Jeudi 21 novembre 2024

Société

Traite des êtres humains au Burundi : Le fléau plane toujours

08/08/2023 4
Traite des êtres humains au Burundi : Le fléau plane toujours
Des trafiquants appréhendés en commune Muhanga, province de Kayanza

Le Burundi s’est joint au reste du monde entier pour célébrer la journée internationale de lutte contre la traite des êtres humains prévue le 30 juillet de chaque année. Malgré l’existence des instruments juridiques de prévention et de répression, les chiffres liés à ce trafic font froid dans le dos. Les défenseurs des droits de l’Homme interpellent tout le monde pour mettre fin à ce fléau.

Le cas le plus récent date du lundi 24 juillet. Il s’est produit sur la colline de Gashibuka, commune de Muhanga dans la province de Kayanza, au nord du Burundi. Selon nos sources à Kayanza, 43 jeunes garçons ont été arrêtés par la police locale.

Selon les mêmes sources, ces jeunes gens se rendaient en Tanzanie à la recherche du travail. Ils ont été recrutés et rassemblés par les trafiquants dans différentes communes des provinces de Kayanza et Ngozi.

De son côté, la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (CNIDH) dit avoir été au courant de ce trafic d’enfants. Elle a recommandé à la Justice d’identifier et de punir conformément à la loi les auteurs derrière ce trafic de 43 enfants.

Selon la Cnidh, un procès de fragrance a eu lieu au tribunal de grande instance de Kayanza le 27 juillet. Une condamnation à la servitude pénale principale de 5 ans a été prononcée contre les 7 inculpés et coaccusés.

Des chiffres variés mais inquiétants

« En 2022, des chiffres provisoires font état de 277 cas de victimes de la traite des personnes, 33 condamnés coupables de ce crime, 185 dossiers ouverts et 162 autres dossiers encore sous analyse », a indiqué Epitace Masumbuko, président de la Commission de concertation et du suivi sur la prévention et la répression de la traite des personnes, lors de la journée internationale de lutte contre la traite des êtres humains couplée avec le lancement officiel du Plan national de lutte contre la traite des personnes par le gouvernement du Burundi avec l’appui de l’USAID, l’OIM.

De son côté, Me Prime Mbarubukeye, président de l’Observatoire national pour la lutte contre la criminalité transnationale (Onlct Où est ton frère ?), constate avec amertume la persistance des cas de trafic humain au Burundi.

« Le trafic des êtres humains reprend encore une ampleur très inquiétante depuis l’an 2022 jusqu’à ce jour », lit-on dans son communiqué sorti lors de la célébration de la journée internationale de lutte contre la traite des êtres humains.

Cet activiste des droits de l’Homme fait savoir que le nombre de présumées victimes surtout les enfants burundais va crescendo. Et de déclarer : « Selon le rapport annuel, édition 2022, sur l’état des lieux du phénomène de la traite des personnes au Burundi, 3062 enfants burundais provenant des 10 provinces frontalières avec la Tanzanie et la RDC ont été déportés à destination de ces mêmes pays. »

Selon l’enquête menée à cet effet, tient-t-il à préciser, il s’agit d’abord de 5 provinces Cankuzo, Ruyigi, Muyinga, Rutana et Makamba, côté est, et de 5 autres provinces à savoir Rumonge, Bujumbura mairie, Bubanza, Cibitoke et Bujumbura, côté ouest.

Deux types de traite

Adrien Ndereyimana, chargé de la communication et du plaidoyer au sein de la Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance au Burundi (Fenadeb), dénombre 974 victimes de trafic humain depuis janvier à juillet 2023.

Il parle de la traite interne et externe. Au niveau de la traite interne, fait-il savoir, ce sont surtout les enfants de moins de dix-huit ans, qui sont des fois en complicité avec leurs parents et en raison du degré de pauvreté de ces derniers, donnent leurs enfants pour travailler dans les ménages comme domestiques et ou garder les vaches ou chèvres et moutons. Mais, regrette-t-il, la rémunération est perçue par leurs parents.

Pour la traitre externe, ajoute-t-il, les victimes sont déportées vers les pays du golf mais aussi vers les pays de la région comme la Tanzanie, la RDC, la Zambie.

Quant aux causes, M. Ndereyimana évoque la pauvreté dans les ménages, l’insécurité alimentaire, les abandons scolaires.

