Les propriétaires des maisons construites dans l’espace réservé à la seule station d’épuration des eaux usées de Buterere ont jusqu’au 20 octobre pour dégager. L’ultimatum a été donné pour la première fois par le CNS. D’autres institutions ont également relayé ce message. Les concernés sont désemparés.
Le Conseil National de Sécurité(CNS), en sa session ordinaire du 20 juillet 2018, a donné le la. Il a instruit le ministère de l’Environnement de faire feu de tout bois pour un fonctionnement optimal de la station d’épuration des eaux usées de Buterere.
Une action à mener simultanément avec l’expulsion des personnes occupant illégalement ce site. « Le terrain appartient aux services techniques municipaux (SETEMU) », a-t-il rappelé. Le CNS avait donné un délai de 3 mois pour l’exécution de ce travail.
A son tour, le Sénat burundais entre dans la danse. Deux commissions, à savoir la commission permanente chargée des questions économiques, de l’environnement, des finances et du budget et celle chargée des questions institutionnelles, juridiques et des droits et libertés fondamentaux y sont déployées.
24 septembre, leur rapport est présenté en présence de cinq ministres, en l’occurrence le ministre de l’Environnement, celui des Travaux publics, celui de la Sécurité publique, celui de l’Intérieur et le ministre de l’Energie et des Mines.
Lesdites commissions ont recommandé la restitution de près de 64 ha à la station d’épuration des eaux usées de Buterere. Et cette dernière est subdivisée en espace de bassins de traitement des eaux usées, de séchage de boues issues du curage de ces bassins et un périmètre de protection. Aujourd’hui, on y trouve des maisons de particuliers.
Pour les sénateurs, ces constructions anarchiques perturbent le fonctionnement de la station d’épuration. « La station ne dispose plus d’espace de séchage des boues issues du curage des bassins de traitement des eaux usées ».
Pis encore, les sénateurs s’inquiètent de la santé des riverains. Selon eux, les eaux de ces bassins dégagent une odeur nauséabonde, rendant la zone très insalubre.
Ils indiquent que ceux qui y ont construit dans la partie de la zone Buterere ne disposent d’aucun document obligatoire délivré par les services de l’urbanisme. « Ils ont des autorisations des administrateurs de base ». Côté Ngagara, certaines parcelles ont été attribuées par l’urbanisme.
Ainsi, les sénateurs ont demandé, de façon unanime, la démolition de près de 140 maisons et la restitution de cet espace aux SETEMU. Et ce, pour le bon fonctionnement de cette station, dans l’intérêt de «toutes les générations présentes et futures ».
Par la suite, une commission interministérielle a été mise en place pour enquêter sur les constructions illégales sur le terrain abritant cette station.
Le sort des acquéreurs de bonne foi à déterminer
D’après Déo-Guide Rurema, ministre de l’Environnement, 43 acquéreurs disposent de documents provisoires des services de l’Urbanisme. D’autres propriétaires n’ont aucune autorisation des services habilités.
Pour prendre des mesures appropriées et fixer le sort des acquéreurs ayant des documents légaux, le ministre de l’Environnement a promis une analyse minutieuse du rapport de la commission. Et ce, en collaboration avec les ministres de l’Aménagement du territoire, de la Sécurité publique et celui de l’Intérieur.
Le ministre Rurema a précisé que 222 maisons sont concernées. Signalons que l’ultimatum du CNS pour dégager les alentours de la station d’épuration des eaux usées de Buterere expire le 20 octobre 2018.
« Une bonne décision mais… »
« La décision en soi est bonne. Malheureusement, Buterere n’est pas le seul endroit concerné. Avant de procéder à la démolition, on devrait d’abord chercher à savoir pourquoi de telles constructions », réagit Tharcisse Ndayizeye, environnementaliste. Il évoque plusieurs constructions anarchiques ici et là dans la ville de Bujumbura. Cas des maisons construites sur les câbles électriques de la Regideso, dans la zone tampon du lac Tanganyika ou dans les rivières traversant Bujumbura, etc. « De multiples chantiers de constructions illégales sont en cours. Et ce, au vu et au su des administratifs à la base ou sous la bénédiction de certaines autorités chargées de faire respecter la loi ». Et de souligner que le code de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction au Burundi du 12 août 2016 montre bien les zones non-constructibles.
