Par Jean-François Bastin*
Ce sont des images, éparses. Le petit monde d’Iwacu. Immobiles les bâtiments, disposés autour du parking en terre, égayés de couleurs pastel. Incessant le mouvement des véhicules et des gens, allant et revenant de reportages. Des cris, des crissements, des claquements de portes et de mains dans le dos, le plaisir des retrouvailles, la joie de l’interview obtenue, des photos réussies, l’angoisse aussi quand on part vers l’inconnu, vers l’incertain, l’angoisse de ceux qui restent, qui attendent.
Une angoisse à couper au couteau ce 3 mai 2015, journée mondiale de la liberté de la presse, quand Iwacu reçoit des journalistes et des diplomates aussi perdus les uns que les autres, les rares diplomates dans leurs costumes étriqués, les journalistes habillé.es de noir, la bouche scotchée de noir, portant le deuil prémonitoire de leur média. La Maison de la presse vient d’être brutalement fermée, RPA mise sous scellés, Bonesha et Isanganiro empêchées d’émettre à l’intérieur du pays. Iwacu devient un refuge pour la presse en sursis. Quelques jours plus tard, tous ces médias devront se taire. Sauf Iwacu, épargné par inadvertance. Iwacu, comme par hasard, où tout le Burundi s’est côtoyé pendant 10 ans, jeunes, vieux, femmes, hommes, hutu, tutsi, anciens du maquis, de la diaspora et de la nomenklatura, venus des quatre coins du pays et de la société, Iwacu où tout le Burundi s’est engueulé, embrassé, empoigné, et surtout, finalement, informé, où personne n’a censuré personne, où chacun a essayé de s’exprimer sans se croire obligé de se répandre en imprécations. Iwacu était un forum, un carrefour, une foire d’empoigne, jamais un tribunal. C’est tout ? Oui, et c’est immense.
Je sais que j’exagère ici, que j’embellis les choses, que j’oublie les failles, les faiblesses, que je vénère ce que j’ai critiqué parfois, tant pis, il y a un temps pour tout, le simple fait qu’Iwacu existe encore donne un sens à toute son histoire. Il est sa propre raison d’être, pourvu qu’il continue, ne serait-ce que dans ses éditoriaux et dans la mesure du possible, à dire le vrai, le juste, l’acceptable et l’inacceptable. Jean Bigirimana est mort pour cet idéal, pour ce rêve, pour cette réalité, pour ce Burundi qui vaut mieux que ses fossoyeurs successifs. Son corps est introuvable, sa mémoire immortelle.
NDLR : Ce papier a été écrit en 2018
*JFB a fait l’essentiel de sa carrière à la RTBF pour laquelle il a couvert de nombreux conflits africains, dont ceux du Rwanda et du Burundi. Il a pris ensuite une retraite anticipée en 2004, pour se mettre au service des médias burundais, publics et privés, dans le contexte de la démocratisation