Les hommes politiques burundais écrivent peu. Pourtant leurs témoignages sont plus que nécessaires pour éclairer les Burundais, surtout les jeunes. L’ancien président Ntibantunganya s’est donné de nouveau à l’exercice. Son ouvrage porte sur trois décennies, de 1987-2017.
Vendredi 8 février. L’ancien président Sylvestre Ntibantunganya présente son ouvrage : «Burundi, Démocratie piégée» qu’il écrivait depuis 14 ans. Ce livre fleuve, 728 pages réparties en 8 chapitres, vient d’être édité par Iwacu-Europe. La date était très attendue à Bujumbura. Particulièrement par les observateurs et acteurs de la politique burundaise.
Dans l’après-midi, différentes personnalités convergent à l’hôtel Source du Nil mitoyen du Palais du 1er Novembre, en ruine. Les véhicules arrivent les uns après les autres. Des cadres du Frodebu, compagnons politiques de l’auteur, sont nombreux.
Professeurs d’université, politiques encore actifs ou à la retraite, activistes de la société civile, représentants des jeunes, etc., sont sur place. L’auteur dédie d’ailleurs le livre à la jeunesse.
Les différents Conseils et Commissions nationaux sont hautement représentés. Dr Pierre-Claver Kazihise pour la Ceni, Guillaume Ruzoviyo pour le Conseil national pour l’Unité et la Réconciliation, Jean de Dieu Mutabazi pour l’Observatoire national contre le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité.
Pierre-Claver Ndayicariye, successeur de Mgr Jean-Louis Nahimana à la CVR, ne manque pas au rendez-vous. L’ouvrage qui couvre une période de 30 ans intéresse sa commission. Une mine d’informations dans la recherche de la vérité.
L’ancien chef d’Etat va accueillir ses invités dans la salle des conférences. Ce n’est pas anodin. Cette même salle a abrité 26 ans plus tôt le congrès officiel de création du Frodebu, parti militant pour la démocratie. L’auteur fut l’un de ses fondateurs, avec Melchior Ndadaye notamment.
Les invités discutent en attendant l’arrivée de l’auteur. M. Mutabazi profitera de la tribune pour saluer ses «anciens camarades du Frodebu». Ce qui fera rire la galerie. Pour la petite histoire, Mutabazi a créé son propre parti, le Rassemblement des démocrates burundais (Radebu).
Dans la salle, les plus jeunes observent ces aînés qu’ils ne connaissent pas pour la plupart. C’est vers 15h30 pour une cérémonie censée débuter à 15 heures que le Premier vice-président de la République, en compagnie de l’auteur, fait son entrée. Les services du protocole lui ont prévu un siège à côté d’Agathon Rwasa, Premier vice-président de l’Assemblée nationale.
Iwacu encourage à témoigner
C’est Léandre Sikuyavuga, directeur des Rédactions du journal Iwacu et représentant de l’éditeur qui ouvre les débats. Devant un parterre attentif, il rappelle que les Burundais ont la réputation de ne pas lire beaucoup. Surtout d’écrire moins. Les hommes politiques y compris.
Ntibantunganya est un exemple à suivre : «Les Burundais ont besoin de connaître, de comprendre leur histoire». Iwacu soutiendra quiconque voudra lui emboiter le pas : «Notre maison d’édition est là pour vous».
M. Sikuyavuga insiste sur la nécessité de connaître l’histoire : «il faut certainement tourner la page. Mais avant de la tourner, il faut d’abord la lire». Et d’appeler à la lecture des 728 pages que le président Ntibantunganya leur offre.
Puis vient la présentation tant attendue. Elle va durer une quarantaine de minutes. L’auteur rend d’abord particulièrement hommage à Antoine Kaburahe, pour son implication dans l’édition de ce livre et au professeur André Guichaoua, préfacier de l’ouvrage. Il est aussi reconnaissant envers Mgr Jean-Louis Nahimana, empêché. Le président Ntibantunganya dit avoir reçu des encouragements de sa part.
Surprise. Il refuse de révéler le contenu du livre. L’étonnement dans la salle. Une bonne stratégie pour encourager la lecture, entend-on par ici. Il aurait du mal à le résumer en si peu de temps, entend-on par là.
Le président Ntibantunganya lit seulement la table des matières. Chapitre par chapitre, point par point. Sans commentaires. «Je vais vous décevoir, mon objectif est d’aiguiser votre soif, votre appétit. Vous en saisirez le contenu en le lisant sans sauter une ligne», lance-t-il pour s’expliquer. Il glisse juste quelques passages, sans suite entre eux.
Le président va plutôt s’appesantir sur les raisons qui l’ont incité à prendre la plume. La CVR, à l’œuvre depuis plus de 4 ans, a besoin des témoignages. Ayant exercé la plus haute fonction, les anciens chefs d’Etat ont un rôle à jouer. «Nous devons nous ouvrir pour donner notre contribution». Il tient à souligner tout de même qu’il ne fait pas un travail d’historien. Même s’il est historien de formation.
Promesse d’une version en kirundi
L’ancien chef d’Etat veut aussi rendre justice et hommage aux héros de l’ombre. «La CVR doit identifier ces femmes et hommes pour qu’ils servent d’exemple aux générations futures».
Et d’indiquer qu’il a enfin écrit pour les jeunes. « Cette jeunesse, victime d’un passé qui ne passe pas, encore est confronté à plusieurs défis». Les jeunes sont quelques fois désemparés, désorientés, voire déboussolés. Ils courent le risque d’être manipulés en raison du chômage qui les frappe de plein fouet.
Comme tout auteur, Ntibantunganya exprime le souhait de voir son livre lu par le plus grand nombre de lecteurs possible. Il s’y investit même. Il a renoncé à ses droits d’auteur et explique qu’il n’a pas écrit pour gagner de l’argent. D’ailleurs, le coût réel de ce livre est de 70.000 Fbu mais il est « vendu » à 40 mille Fbu.
Tous les Burundais ne sont pas francophones. L’éditeur et lui envisagent déjà la traduction du livre en langue nationale : «Une version très ramassée ».
L’ancien chef d’Etat souhaite aussi que son livre soit lu par les représentants du peuple : «C’est un livre de débat. Vous m’inviterez après pour en débattre», s’adresse-t-il au Premier vice-président de la Chambre basse du Parlement. Aux jeunes, femmes, la diaspora, etc., il lance le même défi, la lecture de son livre fleuve.
Le livre de Ntibantunganya aura suscité la volonté d’écrire pour plus d’un. Une présentation très réussie.