Quid des trafiquants ?

Adrien Ndereyimana fait savoir que les auteurs ou trafiquants sont généralement les voisins qui savent mieux la vulnérabilité et qui ne peuvent être suspectés par la victime.

Il épingle la persistance de ce trafic malgré l’existence des lois qui prévoient des sanctions contre toute personne ayant participé dans le trafic des êtres humains et qui protègent les victimes, les témoins.

Néanmoins, déplore-t-il, la mise en application de ces lois par les juges reste lacunaire. Selon lui, ces derniers ne privilégient pas la loi spécifique dans la qualification des infractions relatives à la traite.

Et de marteler : « Les infractions sont qualifiées par quelques juges comme étant des infractions de droit commun alors qu’il existe une loi spécifique qui réprime les infractions liées et les infractions connexes liées à la traite des personnes. »

« Il faut de la synergie dans lutte contre ce trafic »

Me Prime Mbarubukeye : « Le trafic des êtres humains reprend encore une ampleur très inquiétante depuis l’an 2022 jusqu’à ce jour »

Me Mbarubukeye suggère au gouvernement burundais de redynamiser suffisamment la quadrilogie (administration, forces de l’ordre, justice, population) pour barrer la route aux trafiquants de personnes au Burundi.

Même son de cloche du côté d’Adrien Ndereyimana qui propose le travail en synergie entre l’administration communale, la police et les organisations locales œuvrant dans le domaine de la lutte contre la traite.

Les deux activistes des droits de l’Homme recommandent la poursuite en justice de tous les recruteurs, auteurs et l’application de la loi anti-traite.

Pour Me Prime Mbarubukeye, un dialogue avec les hommes d’affaires est nécessaire pour voir ensemble comment ils peuvent investir suffisamment dans des secteurs créateurs d’emplois pour permettre aux jeunes diplômés, mais sans emplois, de se faire embaucher en grand nombre.

De la répression des infractions liées à la traite des êtres humains

Article 10 :
Est puni de servitude pénale de cinq à dix ans augmentée d’une amende de cents milles burundais (100000 BIF) à cinq cents mille francs burundais (500000 BIF), celui qui, aux fins d’exploitation, recrute, transporte, transfère, héberge ou accueille une personne par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir l’agrément d’une personne ayant l’autorité sur une autre.
Le recrutement, transport, transfert, hébergement ou accueil d’un enfant aux fins d’exploitation est puni de la même peine sans qu’il y ait appel aux moyens susmentionnés.
Article 12 :
Indépendamment de la qualité physique ou morale de l’exploitant, propriétaire, locataire ou gérant, le tribunal peut ordonner la fermeture, temporaire, ou définitive, partielle ou totale, de l’établissement dans lequel l’infraction prévue à l’article 10 de la présente a été commise.
Article 18 :
L’infraction prévue à l’article 10 est punie de la servitude pénale de 10 à 15 ans et d’une amende de trois cents francs burundais (300000 BIF) à deux millions (2000000 BIF) lorsque l’infraction est commise :
1° Par une personne qui abuse l’autorité ou des facilités que lui confèrent ses fonctions,
2° Par un agent public dans l’exercice de ses fonctions,
3°Lorsqu’elle constitue un acte de participation à l’activité principale ou accessoire d’une association, et ce, que le coupable ait ou non la qualité de dirigeant.
Article 19 :
L’infraction prévue à l’article 10 est punie de la servitude pénale de 15 à 20 ans et d’une amende de cinq cents francs burundais (500000 BIF) à dix millions (10 000 000 BIF) dans les cas suivants :
1° Lorsque l’infraction est commise envers l’enfant,
2°Lorsqu’elle est commise en abusant de la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve une personne en raison de sa situation administrative, illégale ou précaire, de sa situation sociale précaire, de son âge, d’un état de grossesse, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou mentale, de manière que la personne n’a en fait d’autre choix véritable et acceptable que de se soumettre à cet abus,
3° Lorsqu’elle est commise en faisant usage, de façon directe, de manœuvres frauduleuses, de violence ou menaces ou d’une forme quelconque de contrainte.

