Etabli à Ntega, à plus de 200 km de Bujumbura, au nord du pays, l’artiste Sylvestre Ciza parle de la musique, de son parcours et promet un nouvel album bientôt. Rencontre.
Parler de Ntega, province Kirundo, cela rappelle une des dates noires du passé burundais. Avec Marangara de la province Ngozi, les deux communes ont été frappées par la crise de 1988.
La vie a bien repris après ce passé douloureux. Le Chef-lieu est très animé. C’est un dimanche après-midi. Des hommes, des femmes, des jeunes grouillent dans les bars, boutiques et magasins. Des bananiers, des champs de haricots,… sont verdoyants.
C’est ici qu’habite le chanteur Sylvestre Ciza, né en 1954, très connu pour ses deux chansons, Burundi Mutima wa Afrika » et Sangwe Rukundo.
Le chanteur vit à l’aise et il est très populaire. Même les petits enfants connaissent le chemin qui mène chez lui. « C’est là derrière ce portail rougeâtre, où il est écrit en majuscules ‘’Welcome’’ », nous a dit un gamin rencontré non loin de son domicile.
Dans la parcelle, plusieurs maisons en briques cuites, couvertes de tôles, un jardin bien aménagé, un gazon bien coupé, des fleurs, des manguiers, des orangers, etc. On a l’impression d’être dans un monastère. Lui et son épouse vivent dans un appartement et font louent les autres bâtiments.
Teint noir, élancé, lunetté, Ciza se tient debout. Dans son salon, une statue de la Vierge Marie, un tableau avec deux cornes de vaches collées sur le mur. Des guitares aussi.
La musique, sa passion
« Je chante. C’est mon métier », confie ce chanteur après nous avoir accueillis par quelques phrases de sa chanson Burundi Mutima wa Afrika (Burundi, cœur de l’Afrique). Une chanson qu’il reprend souvent en présence des hautes personnalités. Actuellement, lui et quatre jeunes forment le groupe ‘’ Five stars’’. Un début difficile. Certains ne savaient ni lire ni écrire. « Je me suis donné la mission de leur apprendre et d’aider ceux qui avaient des notions de français et d’anglais de les renforcer. L’apprentissage des instruments a pris du temps également.» Ce qui a finalement payé: « Dernièrement, nous avons brillé au festival Sangwe à Bujumbura.»
Malgré la distance, ce chanteur ne se déconnecte pas de sa génération. Il est membre du groupe ‘’Akiwacu band ’’ composé des vétérans tels un certain Léonidas, Joseph Torobeka, Anaclet, Philippe, Gloriose, etc.
M. Ciza déplore la vie difficile que mènent certains chanteurs de sa génération ou leur famille. « Quand on voit par exemple la misère des descendants de Canjo Amissi, c’est choquant. » Pour lui, la mort de ce chanteur c’est comme une bibliothèque qui a brûlé. Il propose la mise en place d’un fonds d’assistance.
« Un vrai chanteur éduque la société »
« C’est vrai, ces jeunes ont de l’engouement. Je les vois prendre des microphones, se déhancher, sursauter, … Mais quel est le contenu de leurs chansons ? Quel instrument ? », analyse-t-il. Ce vétéran de la musique ne digère pas les chansons faites d’un ou deux mots du début à la fin. « Il y a une chanson qui vient de me prendre trois mois. Je me réveille la nuit pour retoucher la composition, insérer de nouvelles phrases, etc.»
Les chansons de Canjo Amissi, David Nikiza, l’Umuduri de Nkeshimana lui servent de référence de véritables œuvres artistiques. «Quand on les réécoute, elles sont touchantes, véhiculent un message ».
Aux jeunes, il leur laisse un conseil : « On ne se réveille pas musicien. Quand on veut quelque chose de durable, on s’y prépare, on s’y investit.» Selon lui, un vrai chanteur éduque la société.
Il met en garde ceux qui reprennent ses œuvres sans son accord : « C’est choquant d’entendre un ‘’artiste’’ s’approprier une œuvre d’autrui. Cela me décourage. » Avant de hausser le ton : « On ne va pas se venger, mais nous allons demander à la justice de trancher. » Il se félicite d’ailleurs de l’existence de la loi sur le droit d’auteurs.
L’auteur de Sangwe Rukundo qui a été repris par Désiré Mugani alias Big Farious souligne que la production d’une chanson demande un capital intellectuel, matériel et financier. Selon lui, ces reprises dénaturent même la chanson.
Des baisers, des préservatifs et de l’argent
Interrogé sur le concert qui l’a marqué, Sylvestre Ciza en compte beaucoup. Sans se souvenir exactement de la date, il se rappelle comme si c’était hier de celui de Kirundo, dans les années 84 ou 85. « Devant un public excité, ce jour-là, j’ai fait au moins dix prestations sur scène.
J’ai demandé d’arrêter le concert, mais la foule s’est révoltée ». Des filles, des femmes le rejoignaient sur scène. « Elles m’ont embrassé. Des baisers pleuvaient ».
Et un de ses amis lui a apporté trois préservatifs sur scène. Il lui a laissé ce message : « Fais attention! Ces filles sont amoureuses de toi. Protège-toi.» Avec humour, le chanteur raconte qu’il n’avait aucune intention dans ce sens. « Des hommes mettaient des billets dans mes poches, d’autres faisaient semblant de m’en offrir alors qu’ils venaient me piquer l’argent».
Dans ce concert, il a récolté plus de 50 mille BIF. Son salaire mensuel oscillait autour de 6000BIF. A la fin, un fan lui a offert une caisse de Primus. Avant de se confesser : « Quand les autres mettaient de l’argent dans tes poches, moi, j’y ai récupéré quelques billets. Voilà ta part. »
Après Kirundo, M. Ciza est descendu directement à Bujumbura pour un autre concert à Ngagara.
A son retour à la maison, un autre spectateur est allé se plaindre chez son épouse : « Je ne conseillerai jamais ma sœur d’épouser un chanteur. Au concert d’avant-hier, presque toutes les filles, femmes présentes y compris ma fiancée se sont jetées sur ton mari, l’ont embrassé et lui ont donné des baisers. »
Un message qui pouvait troubler le couple. Mais, la réponse de Mme Ciza a été surprenante. « Si cela s’est passé comme tu le décris, c’est vraiment super. Je pensais que j’ai épousé un homme laid, mais voilà que même d’autres femmes me l’envient. Une raison de plus de l’aimer encore », raconte ce chanteur, chauve.
Diplômé de l’Ecole Moyenne pédagogique (D4) Sylvestre Ciza est actuellement secrétaire au Lycée communal de Ntega.