Il y a 48 ans, le premier ministre burundais après l’indépendance était assassiné. Iwacu a eu une interview avec la veuve du second héros de l’Indépendance du Burundi.
<doc3241|right>Le 15 janvier 1965, Thérèse, l’épouse du premier ministre Pierre Ngendandumwe est une jeune maman heureuse. Trois jours plus tôt, elle a donné naissance une petite fille. La quatrième. Dans la chambre 7 de la clinique Prince Louis Rwagasore, quelques amis entourent la maman. Le champagne coule.
Le premier ministre a eu une dure journée. Il avait été rappelé par le roi pour constituer un gouvernement. L’assassinat du leader de l’Uprona en 1961 avait engendré une instabilité politique et une valse de premiers ministres : juste après la mort de Rwagasore, un prince, André Muhirwa, avait été nommé premier ministre, jusqu’en juin 1963. Puis, Pierre Ngendandumwe avait assumé la charge de juin 1963 à mars 1964, puis remplacé par Albin Nyamoya d’avril à décembre 1964 et, de nouveau, Pierre Ngendandumwe avait été rappelé en janvier 1965. Ce sera la dernière fois.
Dans la soirée, le premier ministre est venu voir son épouse et le bébé. Vers 21 heures, il rentre. Il est fatigué. « A cette époque, il n’y avait aucun protocole, mon mari conduisait lui même sa voiture, sans garde du corps, même le roi conduisait lui-même son véhicule », se souvient Thérèse Ngendandumwe.
Soudain, dans la nuit, de sa chambre, Thérèse Ngendandumwe entend des coups de feu. « Cinq, ou six », l’épouse de l’ancien premier ministre ne se souvient plus. Tout ce qu’elle raconte, avec détails, c’est sa réaction : « J’ai crié : {« Mbega uyo si Pierre barashe !} (N’est-ce pas Pierre sur lequel on vient de tirer !) ».
La jeune maman, en pyjama, mue par une terrible prémonition, s’est lancée dans le corridor. Elle a rencontré une Sœur blanche, responsable de la maternité qui l’a arrêtée. « Retournez dans votre chambre madame, n’allez pas voir, c’est horrible.» Elle a su que Pierre Ngendandumwe venait d’être assassiné sur le perron de la Clinique Prince Louis. Le premier ministre avait 33 ans.
Le mystérieux Monsieur « X »
Cette terrible soirée, Thérèse Ngendandumwe fait une rencontre qui restera gravée dans sa mémoire. « Dans la débandade, j’ai rencontré Monsieur X (malgré notre insistance, elle ne donnera pas le nom), il avait passé la soirée avec nous dans la chambre. Il était sorti quelques minutes avant mon mari. Quand je l’ai vu, je lui ai demandé ce qui se passait, il m’a répondu, indifférent, avec un petit sourire en coin : « apparemment c’est le premier ministre qui vient de se faire descendre. Je n’oublierai jamais.» Le destin venait de basculer pour la jeune dame.
Issue d’une grande famille , petite fille du grand chef Coya, très connu dans le nord, la petite Thérèse a eu une enfance heureuse. Sur les bancs du lycée Clarté notre Dame, qui deviendra plus tard le lycée Vugizo, elle rencontrera d’autres filles de grandes familles comme Marie Rose Ntamikevyo, la future épouse du Prince Louis Rwagasore. « Au lycée, avec Marie Rose Ntamikevyo, nous étions les seules noires. », raconte-elle. « J’ai lu la première lettre de Rwagasore à sa fiancée » confie-t-elle amusée. Elle raconte d’autres anecdotes de cette époque là : « Les Belges détestaient les Upronistes, ils nous disaient que Rwagasore était bête. Que si jamais nous devenions indépendants, le pays sera foutu. »
C’est au Congo où elle fait des études d’infirmière, qu’elle rencontre Pierre Ngendandumwe. Nous sommes en 1958. Le jeune étudiant suit des études d’économie, sciences politiques et administratives.
En 1961, les jeunes gens se marient. Le Burundi baigne en pleine effervescence de la lutte pour l’indépendance. Pierre Ngendandumwe est un grand ami de Louis Rwagasore, le jeune prince, leader de l’Uprona, le parti indépendantiste.
