Dans la municipalité de Bujumbura près de 50 000 personnes se sont inscrites pour bénéficier de la politique des logements sociaux. C’est un projet qui vient à point nommé dans un contexte d’explosion des loyers. Cependant, la concrétisation de ce projet se fait toujours attendre. Que faire pour que des projets annoncés par le gouvernement se concrétisent dans les délais impartis ? La synergie des médias, le journal Burundi Eco et Iwacu pour la presse écrite et le magazine Jimbere pour la presse en ligne s’est penchée sur cette question.
Dossier réalisé par Iwacu, Jimbere magazine et Burundi Eco
Dans une conférence de presse animée par le Ministre des Infrastructures, des Equipements et des Logements Sociaux ce mardi 31 janvier 2024, celui-ci a annoncé que l’état Burundais possède plus de 200 chantiers en cours. Ce qui remet en cause le processus de suivi des travaux sur le terrain. Le ministère préconise la digitalisation de ses services quitte à suivre les travaux en temps réel.
D’après le ministre Dieudonné Dukundane, les projets de développement des infrastructures sont en lien avec la vision d’un Burundi, pays émergent en 2040 et un pays développé en 2060. Pour y parvenir, la construction du chemin de fer Uvinza-Musongati-Gitega-Bujumbura-Uvira-Kindu reste une priorité.
Cette autorité mise également sur la réfection des infrastructures routières pour atteindre une praticabilité des routes de 75%. Pour couronner le tout, 40% des citadins auront des logements décents. Cependant à voir la vitesse avec laquelle se font les travaux de construction, il y a lieu de s’interroger si cette vision sera atteinte. Qu’est-ce qui bloque le respect du timing dans la réalisation de ces projets ? Les expériences de logements sociaux d’ici et d’ailleurs ne pourraient-ils pas nous inspirer ?
Témoignages des années 83
De par le passé, le pays a investi dans la construction des logements sociaux. A Gitega comme à Bujumbura des appartements flambants neufs sont sortis de la terre à l’époque de Bagaza. Tout remonte à 1983, quand le gouvernement du président Jean-Baptiste Bagaza initia un projet phare de construction de logements sociaux pour les fonctionnaires de l’Etat.
A cette époque, les fonctionnaires devaient déposer des lettres de demande de logement social, adressées à l’Office national de logement (ONL). « Nous avions un salaire fixe de 30 000 BIF. L’Etat avait construit ces logements. Le contrat stipulait que la moitié de ce salaire sera versé à l’ONL, jusqu’à ce qu’on finisse de payer ces logements, et qu’ils nous appartiennent pour du bon, » témoigne Mathias Hicuburundi, âgé de 72 ans et vivant à Shatanya à Gitega.
Daphrose Ntimpirangeza, la soixantaine habite la zone Ngagara dans les bâtiments dits blocs depuis son mariage en 1985. Pour elle, c’est stressant de construire. Postuler pour avoir un logement était plus que bénéfique à leur époque. « Ceux qui avaient des familles nombreuses à notre époque ne voyaient pas comment nourrir la famille avec la moitié du salaire. Mais cela a été très avantageux pour nous. Il y en a même qui ont eu la chance d’avoir des parcelles individuelles,» raconte-t-elle.
Selon Jocelyne Kamariza, vivant également à Ngagara, la condition était de présenter le contrat de travail, et un avaliseur ayant lui aussi un contrat : « C’était pour garantir que tu pourras payer progressivement. Si par malheur tu ne parvenais pas à payer conformément au contrat de location-vente, ou en cas de décès, les membres proches de ta famille continuaient à payer. Dans le cas contraire, la maison était donnée à quelqu’un d’autre qui pourra payer. »
Où en est-on avec la construction des logements sociaux ?
Comme le soulignent ces personnes ayant bénéficié des logements sociaux, c’était un projet très avantageux. Cependant, le Capitaine Dukundane, Ministre des infrastructures reconnait que ce projet ne pouvait pas continuer avec les déficits budgétaires qu’a connus le Burundi. » Nous n’aurions pas pu laisser les particuliers continuer à construire sur des parcelles énormes, surtout dans la plaine de l’Imbo. Le peu de parcelles qui restent sera confié aux investisseurs capables de construire plusieurs maisons sur une petite étendue, afin que le reste de la plaine soit destiné à l’agriculture. » Dixit Capitaine Dukundane.