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Kira

    Merci, Stan. La goujaterie(surtout sémantique) étant la chose au monde la mieux partagée, je ne m’attends pas du tout à voir les auteurs de l’utilisation dévoyée d’un concept à la charge connotative quasi explosive exprimer ni remords ni regrets. Je ne parle pas d’excuses, il ne faut pas rêver.

  2. Kira

    Cher journal Iwacu,
    Il y a des concepts dont la signification et la charge sémantique sont telles que leur utilisation doit se faire avec la plus grande prudence. En effet, votre texte recourt au mot  »déporté » à deux reprises : la première fois, il apparaît dans la citation de maître Prime Mbarubukeye, président de l’Observatoire national pour la lutte contre la criminalité transnationale. Le deuxième fois, le vocable est attribué à Adrien Ndereyimana, chargé de la communication et du plaidoyer au sein de la Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance au Burundi (Fenadeb). Comprenez-moi bien: je ne suis pas en train de chercher à vous faire un procès pour utilisation dévoyée de concepts. Ils ne sont pas les vôtres, ils appartiennent à ceux qui les ont utilisés. Je déplore simplement que l’utilisation du concept de  »déportation »par vos interlocuteurs n’ait pas suscité la moindre réserve de la part du journaliste qui, et ça me paraît être la moindre des choses, aurait dû demander aux personnes interviewées de s’expliquer la-dessus.
    De quoi parle-t-on? Selon le dictionnaire du français en ligne gratuit, déporter signifie  »punir de la peine d’exportation, exiler ». La déportation quant à elle est définie comme  »l’action de déporter un peuple contre ses droits naturels ». Il apparaît donc au regard de la signification du concept de déportation qu’il s’agit de la mise en oeuvre par l’État avec ses moyens, son organisation et ses structures, d’une politique systématique de bannissement et d’éloignement forcés d’une partie de ses propres citoyens. Est-on dans ce cas de figure au Burundi? Il serait intéressant de demander à vos deux interlocuteurs d’apporter un éclairage là-dessus.

    Pour le reste, les cas de déportations dans l’histoire de l’humanité sont assez rares et suffisamment documentés pour qu’on puisse en relever quelques-uns:
    -l’expropriation massive et la déportation, par la couronne britannique, des Acadiens, peuple francophone d’Amérique du Nord, entre 1755 et 1763.
    Les déportations soviétiques massives menées par l’Union soviétique de Joseph Staline en Estonie en 1941 et de 1945 à 1951.
    -La déportation des Tatars de Crimée, une opération de nettoyage ethnique planifiée par le gouvernement de l’Union soviétique et exécutée en 1944 sur les ordres de Staline et Lavrenti Beria(ministre soviétique de l’intérieur sous Staline). Expulsés de la Crimée, les Tatars ont majoritairement été déportés vers la république socialiste soviétique d’Ouzbékistan.
    -La déportation des Juifs par le régime nazi entre 1939 et 1945
    -La déportation des Palestiniens consécutivement à la guerre de 1948 et la création de l’État d’Israël. Le mouvement se poursuivra et s’amplifiera avec la guerre israélo-palestinienne de 1967 et l’occupation de Jérusalem Est.
    -Plus près de chez nous, la déportation des Chagossiens (habitants de l’archipel des Chagos dans l’océan Indien) perpétrée par le gouvernement britannique entre 1967 et 1973 pour faire la place à la construction de la base militaire américaine de Diego Garcia dans l’océan Indien.
    Il serait donc intéressant de demander à vos interviewés de faire un éclairage sur leur recours au concept de déportation pour évoquer un phénomène que seule l’indigence matérielle explique amplement. Merci

    • Stan Siyomana

      @Kira
      Vous avez tout a fait raison, l’on aurait pas du utiliser « deportees » dans « les victimes sont déportées vers les pays du golf mais aussi vers les pays de la région comme la Tanzanie, la RDC, la Zambie… »

    • Stan Siyomana

      @Kira
      L’histoire du Burundi parle de la deportation du chef Kirima, demi-frere du roi Mwezi Gisabo.
      Le chef Kirima avait recu Bukeye (dans l’actuelle province de Muramvya) lors du partage du royaume du Burundi par les colonisateurs allemands. Ensuite, IL SERA DEPORTE A NEW LANGEBERG (MALAWI) EN 1906 apres que sa capitale Munanira fut attaquee et brulee.
      En 1911, Kirima sera autorise a rentrer apres cinq ans d’exil

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