Pierre Ngendadumwe travaille alors pour l’administration belge mais milite discrètement pour l’Uprona. « Rwagasore le protégeait, il ne voulait pas l’exposer. Ils se voyaient clandestinement la nuit, à l’abri des regards ». Thérèse Ngendandumwe se souvient des deux hommes : « Pierre et Louis étaient des hommes intègres, très travailleurs, tous les deux peu bavards. Rwagasore fumait beaucoup. »
<doc3243|right>La veuve de l’ancien premier ministre a été marquée par les qualités communes des deux amis tragiquement disparus : « Ils étaient patriotes, ne connaissaient pas l’ethnisme, d’ailleurs tous les deux avaient épousé des femmes qui n’étaient pas de leur ethnie. »
Thérèse Ngendandumwe raconte avec fierté l’engagement politique de son mari mais avoue qu’elle avait toujours craint que cela finisse mal, surtout après l’assassinat du Prince. « Certains me disaient que mon mari finirait comme son ami le prince Rwagasore. » Elle aurait tant aimé que son mari arrête la politique…
Mais rien de détournera Pierre Ngendandumwe de l’Uprona et de la lutte pour l’indépendance. Même l’assassinat, le 13 octobre 1961, de son ami, le prince Rwagasore. Les souvenirs sont précis : « Mon mari était effondré mais il resté debout. Il passera la nuit à travailler, à préparer des discours. Le lendemain, avec les amis Upronistes, ils vont exiger à Harroy l’enterrement du Prince à Bujumbura. Le Résident belge avait déjà envoyé le corps du Prince à Gitega. »
J’ai tenu pour l’amour de mes enfants
Thérèse Ngendandumwe est une grande dame. Altière. Digne. Mais on sent que c’est une femme blessée. Marquée à vie. « Je deviens veuve à 27 à peine, ma fille aînée a 4 ans, la dernière 3 jours. Pierre tuée, la seule raison de vivre était mes enfants. J’avais peur pour mes 4 petites filles. Les enfants de Rwagasore ne lui avaient pas survécu et plusieurs rumeurs sur leur élimination avaient circulé. »
Alors, la jeune veuve s’efface complètement, plonge dans l’anonymat, travaille comme simple employée pour plusieurs sociétés et élève courageusement les quatre petites orphelines. « Si j’ai pu tenir c’est grâce à l’amour que j’avais pour mes enfants, c’était tout ce qui me restait. Mais c’est aussi grâce à la foi. J’allais à la messe tous les jours. »
A 74 ans, Thérèse Ngendandumwe coule une retraite sereine : « Aujourd’hui, mes enfants vivent bien leur vie. Elles me rendent heureuses. J’ai même plusieurs petits enfants », précise-telle, le visage illuminé par un sourire.
Elle ne s’occupe pas de politique. Elle affirme qu’elle sait tout sur l’assassinat de son mari : « On a arrêté l’assassin, mais ce n’était qu’un exécutant, le commanditaire, n’a jamais été inquiété. » Un témoin de la planification de l’assassinat du premier ministre lui a tout raconté. « Je sais tout », dit-elle. « Si vous étiez appelée à témoigner à la Commission Vérité et Réconciliation, vous êtes prête à parler ? ». Une longue réflexion. « Mais à quoi bon ? » Et comme si elle se parlait à elle même, elle lâche dans un souffle : « D’ailleurs j’ai déjà pardonné. »
Madame Ngendandumwe veut partir. Il est 16 heures. Elle doit aller prier. Puis, apaisée, comme si la foi qui l’anime l’avait réconciliée avec le monde cruel qui lui a pris son mari après seulement 4 ans de mariage, elle murmure: « Je suis fière de porter le nom de Ngendandumwe. Mon mari est parti propre, il n’a laissé derrière lui aucun sale dossier ni détournement, ni assassinat. » Je tente encore une question : « Si votre mari revenait que penserait-il de la classe politique actuelle ? ». Madame Ngendandumwe part alors dans un éclat de rire : « Mon mari aurait une crise cardiaque.»
Puis, elle se lève signifiant que l’entretien est vraiment terminé. Elle est presque en retard pour la prière quotidienne du soir. Salut grande dame.