Cela étant, les habitants du Socarti ont été déménagés pour laisser place aux appartements modernes conformément à la maquette dévoilée. D’ailleurs, le Conseil des ministres a adopté le projet de construction de 6 600 appartements en logements sociaux sur les sites de Kizingwe-Bihara et Socarti. Pour le cas de Kizingwe-Bihara, le contrat entre l’Etat et les propriétaires de parcelles stipulait que l’Etat prendra 47%, les 53 pouvant rester dans les mains des propriétaires.
Selon le ministre, il s’est avéré des incohérences concernant les superficies des titres fonciers de ces habitants de Kizingwe. « Ils faisaient inscrire les superficies dépassant leurs vraies propriétés, dans l’intention de rester dans leurs parcelles d’origine quand viendra le temps pour l’état d’exploiter ces parcelles, même s’ils auraient reçu une indemnité », souligne le Capitaine Dukundane. Selon toujours lui, cela devait être rapporté à qui de droit pour que cela soit corrigé. Pour lui, c’est ce genre d’erreurs qui freinent le début des travaux de construction.
Le Kenya, un cas d’école pour le Burundi ?
Le gouvernement kenyan a pu transforme de la crise du logement en une opportunité d’investissements. Le logement et l’habitat constituant un des piliers phares de l’agenda de transformation économique ascendante (BETA). Ce programme ambitieux vise à booster l’offre de nouveaux logements à raison 250 000 unités par an. Ainsi, le Kenya projette que la moitié de la population urbaine aura un logement décent d’ici 2027.
À l’heure actuelle, les promoteurs n’en sont qu’à 50 000 unités construites, 49 000 d’entre elles étant destinées aux segments de marché moyen supérieur et haut de gamme. Divers projets d’infrastructures routières ont permis d’améliorer la connectivité, ce qui a stimulé la demande et les prix de l’immobilier.
Ange Providence Niyogusabwa, Jimbere
Le projet de construction des logements sociaux au point mort
Au mois de juin 2023, le ministre en charge des Logements Sociaux a déclaré que 33 000 maisons seront érigées chaque année pour booster le taux d’urbanisation et aspirer à un Burundi émergent à l’horizon 2040.
« Pas mal de travaux dans le secteur de la construction sont faits sur fonds propres du gouvernement. Nous voulons que la participation du secteur privé soit visible dans le vaste programme de construction des logements à travers tout le pays. A son tour, l’Etat va mettre à la disposition des investisseurs privés les terrains pour bien concrétiser la politique des logements sociaux dans la logique de construire un Burundi, pays émergent en 2040 », a déclaré Capitaine Dieudonné Dukundane, ministre des Infrastructures, de l’Equipement et des Logements Sociaux. C’était lors de la présentation du bilan des réalisations du premier semestre de l’année budgétaire 2023-2024, mercredi le 31 janvier 2024.
Pour lui, on ne peut pas être un pays émergent au moment où chacun aspire à avoir sa propre parcelle. Ce qui réduit l’espace agricole et industriel. Et de poursuivre : « Pour ce faire, nous avons échangé sur ce sujet e le constat est que les investisseurs ne doivent pas acheter les parcelles aux particuliers. Cela, car celles-ci deviennent chères. Ce qui influe sur la cherté des loyers ».
La disponibilité des terrains de construction, un souci majeur
Capitaine Dukundane fait remarquer que l’Etat s’est préoccupé ces jours-ci d’identifier les terrains destinés à la construction des logements sociaux. A Bujumbura, martèle le ministre en charge des infrastructures, des terrains pour la construction des logements sociaux ont été repérés et sont disponibles à Kizingwe-Bihara et dans le quartier Socarti.
« A Gitega, 300 hectares sont également disponibles pour la construction des logements sociaux », précise Capitaine Dukundane avant d’annoncer que la prochaine étape consistera à approcher les investisseurs afin de les inciter à venir placer leurs capitaux dans le secteur de la construction. C’est dans ce cadre même, explique-t-il, que nous allons publier des appels d’offre internationaux afin de chercher les étrangers soucieux d’investir dans ce secteur.
Une vision qui change la donne
Dans une conférence de presse du 13 juin 2023, Capitaine Dukundane avait signalé que la mise en œuvre de la nouvelle politique de logement allait commencer avec la saison sèche de l’année 2023. Les acteurs étaient l’Etat, les banques, les coopératives, les microfinances, les sociétés de construction, les acquéreurs et les prestataires de services.
