Le procureur général de la République a sorti un communiqué « pour couper court à la spéculation et à la rumeur sur la saisie des biens des présumés putschistes ». Une sortie médiatique qui a encore plus relancé le débat sur les fondements juridiques de sa décision.
Le communiqué conjoint du président de la Cour suprême et du procureur général de République, lu par la secrétaire générale et porte-parole de la Cour suprême le 13 mai a créé la surprise.
Il annonce la décision de saisir les biens des personnes accusées d’avoir trempé dans le putsch et les manifestations de 2015.
Les questions ont fusé de partout. La première, pour la forme : Comment le juge (la Cour) peut-elle signer un communiqué avec une partie au procès (le ministère public, le procureur). Les hommes de droit, les politiques, l’opinion… Chacun de son côté a interrogé la loi. Plusieurs dispositions juridiques ont été brandies pour parler des violations de la loi. Des principes tels la présomption d’innocence, le procès équitable, ont été évoqués.
Un débat que le procureur a voulu clore par le communiqué du vendredi 31 mai en expliquant entre autres les motivations de sa décision.
Dans ce second communiqué, Sylvestre Nyandwi dit vouloir prévenir que les biens des personnes poursuivies ne financent pas la déstabilisation du Burundi dans le prolongement du mouvement insurrectionnel de 2015 et du putsch manqué du 13 mai 2015 dont certains auteurs présumés sont en cavale et qui, selon les informations à la disposition du procureur, poursuivent leur entreprise criminelle.
Il veut également garantir un éventuel dédommagement des parties civiles en cas de condamnation des personnes poursuivies. Il se dit au courant des manœuvres de dissimilation de ces biens.
L’autre raison avancée est celle de la protection des biens contre la détérioration, car « certains prévenus en cavale ont laissé des biens considérés comme abandonnés alors qu’ils peuvent être utiles pour le développement du pays. »
Un droit de recours dans un délai de 15 jours à compter du 31 mai auprès du président de la Cour suprême ou du procureur général de la République.
Comparaison avec 1972
Des motivations qui n’ont pas manqué de soulever le débat et des questions. Il semble curieux de prime abord qu’un homme de droit, le procureur général de la République, parle de volonté de clarification et ne donne aucune disposition juridique qui étaye sa décision. Ses raisons n’ont pas été accompagnées de base légale.
Une opinion n’a pas manqué de faire le lien avec les saisies de 1972. Sylvestre Nyandwi a tenté une explication. Pour lui, il n’y a aucune similitude avec les décisions prises en 1972. « Sur base d’un jugement fictif, les autorités de l’époque ont décidé d’attribuer les biens des présumés auteurs à certains citoyens. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les biens saisis ont été confiés à l’Etat qui les exploitera dans l’intérêt général. Et là c’est une décision provisoire ».
Pour les personnes concernées par la mesure, cela revient au même. Que leurs biens aillent servir l’intérêt général ou celui d’un particulier, le résultat est le même : ils ont été dépossédés, tout comme en 1972.
Réactions.
Pour Léonce Ngendakumana, la présomption d’innocence est bafouée
Le vice-président du parti Sahwanya estime qu’il est quand même étrange que le procureur général de la République parle de la protection des biens en chassant une famille de sa maison, » s’étonne le vice-président du parti Sahwanya Frodebu. Il se demande sur quelle base juridique peut-on prendre la décision de saisir les biens d’une personne considérée jusqu’ici présumée innocente selon le principe consacré par la Constitution. La position du parti Sahwanya Frodebu est très claire : «Ce dossier requiert le respect de la Constitution et des lois en vigueur. Il faut également créer les conditions pour faciliter leur retour au pays pour qu’ils puissent répondre des accusations.»
Jean de Dieu Mutabazi, compréhensif
Le président de l’observatoire de lutte contre le génocide indique que pour les prévenus qui ont déjà été jugés, la décision de saisie est nécessaire pour pouvoir dédommager les victimes. Pour ceux qui n’ont pas encore été jugés, la mesure de saisie est conservatoire et nécessaire pour protéger les biens qui vont servir à dédommager les victimes du putsch et du mouvement insurrectionnel. Jean de Dieu Mutabazi demande d’accélérer l’issue du procès afin que les victimes soient vite dédommagées et que les prévenus qui seront innocentés, leurs biens leur soient rendus.
Charles Nditije, choqué
Le président de l’Uprona de l’opposition en exil, estime que c’est pire qu’en 1972, car le procureur général de la République n’attend même pas qu’il y ait un simulacre de procès. Il a déjà tranché en condamnant d’avance les présumés putschistes. Il a prononcé un jugement avant qu’il y ait un quelconque procès, fût-il inique. « La spoliation n’est pas moins condamnable ou plus tolérable parce que vous mettez ces biens dans les mains de l’Etat au lieu de les donner à des tiers ». Le procureur ignore le principe de la présomption d’innocence ainsi que d’autres principes protégeant la propriété familiale et garantissant un procès équitable. « M. Nyandwi pousse son arrogance au paroxysme quand il ose affirmer que la spoliation vise à protéger les biens de ces réfugiés, comme si le pouvoir qui les a exilés avait un quelconque sentiment de compassion ou d’humanité, de justice envers eux. » En conclusion, il apparaît clairement que cette décision est tout sauf juridique. C’est la persécution politique des opposants politiques et même des membres de leur famille qui se poursuit de plus belle. Elle s’accompagne de l’escroquerie qui gangrène le pouvoir.