M.Ndayizeye évoque, en outre, l’existence d’une commission nationale en charge de l’urbanisme, de l’habitat et construction au Burundi mise en place par décret. « Décentralisée au niveau provincial et communal, sa mission est de donner le plan directeur de construction ».
Il doute qu’elles soient réellement opérationnelles. « Ce sont ces dernières qui devraient répertorier tout nouveau chantier et vérifier si les normes environnementales ont été respectées et informer l’urbanisme ». Il déplore, par ailleurs, un manque de collaboration, de communication entre elles et l’Urbanisme.
L’environnementaliste parle également de la fonction régalienne de l’Etat : « C’est lui qui a le rôle d’empêcher les gens de s’exposer et d’exposer les autres au danger. »
Les propriétaires sont déboussolés
« Nous ne savons pas quoi faire. On ne sait plus où aller », se lamente un des propriétaires de ces maisons. S’exprimant sous anonymat, ce père de famille confie que pour avoir cette parcelle et construire sa maison, il a contracté un crédit. « J’étais en train de rembourser. Où vais-je mettre ma famille si ma maison est détruite ? » Il affirme disposer des documents légaux. Sidéré, cet homme demande au gouvernement de leur trouver d’autres parcelles et de les indemniser. « Nous avons été induits en erreur par des agents du gouvernement ».
Un autre propriétaire croisé à Buterere ne cache pas que certains y ont construit de façon frauduleuse à leur insu. Il indexe les administratifs à la base de ne pas les avoir prévenus : « Quand j’ai acheté la parcelle, ils étaient présents. Mais ils ne m’ont pas dit que la zone n’est pas constructible.» Et plusieurs individus sont dans cette situation.
Isidore, un autre habitant de Ngagara, s’en prend à l’Urbanisme. « C’est ce service qui nous a accordé ces parcelles. Et voilà qu’aujourd’hui, on nous recommande de détruire nos maisons. Qui va nous indemniser ? »
Pour lui, au lieu de s’attaquer aux maisons, la priorité devrait être la réhabilitation de la station. Sinon d’autres maisons seront touchées. « Cette décision de détruire nos maisons ne fait que gonfler le nombre de mendiants dans les rues de Bujumbura.»
Quid de la responsabilité ?
« Nul n’est censé ignorer la loi », rappelle Tharcisse Ndayizeye, environnementaliste. D’après lui, la première responsabilité revient aux propriétaires. « Avant d’y affecter le budget, ils devraient s’assurer qu’ils sont en ordre avec la loi, les normes environnementales ». Ensuite, viennent les services étatiques. Ces derniers ont la mission de planifier, d’empêcher tout dérapage. « Pour être opérationnels et efficaces, ils devraient être incorruptibles, être rapides dans l’octroi des documents et ce après vérification.» En troisième position, la responsabilité revient à l’entourage. Les gens devraient avoir ce réflexe d’avertir en cas de chantier qui ne respecte pas les normes environnementales. « Il faut avoir la culture du risque, car de telles constructions peuvent causer des dégâts humains énormes ». Selon lui, le cas de Buterere devrait servir de leçon aux futurs acquéreurs de parcelles.
En ce qui est de l’indemnisation, M. Ndayizeye estime que l’Etat devrait se rabattre sur les officiels qui ont octroyé ces parcelles.
A quand la réhabilitation de la station ?
La station des eaux usées de Buterere est en panne depuis plus d’un an. Une situation qui inquiète les riverains. Pourtant, Freddy Mbonimpa, maire de la ville de Bujumbura, tranquillise : «Les trois pompes de la station de pompage ont été récemment installées. Aujourd’hui, elles fonctionnent normalement.» Il reconnaît que des accessoires manquent, notamment les armoires de commande électronique, les couvercles des regards, les pompes à boue, les vices d’Archimède, etc. Il fait savoir que leur coût s’élève à 823 000 euros, soit 1, 4 milliards de dollars américain au taux de change officiel du mercredi 10 octobre. « Le ministère des Finances a accepté de débloquer la moitié de ce montant, cette année. Une autre partie sera déboursée l’année prochaine.»
Concernant la connexion des nouveaux quartiers à cette station, M. Mbonimpa promet de s’exprimer ultérieurement. Et de réaffirmer que les maisons construites dans l’espace de cette station seront prochainement démolies. « La municipalité a donné son rapport au Premier vice-président de la république pour avertir les concernés ».