Il avait indiqué qu’on compte construire au moins 33 000 maisons par an, soit un taux d’urbanisation du pays qui va passer de 14% à 40% d’ici 2040.
Quant aux 50 mille personnes qui se sont déjà fait enregistrées pour l’acquisition de ces maisons en mairie de Bujumbura, le ministre en charge des infrastructures informe aujourd’hui que cela est une manifestation de la volonté d’accompagner cette nouvelle politique. Ce qui est un des indicateurs rassurant les investisseurs.
Mélance Maniragaba, Burundi Eco
La faiblesse des capacités institutionnelles entrave l’exécution des projets
Dans son numéro du 6 novembre 2023, le journal Iwacu est revenu sur les causes de non-exécution et non-achèvement des projets d’envergure de l’Etat et ceux financés par les partenaires. « Le gouvernement se plaint du manque de capacités pour réaliser un projet.
La question est de savoir, s’il faut renforcer les compétences locales ou faire recours à l’expertise extérieure ou encore faire revenir les burundais hyper compétents de la diaspora ? », Abdou Dieng s’est exclamé le coordonnateur a.i du système des Nations unies au cours d’un café de presse, à l’occasion de la Journée des Nations unies.
Pour lui, le pays doit arrêter des stratégies adéquates pour maitriser la fuite des cerveaux. Sinon ça sera un cercle vicieux. « Les capacités qu’on va renforcer vont nous passer entre les doigts. », s’inquiète-t-il.
Et la motivation ?
L’intervention du sénateur Jean Bosco Ntunzwenimana est revenue sur une des causes qui pousseraient au non-achèvement des projets. « Il y a des projets financés par les partenaires qui rencontrent des problèmes d’exécution. On a évoqué plusieurs questions, surtout liées à leur intéressement mais cela figure dans l’enveloppe globale des projets. ». C’était lors de la présentation des principales actions du plan de travail et budget annuel du Gouvernement, exercice 2023-2024 par le Premier ministre devant le Parlement réuni en congrès.
Pour lui, le problème se trouve surtout de ce côté : « Manque de motivation », a-t-il souligné. Et de faire une proposition : « J’aimerais alors lui suggérer s’il a pris la question en main, il faut voir ce qu’il peut faire pour que les projets soient bien exécutés et dans les délais ».
Une intervention qui ne laissera pas sans commentaire, Emmanuel Sinzohagera, président du Sénat et Gervais Ndirakobuca, 1er ministre.
Manque de patriotisme
« C’est une question à débattre. Je ne vais pas entrer en détail dans les salaires. Je ne pense pas que ce sont les seules causes. Il y en a qui vont dans ces projets en visant leurs propres intérêts au lieu de l’intérêt national. Alors, quand on se trompe et qu’on le place dans une structure, il freine tout. Parce qu’il n’a pas été désigné gestionnaire du projet », commente Emmanuel Sinzohagera, président du Sénat.
Pour lui, beaucoup de facteurs entrent en jeu. D’ailleurs, ces projets sont exécutés par des Burundais et pas des étrangers.
Gervais Ndirakobuca, Premier ministre, abonde dans le même sens.
D’après lui, il y a un sérieux problème. « Tant que les gestionnaires n’auront pas compris qu’il faut achever le projet pour que les Burundais commencent à bénéficier de ses dividendes, il y a un problème. »
Il indique qu’il y en a même ceux qui font retarder l’exécution des projets afin qu’une fois les délais prolongés, ils maintiennent le poste de chef du projet.
Interview exclusive avec André Nikwigize : « Le Burundi souffre d’une politisation des services techniques »
D’après vous, pourquoi les projets sont mal exécutés ?
Contrairement à ce qu’affirment les autorités burundaises, les faibles capacités institutionnelles ne sont pas dues au manque de patriotisme des coordonnateurs des projets, ou bien, à cause des institutions de développement, qui font traîner les projets, le Burundi traîne cette situation depuis plus d’une décennie.
Déjà, dans son rapport d’évaluation de 2011, le programme PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability), financé par l’Union européenne, soulignait que le Burundi manquait de capacités pour faire face aux exigences, en particulier en matière de formation et d’encadrement, ce qui se traduisait par des retards dans la mise en œuvre des réformes, notamment dans l’adoption de textes.
