Leurs proches découvrent que Joshua les avaient retirés, une semaine après leur départ.
Ils sont bloqués à Bombay. Ils n’ont plus de sous. «Nous vivions dans une station de métro.» Affamés et sans prendre une douche, ils passent une semaine dans cette gare. Ils arrivent à contacter un employé de l’ambassade du Burundi à New Delhi et ce dernier alerte leurs familles. «Ma femme est allée demander à Joshua de nous payer un ticket. Il a refusé.» La famille de Jean Baptiste Niyungeko emprunte de l’argent et lui envoie un billet.
Les choses se corsent pour Fabrice Ndikumana
Jean Baptiste quitte l’Inde le 12 juin 2017. Fabrice reste seul. «Comme il était de mèche avec Joshua, mon oncle disait à mes parents que j’étais un enfant gâté, que j’étais capricieux. Il les rassurait que tout allait bien.» Fabrice ne sait plus à quel saint se vouer. Il se résigne à retourner chez son ex-employeur. Sans un sous, il prend le risque d’embarquer dans un train. Trois jours, la peur au ventre.
A son retour, la situation ne fait qu’empirer. Son passeport est de nouveau confisqué. Sans téléphone, il n’a pas la possibilité de discuter avec sa famille. Il doit passer par le patron pour parler avec Joshua. Ce dernier le rassure que tout va s’arranger. Fabrice passe une année sans percevoir de salaire. Entretemps, son visa a expiré. «Joshua m’a dit que j’aurai mon salaire à mon retour.»
En plus de son travail à l’usine, il devait aussi s’occuper des vaches du patron. «Je devais leur donner un bain, tous les jours, les nourrir et nettoyer l’étable. A cause de tout ce travail, j’étais devenu squelettique.»
Ils demandent réparation
Après une année, il arrive à trouver un téléphone. Il décide de révéler son histoire à ses proches, malgré les menaces de Joshua. C’est un message audio de sa grand-mère paternelle qui poussa son oncle et Joshua à organiser son retour au pays. «C’est ma famille qui a payé le billet.» Avec l’aide de l’ambassade du Burundi en Inde, il embarque le 10 mai 2018.
«Nous voulons que ces personnes répondent de ces crimes devant la justice et que nous soyons dédommagés. C’est aussi une manière de prévenir d’autres jeunes pour qu’ils ne soient pas trompés de la même manière ».
A son arrivée, Jean Baptiste Niyungeko a porté plainte à la police contre Joshua, en vain. Avec le retour de Fabrice Ndikumana, ils ont porté plainte au parquet de la République près le Tribunal de Grande Instance de Mukaza. Joshua a été arrêté, la semaine passée. Il est incarcéré à la prison centrale de Mpimba. L’oncle de Fabrice est toujours introuvable. Malgré plusieurs tentatives, les responsables de la société Meditech Medical Disposables n’ont pas voulu répondre à nos questions. Signalons que le dénommé Joshua a été relâché ce vendredi par le parquet général près la Cour d’Appel.