L’Assemblée nationale a adopté, le 19 novembre dernier, un projet de loi pour la restructuration de la Société sucrière du Moso(Sosumo) afin de booster sa production. Même si certains employés en dénoncent une mauvaise gestion, la direction par contre se félicite.
Trois des employés, rencontrés lundi 3 décembre dans la zone dite Sosumo, ne tarissent pas de plaintes. Ils se disent désemparés. Outre la peur de se voir virés à la porte dès que la privatisation sera consommée, ils avouent en avoir marre avec la gestion de la société par ses responsables actuels.
Vers 11h, l’ambiance de la circonscription est calme à part des ronronnements au loin des moteurs de l’usine. En cette cité de la commune Bukemba, à près de 25 km de la province Rutana, il a plu tout l’avant-midi. Le paysage connaît plutôt un mauvais temps…
A l’usine, bien que la société soit en pleine campagne, les mouvements des engins de récolte se font rares. On peut voir quelques camions bennes, tracteurs, garés près d’une grande salle de conservation de milliers de sacs du sucré fini. Quelques véhicules type Toyota Hilux font des allées et venues. Là, certains employés journaliers font des travaux d’entretien. De l’autre côté, des cadres vaquent à leurs activités dans leurs bureaux…
Les entretiens auront lieu vers 13h, au moment de la pause. Ayant requis l’anonymat «pour leur sécurité», nous nommerons nos sources ici par Luc, Jean et Janvier, des noms d’emprunt.
«Si rien ne change, la Sosumo sera bientôt au bord de la ruine»
‘‘L’insuffisance’’ des moyens de production. C’est la raison principale qui sous-tend les reproches de ces employés. D’après M. Luc, uniquement quatre tracteurs sont en activité pour la campagne de récolte en cours. Un travail qui était abattu par 15 tracteurs auparavant. Cet employé évoque des pièces usées non remplacées.
Depuis juin dernier, l’administration de la Sosumo s’est rabattue à des camions bennes, loués auprès des particuliers pour six mois. Ils sont à cinq. Les frais de location s’élèvent pour chacun et par jour à 550 mille BIF, même si c’est la société qui se charge du carburant. «Incompréhensible ! », s’exclame Luc, air fâché, dénonçant «une forme à peine voilée de détournement des fonds».
Au chapitre du travail de ces véhicules sous location, moult critiques sont émises. Outre qu’ils sont peu nombreux, leur capacité de transport, comparée à celles des tracteurs, reste limitée. En effet ces derniers sont munis de deux charrues, permettant le chargement d’une grande quantité de cannes.
Jean, un employé du service de transport au sein de la société relève un autre défi, non des moindres. «Ces camions ne sont pas appropriés pour le déchargement». D’après lui, ils doivent déverser les cannes par terre. Elles seront rechargées par les tracteurs, les seuls qui peuvent les transférer grâce à un outil adapté vers la machine de broyage. «Le processus de transformation des cannes en sucre devient ainsi assez long, ce qui hypothèque la croissance de notre entreprise», estime Jean.
Ce n’est pas tout. Ces travailleurs de la Sosumo s’indignent contre le gel des primes. Après chaque récolte, confie Janvier, les employés de cette société bénéficiaient des primes de bilan. Elles étaient accordées suivant le bénéfice réalisé. Il évalue sa moyenne annuelle à 12 milliards de BIF.
Une pratique bafouée selon lui depuis la mise en place de nouveaux organes en 2016. Pour M. Janvier, cela est injuste vu que le bénéfice est rendu possible grâce à l’effort fourni par le personnel employé. «C’est décourageant», fait-t-il observer triste, ajoutant que «même les heures supplémentaires des weekends et jours fériés ne sont plus payés».
Ces employés crient au changement du mode gestion de leur société. «Nous avons besoin d’une bonne gestion. Sinon, notre société sera bientôt au bord de la ruine.» Ils nuancent cependant: «Ce changement ne requiert pas du tout une privatisation». Celle-ci aboutirait notamment au licenciement de pas mal d’employés. Ainsi, ce ne serait que déshabiller Saint Pierre pour habiller saint Paul.
Pour eux, la réorientation des dépenses faites notamment sur la location pourrait faire l’affaire. «Si les sommes débloquées pour la location des camions de récolte servaient à l’achat de pièces de rechange des tracteurs, le niveau de la production pourrait même passer du simple au double».
Des fausses reproches, juge l’ADG de la Sosumo
Eric Nshimirimana, Administrateur directeur-général de la Sosumo, balaie du revers de la main toutes les accusations. Pour lui, ces propos ne sont que des rumeurs, véhiculées par des gens qui ont ‘‘leur’’ objectif. Ce serait en outre des informateurs désinformés ou sous-informés.
«L’information que vous avez est fausse pour plusieurs raisons. Si elle n’est pas issue d’un directeur ou d’un directeur général, elle devra être fausse».
Au sujet du remplacement des pièces vétustes, M. Nshimirimana soutient que celles-ci sont difficilement importables car rares et chères. Notons que ces tracteurs, fabriqués par une société allemande, sont vieux de plus de trente ans.
L’Administrateur directeur-général de la Sosumo n’est pas de l’avis d’un loyer cher. «Il est cher par rapport à quoi ?» Aux yeux de cette autorité, celui qui critique la location des camions bennes ignore, à part ces difficultés liées à l’importation, les procédures de passation des marchés publics. «Ils ne sont pas gérés dans l’air. Le mode de passation est clair, tout est justifié et les contrats sont sans équivoque », explique-t-il. Et d’ajouter : «Les services habiletés de l’Etat font régulièrement l’audit».
S’agissant de la production, Eric Nshimirimana apprécie positivement sa croissance. Du haut de ses trente ans d’existence, la Sosumo satisfait encore les 20 mille tonnes de sucre, et va parfois au-delà. La capacité de production qu’elle devait atteindre à sa mise en place. «Même pour la campagne actuelle, nous sommes déjà à plus de 19 mille tonnes malgré les pannes de l’outil de production, le climat qui n’est pas toujours favorable, etc.», se réjouit-il.
La société sucrière du Moso compte actuellement autour de 500 employés contractuels. Entreprise publique avec 99% des actions de l’Etat, la Sosumo tend vers sa privatisation. Selon le projet de loi adopté le 19 novembre, ces actions devraient en effet se réduire à 46% au profit des particuliers.