Le conseil national de sécurité (CNS) a suspendu, jeudi 27 septembre 2018, pour trois mois, les activités des organisations non gouvernementales à partir du 1er octobre, soulevant un tollé. Mardi 2 octobre, le ministre de l’Intérieur rencontre les représentants des ONG étrangères pour clarifier la mesure controversée. Retour sur un feuilleton qui a défié la chronique.
Initialement prévue le 1er octobre, la rencontre du ministère de l’Intérieur avec les représentants des ONG a finalement lieu le lendemain dans une des salles de l’Hôtel source du Nil pleine à craquer. Les représentants des ONG ont répondu massivement à l’invitation.
Prenant la parole, Pascal Barandagiye, ministre de l’Intérieur et de la Formation patriotique, n’y va pas par le dos de la cuillère. « Nous ne sommes pas ici pour modifier quoi que ce soit sur la communication du Conseil national de la sécurité. C’est un organe suprême qui est au-dessus des ministères et dirigé par le chef de l’Etat.» Pour lui, l’objectif de la réunion est de donner des précisions sur la mise en application de la mesure prise le 27 septembre par le CNS.
M. Barandagiye estime que la mesure survient suite à un « constat amer » de ce Conseil. En effet, certaines organisations n’existent que de nom. Donnant ainsi l’exemple d’une ONG qui, durant trois ans, « n’a donné que trois poules » dans la province de Ngozi. D’autres travaillent sous la couverture d’autres ONG sans toutefois être agréées. « Le moment est venu d’en découdre avec toutes ces irrégularités » assène-t-il.
En outre, poursuit le ministre, « beaucoup » d’organisations ne respectent pas la loi régissant les ONG. Il rappelle que depuis la promulgation de cette dernière en janvier 2017, les concernés avaient 6 mois pour s’y conformer. Cependant, jusqu’à maintenant la plupart demeurent « hors la loi ». Il affirme que désormais, leurs activités doivent être en harmonie avec le plan national de développement du Burundi 2017-2027.
Conditions pour la réouverture
M. Barandagiye fustige aussi le non-respect des équilibres ethniques tout en se montrant compréhensif. Selon lui, le gouvernement est tout à fait conscient des difficultés qui peuvent survenir, si ces organismes les appliquent dans l’immédiat. « Nous vous demandons de mettre dans l’esprit des recrutements la correction de ces déséquilibres sur une période de trois ans ».Par ailleurs, le ministre a pris le soin de mentionner que les déséquilibres concernent les ethnies et le genre.
Sur ce même point, le sénateur Martin Ninteretse, président de la commission des affaires institutionnelles complète le ministre. «En matière de recrutement du personnel, les ONG étrangères sont astreintes au même principe que l’administration publique. »Le sénateur rappelle que la représentativité ethnique dans le secteur est de 60 % pour les Hutus et 40% pour les Tutsis. Il estime que c’est l’esprit d’Arusha qdontue les mêmes partenaires ne cessent de réclamer haut et fort son respect effectif. S’agissant de la mise en application d’Arusha en tout et partout, l’élu remarque un laxisme patent chez ces organismes étrangers.
Ainsi, la réouverture des ONG étrangères présentes au Burundi sera conditionnée par la présentation de la convention de coopération, le protocole d’exécution des programmes en accord avec le nouveau plan national de développement, l’acte d’engagement de respect sur la règlementation bancaire en matière de change et le plan progressif de correction des déséquilibres. .
Cependant, M. Barandagiye affirme que la réouverture des activités n’attendra pas nécessairement les trois mois. Aussitôt les documents déposés au ministère de l’Intérieur, le redémarrage est automatique. Du reste, le gouvernement décline toute responsabilité si les organisations humanitaires ferment les hôpitaux ou les écoles. « Celui qui va fermer l’hôpital sera tenu responsable des conséquences », fait-il savoir.
Une mesure controversée
L’annonce de cette suspension a été différemment appréciée. Toutefois, le porte-parole du Président s’est illustré en lançant des accusations graves à l’endroit de certaines ONG sans pour autant produire des preuves.
C’est à travers un communiqué lu par le général Silas Ntigurirwa, secrétaire exécutif dudit conseil à la télévision nationale que la nouvelle est tombée dans la soirée du 27 septembre dernier. « Après avoir analysé le fonctionnement des ONG œuvrant au Burundi, le Conseil national de sécurité a constaté que la plupart d’entre elles ne se conforment ni à la loi ni aux textes qui les régissent », a-t-il affirmé.
Et d’annoncer que « Le CNS décide la suspension de toutes les activités de ces ONG pendant une période de trois mois, à compter du 1er octobre 2018, pour permettre aux institutions chargées de ces dernières de vérifier leur conformité avec la loi et le règlement en vigueur. »
Ce texte, promulgué en janvier 2017, prévoit notamment un strict contrôle de leurs finances, des frais administratifs et des quotas ethniques (60 % Hutu et 40 % de Tutsi) comme dans l’administration.
Le lendemain, au cours de l’émission des porte-paroles des institutions tenues en province Ruyigi, Jean-Claude Karerwa Ndenzako, porte-parole du Président de la République n’y est pas allé par le dos de la cuillère. Il a accusé certaines ONG sans les nommer de faire l’apologie de l’homosexualité : « Elles enseignent aux Burundais, surtout les jeunes le mariage entre des personnes de même sexe. Tout cela est contraire à notre culture et nos lois. »
De fortes accusations
Bien plus, avance M. Ndenzako, même si elles se disent indépendantes, la plupart d’entre elles sont dans le trafic d’armes, dans la création des conflits et des guerres pour que les fabricants d’armes de leurs pays d’origine aient des marchés : « D’autres sont utilisées pour créer des pathologies pour le compte des industries pharmaceutiques, d’autres encore créent des conflits pour paralyser ou détruire les pays afin qu’il y ait des marchés de reconstruction… »
Tout ceci est connu, a-t-il encore martelé, avant de préciser que cette décision vise à assainir le secteur afin que ces ONG travaillent dans la sérénité tout en respectant les lois burundaises et la dignité des citoyens burundais.
Le porte-parole du Président de la République a conclu son propos en soulignant que parmi les ONG frappées par cette suspension, aucune ne se plaindra de cette décision du Conseil national de sécurité : « Elles savent très bien que ce qu’elles font au Burundi ne se fait nulle part même dans leurs pays d’origine. » Et de leur suggérer de bien accueillir cette suspension de trois mois parce que cette période est suffisante pour qu’elles se conforment à la loi.
Par Arnaud Igor Giriteka & Christian Bigirimana