Les opérateurs économiques sans licences accusent les banques commerciales de spéculation sur les taux de change des devises dans l’attente d’une éventuelle dévaluation de la monnaie locale. Réaction des accusés : « C’est une absurdité ».
Un homme fait le pied de grue devant un guichet d’une banque commerciale. Il baille. « J’attends depuis une heure devant ce guichet. Je cherche des devises, pour tenter de relancer mes importations depuis Kampala et Dar-Es-Salam. Je compte en avoir au taux officiel de 1580,4 Fbu». Un instant après, une employée lui dit poliment: « Désolée, pas de devises. Tu reviendras un autre jour. » Le commerçant sort. Une dame lui souffle de retourner encore au guichet pour « négocier » avec les employés car, affirme-t-elle, « c’est l’usage par les jours qui courent ».
L’homme s’engouffre dans son véhicule pour un bureau de change. Là, des commissionnaires se précipitent sur lui. « Acheteur : 1930Fbu le dollar, vendeur : 1940, boss ! », glisse un « échangeur ». Il entre dans le bureau pour en sortir avec les précieux dollars, le visage sombre.
Il dira que ce qui l’inquiète est que la carence de devises sur le marché devra certainement être suivie d’une flambée de prix sur le marché au moment où le pouvoir d’achat des citoyens ne cesse de se détériorer. « Comment arriverai-je à écouler mes marchandises, une fois de retour de Kampala ? »
Suzanne Sibomana, une dame dont une fille étudie dans une école secondaire en Ouganda se plaint elle aussi d’être contrainte d’ajouter 75.000Fbu au 595.000Fbu qu’elle déboursait pour sa fille qui étudie en Ouganda; les charges étant demeurées statiques : 350 USD par trimestre.
Grogne à la chambre de commerce
Eric Ntangaro, secrétaire exécutif à l’Association des Transporteurs Internationaux du Burundi se plaint lui aussi que par les temps qui courent, seuls les grands commerçants qui ont des licences d’importation ou d’exportation ont le droit aux devises dans les banques commerciales, « là aussi après une longue procédure », souligne-t-il. Le reste des opérateurs économiques doit se rabattre sur le marché noir.
Un commerçant accuse les banques commerciales de spéculation pour tirer le maximum de profit de la nouvelle crise dans le pays. Il soupçonne les employés de ces banques et même ceux de la Banque centrale de déverser des devises sur le marché noir où ils gagnent facilement entre 350 et 400 Fbu sur chaque dollar. L’homme est convaincu que ces banques disposent de suffisamment de devises mais qu’elles les gèrent parcimonieusement dans l’attente d’une dévaluation. Et d’affirmer que les banques commerciales font pression sur la banque centrale pour arrêter une dévaluation du Fbu. « Pourquoi les taux sont-ils toujours élevés dans les bureaux de change par rapport aux taux officiel alors que ces bureaux sont sous la supervision de la BRB ? », lance-t-il, en guise de preuve.
« La pression pour déclencher une dévaluation : c’est une absurdité ! »
Différence entre dévaluation et dépréciation
Une monnaie subit une dévaluation lorsque les autorités monétaires (la banque centrale et le ministère des finances) décident d’abaisser son taux de change par rapport à une monnaie de référence, ou un panier de monnaie. Lorsque la valeur de la monnaie baisse sur le marché des changes, sans décision officielle, on parle simplement de dépréciation, ce qui se manifeste sur le marché de change.
« Pas de commentaire sur la question de la dévaluation, encore moins sur une dévaluation proposée par les banques commerciales », souligne le porte-parole de la BRB.
Quant à Audace Bukuru, administrateur directeur général à la Banque Nationale pour le Développement Economique (BNDE) et président de l’association des banques et établissements financiers, il trouve absurde que des banquiers demandent à la banque centrale de dévaluer le Fbu. « Nous n’avons pas d’injonction à donner à l’autorité monétaire qui sont la Banque de la République et le ministère des Finances. La dévaluation de la monnaie relève de la politique monétaire, ça ne concerne pas du tout les banquiers ».
Cependant, il révèle qu’au début de ce mois, le gouverneur de la BRB a rappelé à l’ordre certaines banques qui se comporteraient comme de simples échangeurs au marché noir.
Léonidas Ndayizeye : « Le pays n’a pas intérêt dans une monnaie faible »
Le doyen de la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion à l’Université du Burundi constate qu’il y a effectivement « dépréciation » du Fbu due à la carence des devises. La monnaie locale est peu demandée. Elle ne peut que perdre sa valeur avec toutes ses conséquences surtout dans un pays importateur net comme le Burundi (les importations sont très supérieures aux exportations), explique-t-il.
A ceux qui croient que la BRB devrait dévaluer le FBu puisque la monnaie locale est déjà dépréciée, le professeur martèle que le Burundi n’a pas d’intérêt dans une monnaie faible car il n’exporte pas beaucoup. Pire la dévaluation s’accompagne d’une flambée de prix sur le marché.
Toutefois, remarque le professeur, la banque centrale peut dévaluer la monnaie nationale pour diluer la dette de l’Etat, c’est-à-dire ses engagements vis-à-vis du tiers. Le pays peut continuer notamment à payer ses fonctionnaires en recourant à l’émission de la monnaie par la banque centrale.
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>>> Analyse
L’économie burundaise, au sens moderne du terme, est une fiction, en dehors de l’économie de subsistance qui nourrit les dix millions de Burundais. Il n’y a pas de production suffisante pour l’exportation des biens et services, le Burundi important dix fois la valeur de ses exportations, et cette situation ne changera pas du jour au lendemain. Il faut donc être réaliste : les quelques dollars sur le marché parallèle sont raflés par les importateurs et autres demandeurs de devises, poussant à la hausse le prix du dollar par rapport au franc burundais. L’autre source de devises provient de l’aide extérieure des bailleurs de fonds, suspendue du fait de la situation politique et sécuritaire du pays. Ce n’est donc pas la faute de la BRB ni des banques commerciales s’il y a pénurie mais le public en général continue à les en rendre responsables. Quant à la dévaluation, elle me semble inévitable et ce n’est qu’un début tant qu’il subsistera un grand déséquilibre entre l’offre et la demande des devises étrangères.
« Les opérateurs économiques sans licences »: je suppose que vous voulez parler d’importateurs; mais est-ce possible de rentrer et donc de dédouaner des produits au Burundi sans licence? Merci d’ éclairer ma lanterne.
La perte de valeur de notre monnaie fera plus de ravage que la guerre froide ou chaude qui se prépare. Vous le comprendrez le jour où les fonctionnaire seront payés en monnaie de singe. Pro et anti mandat indéterminé feront tous la grimace.