La récente visite du premier vice-président Térence Sinunguruza en Israël ravive un souvenir. A l’Assemblée générale des Nations Unies de 1975, la communauté internationale s’affrontait sur une question qui enflammait les esprits : « sionisme égale racisme ». Le vote de la résolution qui s’en est suivi a provoqué une crise gouvernementale au Burundi. Mais cette dernière est aussi révélatrice du caractère conflictuel et compliqué qui a toujours été celui des relations entre les journalistes libres et les pouvoirs successifs au Burundi.
Ainsi, le sionisme, compris comme une ardente aspiration du peuple juif à créer un Etat, une patrie, (voir Encadré) trouve-t-il un écho, 36 ans plus tard, dans le débat actuel sur l’admission de la Palestine comme le 154ème Etat des Nations Unies. En 1975, l’Assemblée générale des Nations Unies, sous la pression des Etats arabes notamment, avait finalement adopté une résolution contestable stipulant que le sionisme constituait du racisme.
Dans un commentaire proposé aux auditeurs de « La Voix de la Révolution » au cours du journal de vingt heures, j’avais estimé que le [sionisme->http://fr.wikipedia.org/wiki/Sionisme], comme toute idéologie poussée à l’extrême, pouvait, en effet, engendrer une forme de racisme et d’intolérance. Mais, avais-je ajouté, « il n’était pas rassurant que la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies assimilant le sionisme à du racisme ait été votée aussi par l’Espagne et le Chili, pays dirigés, à cette époque, par deux détestables dictateurs, Franco et Pinochet. »
Crise gouvernementale
Après avoir écouté le journal et le commentaire sur la question, objet d’un débat houleux aux Nations Unies, Michel Micombero, qui passait la soirée dans une famille entouré par plusieurs ministres de son gouvernement, a posé une question à Gilles Bimazubute, alors ministre des Affaires Étrangères. « M. le Ministre, comment le Burundi a-t-il voté ? ». De toute évidence, le président de la République n’avait pas été informé au préalable et ne connaissait pas la position officielle du Burundi sur cette question très sensible et très controversée. Michel Micombero a découvert, ce soir-là, par hasard, que le Burundi avait voté contre la résolution des Nations Unies, donc en faveur d’Israël. Furieux, il a tout de suite démis le ministre Gilles Bimazubute du gouvernement. Ainsi, un commentaire anodin d’un journaliste provoquait une crise gouvernementale majeure.
Aussitôt après l’incident, un journaliste de la radio nationale se précipite à l’hôtel Paguidas où j’habitais après mes études en France en attendant de trouver une maison à louer en ville. Très amicalement, mon collègue souhaitait m’informer de cet incident ; car il faisait partie du groupe qui constituait l’entourage présidentiel ce soir fatidique pour Gilles Bimazubute. Mon ami venait me prévenir aussi.
« Il faut, me supplia-t-il, trouver d’urgence, ce soir, un refuge ailleurs,». « Car, ajouta-t-il, des amis puissants du ministre désavoué et démis, avaient décidé de te conduire à la prison, illico et presto, pour avoir provoqué un brutal remaniement ministériel. » Je n’en fis rien. Je suis resté à l’hôtel et personne n’est venu m’arrêter ce soir d’octobre 1975.
Quand le conflit israélo-palestinien devient burundais !
Quelques jours plus tard, le ministre de l’Information de l’époque me convoque pour m’abreuver de reproches à propos du commentaire précité. « Pourquoi plaides-tu pour Israël, me demanda-t-il ? Sans doute, c’est parce que ton épouse est juive. » Stupéfait et écœuré, je me suis retiré de son cabinet, bouillant de colère contenue. Car, après tout, il valait mieux subir l’insulte du ministre que de moisir en prison. Quelques jours après ce premier incident, toujours dans le cadre du débat engagé aux Nations Unies sur le sionisme et le racisme, j’ai proposé, une autre analyse sur la cause des Palestiniens. J’ai expliqué aux auditeurs de la radio nationale l’injustice qui frappait ce peuple condamné à l’errance, à la domination et la marginalisation sur la terre qu’il habite depuis des siècles.
Rebelote ! Le même ministre de l’Information me convoque et me passe encore un savon. « Je ne comprends pas ta position, me lance-t-il hors de lui. Comment ? Un jour tu plaides pour les Juifs et le lendemain pour les Palestiniens. Comment peux-tu plaider pour les Palestiniens, ces Hutu qui ont abandonné leurs terres. » Alors là…foudroyé, anéanti, j’ai quitté son cabinet complètement abasourdi. Une forte envie de vomir me serrait la gorge. Comment un ministre de la République pouvait-il être aussi odieux et cynique à l’égard des Palestiniens et de nos compatriotes Hutu poussés à l’exil à la suite de la guerre civile de 1972 qui a emporté des Tutsi et des Hutu en masse ? Comment un ministre de la République pouvait-il être aussi minable ?
Trois leçons se dégagent de ces deux incidents déplorables. D’une part, les relations entre les journalistes libres et les pouvoirs successifs au Burundi ont toujours été compliquées et parfois conflictuelles. Ensuite, certains jeunes confrères et consœurs journalistes burundais, s’imaginent que sous les régimes militaires de parti unique, la lutte pour la liberté d’expression n’existait pas et que tous les journalistes étaient « embedded », « couchés » dans le lit des politiciens burundais à l’instar des journalistes des Etats Unis « couchés » dans le lit de chefs militaires lors de l’invasion de l’Irak.
Enfin, troisième leçon, le Premier Vice-président de la République du Burundi, M. Térence Sinunguruza, a effectué récemment une visite en Israël pour explorer les opportunités de coopération entre ce pays et le Burundi. Avant d’entamer son voyage, il a déclaré qu’il avait appris qu’il y aurait, en Israël, des vaches qui produisent 80 litres de lait par jour. Belle performance ! Après avoir partagé le lait maternel, les deux peuples frères, descendants d’Israël et d’Ismaël, fils d’Abraham, Juifs et Arabes, accepteront-ils jamais de partager équitablement la terre « de lait et de miel » de leur ancêtre commun ?