Le collège des évêques vient de suspendre Mgr Pie Ntukamazina, évêque du diocèse anglican de Bujumbura depuis 2001. Il est accusé de détournement, gestion opaque et refus d’obtempérer aux conseils des sages par les fidèles de la cathédrale Ste Trinité de Bujumbura. Selon des observateurs avisés, intérêts, liens familiaux, malhonnêteté, politique, tout se confond.
<doc7567|left>200 millions pour la construction de la toiture de la cathédrale Sainte Trinité, 300 millions destinés à l’extension du centre communautaire, malversation de plus de 2 milliards de Fbu destinés à la construction d’un complexe hôtelier, budget de fonctionnement de l’évêché inconnu et caché, détournement des aides, etc. Tels sont les reproches faits à Mgr Pie Ntukamazina par la majorité des fidèles. Des accusations confirmées par un groupe de cinq juristes de son église.
A l’origine de ces dénonciations, la mésentente entre deux anciens compagnons de lutte Mgr Pie Ntukamazina et le révérend chanoine Paul Ntukamazina, représentant légal de l’Université Lumière de Bujumbura. D’après nos sources, ils se disputent la paternité de cette université et du Ceprodilic (Centre de Production et de Distribution de la Littérature Chrétienne). Le premier avance que c’est lui qui est reconnu devant la loi, le second rétorque qu’en tant que membre fondateur au même titre, cela l’engage d’une manière ou d’une autre. Nous sommes en 2010.
Les deux compagnons et anciens amis d’enfance se promettent de régler cette affaire entre eux. Cependant, un beau jour du mois de novembre 2012, raconte H.M., un fidèle, Paul Ntukamazina est limogé de ses fonctions de doyen de la Cathédrale Sainte Trinité dont Mgr Ntukamazina est évêque sans aucune autre forme d’explication. Le conseil paroissial n’aurait pas été saisi, d’après nos sources. Un groupe de chrétiens auraient aussi tenté de faire la médiation et demandé qu’un problème entre individus n’affecte pas l’église. Plusieurs correspondances ont ainsi été envoyées à Mgr Ntukamazina pour une résolution pacifique, mais sans succès.
La création du diocèse métropolitain de Bujumbura envisagée par la province anglicane est une autre goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Mgr Pie Ntukamazina craindrait de voir ses pouvoirs réduits puisque son siège sera érigé à Bujumbura. Toutefois, l’archevêque de la province anglicane tranquillise : « Ce dossier n’a rien en commun avec le conflit actuel. Nous attendons que le diocèse de Bujumbura se prononce là-dessus. »
Quand les positions se durcissent
24 février 2013, la messe dominicale sera dite en deux temps. Alors que le groupe pro Mgr Ntukamazina prie comme d’habitude, plusieurs fidèles décident d’entonner des chants religieux qui viennent perturber ceux qui prient.
9 mars 2013. Le collège des évêques, avec à sa tête Mgr Bernard Ntahoturi, archevêque de l’Eglise anglicane du Burundi, englobant les six diocèses, juge la situation intenable. Il se réunit au cours d’une session extraordinaire avec un seul point à l’ordre du jour : analyse de la situation qui prévaut dans la cathédrale sainte Trinité du diocèse de Bujumbura. Mgr Pie Ntukamazina est convoqué mais il ne se présentera pas. Il qualifie cette réunion d’illégale, ce qui n’empêche pas le collège de statuer sur son cas: il est suspendu pour une période de six mois compte tenu des pouvoirs que la constitution de la province anglicane du Burundi donne à l’archevêque Ntahoturi, des conseils prodigués, etc. Le ministre de l’Intérieur est saisi.
<doc7570|right>Pourtant, le même jour, Mgr Pie Ntukamazina s’inscrit en faux contre cette décision. Avec le soutien du conseil paroissial, le représentant légal et évêque du diocèse de Bujumbura estime que toutes les décisions dudit conseil sont nulles. Pour la simple raison, dit-il, que le diocèse de Bujumbura a sa propre personnalité juridique et ses propres organes de prise de décisions.
12 mars 2013. Mgr Ntahoturi prie Mgr Ntukamazina de ne plus poser aucun acte administratif ou pastoral au sein du diocèse de Bujumbura. Il lui demande aussi de remettre aux mains du secrétaire général provincial tous les biens appartenant au diocèse et au centre de paix Giramahoro. Il s’agit notamment du charroi, des clés du bureau diocésain, de la cathédrale, etc. Le concours du ministère de la sécurité publique pour faire respecter la décision. A son tour, le diocèse de Bujumbura saisira le ministre de l’Intérieur arguant que le collège des évêques ne peut pas se substituer aux organes dirigeants du diocèse de Bujumbura. Le ministre Nduwimana écrira à l’archevêque de l’Eglise anglicane d’explorer toutes les voies de règlement de ce litige qui ne mettent pas en péril la cohésion de l’Eglise. Pour M. Nduwimana, des solutions concertées paraissent plus sages.
Toutefois, lundi 25 mars 2013. Un groupe de jeunes étudiants se présente pour empêcher Mgr Pie Ntukamazina de se rendre à son bureau situé au building Peace House, tout près de la présidence de la République. Un comportement qui n’a pas du tout plu aux locataires des immeubles de cet appartement. Au moment où nous mettons sous presse, nous apprenons que des pasteurs du diocèse de Bujumbura viennent de décider d’obtempérer pour les décisions du conseil des évêques.
Victime de ses origines et de ses relations avec le président Nkurunziza ?
Dans le clan de Pie Ntukamazina, on murmure que ses détracteurs seraient des gens originaires de Matana qui ne supportent pas que quelqu’un de Rutana soit à la tête d’un diocèse aussi prospère que celui de Bujumbura. De plus, Mgr Pie Ntukamazina entretiendrait de bonnes relations avec le numéro un burundais, aussi fidèle de l’Eglise anglicane, ce qui ne passerait pas bien. La présence de la famille présidentielle aux mois de juillet et octobre derniers aurait d’ailleurs envenimé la situation.
« C’est l’autorité qui nomme qui dénomme aussi. C’est une suspension et non une destitution »
L’archevêque de la province anglicane dit ne pas comprendre pourquoi Mgr Pie Ntukamazina monte au créneau : « Nous l’avons suspendu et non limogé. » Mgr Bernard Ntahoturi estime que le collège des évêques est l’organe habilité pour prendre cette décision. Il reconnaît les conflits existant entre les deux Ntukamazina. Mais il déplore que le collège n’ait pas gardé le silence au moment où un dossier était en justice entre Mgr Pie Ntukamazina et certains fidèles : « Pendant la liturgie, nous enseignons l’amour d’autrui, qu’adviendraient alors ces prédications ? » Il constate que le collège est intervenu au moment opportun.