En 2012, la Banque africaine s’inquiétait de la longueur d’exécution des projets, due à « l’absence de culture de recevabilité et de résultats ». Plus récemment, en mars 2023, la Banque Mondiale exprimait ses préoccupations sur un niveau de décaissement, d’à peine 21% sur un montant de 1,3 milliard USD accordé par cette institution financière pour la période 2019-2023.
Est-ce l’insuffisance des ressources humaines qualifiées et compétentes ?
Le Burundi dispose des personnes qualifiées suffisantes pour gérer des projets et coordonner les programmes de développement, mais ces personnes, n’étant pas membres du parti au pouvoir, ont été écartées ou ignorées, y compris les experts dans les domaines clés de la santé, de l’éducation, de la recherche-développement. Ceux qui ont la chance, se sont exilés à l’étranger, tandis que ceux qui s’y trouvent déjà, préfèrent y rester, puisqu’ils bénéficient des conditions favorables de travail et de sécurité.
Concrètement, quelles sont les causes qui entravent l’exécution normale des projets ?
Le Burundi souffre d’une crise de gouvernance, de politisation des services techniques et d’un manque de transparence dans la gestion des services de l’Etat. Il est difficile d’évaluer les performances d’un agent de l’Etat ou d’une entreprise publique qui n’ont pas été recrutés sur base de ses compétences professionnelles, mais, plutôt par son affiliation et sa fidélité au parti ou recommandée par une autorité politique.
Malgré l’existence d’une loi faisant la distinction entre les fonctions techniques et politiques, cette loi n’a jamais été respectée. On observe plusieurs dérapages dans ce domaine, comme des recrutements et des promotions qui ne se font pas sur une base objective, l’attribution des marchés de services ou de travaux à des entreprises non compétentes, juste parce qu’ils sont « recommandés » par des personnalités haut placées, dans le langage courant les fameux « ibihangange » et les surfacturations dans les contrats de services ou de travaux.
C’est ce que l’organisation International Crisis Group, dans son rapport en 2012 sur le Burundi, qualifiait de « politisation clientéliste des recrutements dans le secteur public ».
Malgré les faibles performances des agents de l’Etat, l’Assemblée nationale n’arrête pas d’attribuer, chaque année, des notes de 90 pour cent aux institutions étatiques, ce qui veut dire que les hauts responsables sont satisfaits des résultats atteints par leurs fonctionnaires.
Que faire ?
Si réellement les autorités burundaises sont, enfin, convaincues de l’ampleur de cette question de faibles capacités institutionnelles et les conséquences sur la gestion économique du pays, au lieu de blâmer les coordonnateurs des projets, les agents de l’Etat ou les partenaires de développement, devraient s’engager à entreprendre des réformes de l’administration.
Quelles réformes ?
Cesser, immédiatement, la politisation clientéliste des recrutements dans le secteur public, et mettre les hommes qu’il faut aux places qu’il faut dans les administrations publiques, dans la transparence la plus totale. A cet effet, seuls les ministres seraient désignés sur des bases politiques, le reste des cadres devant être recrutés selon leurs compétences et expériences professionnelles.
Promouvoir une administration qui rend des comptes. Les ministres, les coordonnateurs des projets et tous les agents de l’Etat et des entreprises publiques devront rendre des comptes de la gestion des projets ou programmes leur confiés, et lorsque l’un ou l’autre agent se rend coupable de mauvaise gestion ou de corruption, qu’il soit poursuivi et sanctionné, sans aucune interférence d’une quelconque autorité du parti ou de l’administration.
Le Gouvernement devrait autoriser un audit de ses fonctionnaires et de la façon dont ils se sont acquittés de leurs missions respectives, aux niveaux, tant technique, administratif que financier.
D’autres réformes ?
Mettre en place un programme concerté entre le Gouvernement et les partenaires de développement, dont le Pnud, la Banque mondiale, le FMI, la BAD, l’Union européenne, de renforcement des capacités nationales, notamment, au travers des mécanismes existants d’utilisation des compétences disponibles dans le pays et dans la Diaspora.
Dans ce contexte, il serait demandé au Pnud de financer une étude du renforcement des capacités institutionnelles, dont les recommandations seraient approuvées par le Gouvernement et le Parlement, et mises en œuvre aussitôt que possible.
Jérémie Misago, Iwacu.
Mais les banques et les assurances peuvent construire : cfr le pays voisin le Rwanda.