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Thierry Vircoulon d’International Crisis Group (ICG) : « Le procureur général joue sur les mots »

05/05/2013 Commentaires fermés sur Thierry Vircoulon d’International Crisis Group (ICG) : « Le procureur général joue sur les mots »

Analyste auprès d’ICG, Thierry Vircoulon suit de près la situation au Burundi. Il estime que la parole officielle est en train de perdre sa crédibilité. Pour lui, une politique de déni est une politique d’aveu. Plus on nie, plus on donne l’impression de vouloir cacher quelque chose.

<doc5070|right>{Comment définissez-vous le concept « exécution extrajudiciaire » ?}
Littéralement, une exécution extrajudiciaire est une exécution qui n’est pas décidée par les instances judiciaires. Mais la définition communément admise en droit international va plus loin: une exécution extrajudiciaire est une « exécution commise en dehors du processus judiciaire par ou avec le consentement d’agents publics ».1 Cela signifie qu’une exécution extrajudiciaire n’est pas forcément commise par un agent public, mais peut l’être par une personne privée qui aurait reçu une telle instruction d’un agent public. Par ailleurs, il ne faut pas confondre « assassinats ciblés » et « exécutions extrajudiciaires », le second concept est plus large que le premier.

{Malgré les enquêtes menées par les organisations internationales, la société civile et les médias burundais, le Procureur général de la République Valentin Bagorikunda déclare qu’aucune exécution extrajudiciaire n’a eu lieu. Comment appréciez-vous ces faits ?}
Je crois que le procureur joue sur les mots car en même temps qu’il déclare qu’il n’y a eu aucune exécution extrajudiciaire au Burundi, il reconnaît l’existence d’homicides par certains gradés des corps de sécurité. Sa déclaration s’inscrit dans le droit fil des contradictions de la déclaration du gouvernement burundais sur la sécurité au mois d’octobre 2011. En même temps qu’il déclare avoir la situation sécuritaire bien en main, le gouvernement énumère une liste impressionnante d’assassinats de chefs et sous-chefs de collines et d’arrestations de personnes avec des armes de guerre. Le discours des autorités burundaises est un discours de déni qui est plein de contradictions.

{Le Procureur général de la République reconnaît cependant l’existence de cas d’homicides par certains hauts gradés des corps de sécurité. Qu’en est-il de la responsabilité de l’Etat face aux actes de ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ?}
En matière de responsabilité de l’Etat, la question qui se pose est de savoir si l’acte illégal commis est détachable ou non du service, c’est-à-dire s’il a été commis dans le cadre, pour et en raison du service. Par conséquent, la responsabilité de l’Etat peut ou peut ne pas être engagé par les actes illégaux commis par des agents publics. Cela est à apprécier en fonction des circonstances du délit. Toutefois, les victimes ou leurs parents peuvent toujours se retourner contre l’Etat pour exiger des dommages et intérêts. Le juge appréciera le bien-fondé de leur requête. Par contre, les juridictions internationales font généralement une interprétation très large de la responsabilité de l’Etat pour des actions privées et les victimes ou parents des victimes pourraient trouver là un recours si elles sont déboutées par les juridictions nationales.

{Le président Pierre Nkurunziza met en garde tous ceux qui n’abondent pas dans le sens du Procureur de la République. D’après vous, qu’augure cette prise de position présidentielle ? Quelles peuvent être les conséquences de cette situation sur le plan international ?}
Les conséquences de cette situation sont de plusieurs ordres. D’une part, la parole officielle est en train de perdre sa crédibilité. Une politique de déni est une politique d’aveu. Plus on nie, plus on donne l’impression de vouloir cacher quelque chose. On le voit actuellement avec le président syrien qui ne cesse de dire aux médias qu’il contrôle son pays, alors que l’insurrection s’étend jusqu’à la capitale. Par ailleurs, l’image internationale du Burundi se dégrade : elle se dégrade dans les instances internationales qui prennent les droits de l’Homme au sérieux, comme le Haut-commissariat aux droits de l’homme à Genève ou l’Union européenne, et elle se dégrade aussi auprès des bailleurs et des investisseurs qui savent aussi décrypter une politique de déni.

{Selon vous la déclaration du procureur n’a rien arrangé …}
Elle fait en réalité monter la suspicion et il est dommage que le gouvernement n’ait pas confié cette enquête à la Commission nationale des droits de l’Homme qui a une crédibilité bien plus affirmée. Il ne faut pas oublier que la définition des exécutions extrajudiciaires implique non seulement les auteurs mais aussi « ceux qui consentent à ces crimes », c’est-à-dire les donneurs d’ordre ou tout simplement les responsables qui tolèrent ces crimes. La dissociation entre ce que font des agents publics et leurs supérieurs hiérarchiques n’est pas aussi simple que cela. C’est ce principe de responsabilité du dirigeant qui a amené Thomas Lubanga en tant que chef de l’UPC et Jean-Pierre Bemba en tant que chef du MLC devant la Cour Pénale Internationale (CPI).

CPI

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