Ce n’est pas un cas isolé. Intimidation, mépris, abandon,… Voilà ce qu’endurent des personnes âgées dans certains coins du pays. Considérées comme encombrantes, « parasites », elles sont privées de tout jusqu’à la propriété foncière, par leurs propres fils. Speciose Ndinzemenshi en est l’illustration. Reportage.
Karusi, commune Gitaramuka. Le début de la saison pluvieuse rend l’air très frais. Une verdure luxuriante reprend ses droits après un été sec.
Dans ses vallées, des champs, …des cultures très verdoyantes. Sur les collines, des agriculteurs s’activent pour ne pas rater la première saison culturale. Le temps de semer le maïs, renouveler les bananeraies, planter des herbes fourragères, etc. La vie est très animée.
Tout autour de la route récemment réhabilitée à la colline Cirambo, des bananeraies dominent des habitations. Apparemment, la famine ne guette pas dans cette contrée.
Néanmoins, à Cirambo, Speciose Ndinzemenshi, mène une vie très misérable. Chassée de sa belle-famille par ses propres fils, cette octogénaire se terre quotidiennement dans une pitoyable chaumière, érigée à la va-vite à une centaine de mètres de la route. Elle vit solitaire, abandonnée derrière d’autres habitations.
Vassale sur la terre parentale
Lundi 21 octobre, 16 heures. Spéciose est assise à même le sol, toute silencieuse, devant sa masure. A notre arrivée, gentiment, elle fait sortir une ‘‘sorte de chaise ‘’ qu’elle couvre soigneusement de son pagne usé, plutôt propre. « Je suis devenue vassale sur la terre de mes parents », se plaint-elle. Pieds nus, elle porte un chapelet. Juste des haillons pour se couvrir le corps.
D’environ 3m sur 2, sa hutte risque de s’effondrer. Une seule petite porte en bois. Aucune fenêtre. Des murs en bois, toiture en paille. Une partie a déjà cédé. Avec des feuilles de bananes, Speciose a essayé de la réhabiliter.
L’intérieur fait pitié. Deux petites chambrettes. Pas de lit, pas de couverture. Juste une petite natte pour dormir. Pas d’ustensiles sauf quelques petits pots autour de son foyer.
Sans terres cultivables, épuisée, Speciose vit des âmes charitables. D’une voix douloureuse, elle raconte : « En cas de pluies, je dois me réveiller, rester debout pour ne pas être emportée par les courants d’eau ou sortir m’abriter en dessous des bananiers. » Elle tend la main aux bienfaiteurs : « N’eût été l’aide des voisins, je serai déjà morte de faim. J’ai besoin d’être assistée.»
Le veuvage, ‘’ l’enfer’’
Elle était mariée à Muyinga, commune Gasorwe, colline Kagurwe. « Après la mort de mon époux, mes fils sont devenus de vrais monstres. Ils ont tout fomenté pour me chasser. » Quand elle a tenté de résister, ils l’ont accusée de sorcellerie. « Un prétexte. Ils voulaient tout simplement que je parte pour vendre la propriété familiale.» Malgré son âge, Speciose s’est battue pour ses droits. Elle a cherché le soutien des administratifs à la base. « Mais mes fils n’ont pas écouté leurs conseils.» Ils ont alors détruit sa maisonnette. A sa terre natale, elle sera accueillie par ses deux belles-sœurs, veuves aussi. « Nous avons été surprises de la voir revenir ici. Mais, comme c’est chez ses parents, c’est son seul refuge sûr », témoigne Pennine Niragiye, sa belle-sœur. Une situation pas facile à gérer. Les deux familles ont cédé chacune une partie pour trouver où caser Speciose. Sa case est installée dans un périmètre de 10m2.
Déchéance des valeurs sociales
« Nous avons essayé de les convaincre à ne pas chasser leur mère, en vain », témoigne Patrice Nibizi, chef de colline Kagurwe, commune Gasorwe, province Muyinga. Il soutient que cette mère n’est pas une sorcière. Pour lui, c’est lié aux problèmes de terres. Pour Joseph Habiyakare, conseiller collinaire de Cirambo, c’est une déchéance des valeurs sociales: « C’est honteux d’entendre des fils répudier leur maman. » De son côté, sous anonymat, un juriste indique qu’il revient à l’administration de protéger ces personnes âgées. En cas de décès du chef de famille, la veuve reste gestionnaire de la propriété.