Le projet de loi sur le changement du mode de gestion et de la structure du capital social, adopté lundi 19 novembre, par l’Assemblée nationale prévoit que les actions de l’Etat passent de 99% à 46%. Si ce projet augure la hausse du prix du sucre pour certains, un expert nuance.
Jean Prosper Niyoboke, économiste et enseignant à l’Université du Lac Tanganyika, explique que la privatisation de la Sosumo s’inscrit dans la logique de la libéralisation des entreprises recommandée par la Banque mondiale. Elle devrait être bénéfique à la population. C’est une preuve que l’Etat veut en faire davantage un pilier de l’économie.
La libéralisation implique en principe la maximisation de la production, la gestion responsable de l’entreprise, le recrutement sur base du mérite, l’innovation, etc. « Aucun investisseur ne pourra injecter ses moyens dans une affaire, s’il n’y voit pas un intérêt. Et la recherche de celui-ci conduit à la croissance dont la population tire profit par la voie de la création d’emplois et de la baisse des prix ».
Cet universitaire assure que le prix du sucre devrait considérablement baisser à la suite de cette politique. «Me basant sur des études déjà faites, je peux affirmer qu’il pourra même être réduit de moitié». La fixation du prix résulte de la production et de la clientèle disponible : la classique loi de l’offre et de la demande.
Prosper Niyoboke affirme que la production pourrait dépasser de loin la production attendue. Le privé, motivé par la recherche du gain, ne visera pas que le marché local. La satisfaction de celui-ci nécessite 35 mille tonnes selon le ministre du Commerce. La Sosumo produit aujourd’hui une quantité variant entre 20 mille et 23 mille tonnes. Il faut donc 10 mille tonnes supplémentaires.
Cette restructuration, poursuit l’économiste, rendra possible l’extension des plantations à de vastes étendues de terrains pour augmenter la production. Un pari jusqu’ici impossible. L’Etat, sollicité de toutes parts, a tellement de préoccupations (sécurité, élaboration du budget, etc) que l’extension des plantations n’est pas une priorité. Il est compréhensible qu’il s’occupe d’abord de ses charges régaliennes.
Pour rappel, le ministre Niyokindi, lundi 19 novembre, au Palais des congrès de Kigobe, a rappelé que l’Etat n’est pas toujours le bon gestionnaire : «la cession d’une partie des actions de l’Etat aux privés vise la satisfaction du marché local sans recourir à l’importation». Ainsi, le ministre a souligné le manque de devises.
Pour Noël Nkurunziza, porte-parole de l’Association des consommateurs du Burundi (Abuco), l’extension devrait se faire jusque dans les terres des particuliers. Ceux-ci cultiveront des cannes à sucre dans leurs champs et la Sosumo les leur achètera. A l’instar de l’Office du thé du Burundi (OTB) qui s’approvisionne auprès de la population.
« Non au monopole ! »
Le sucre burundais étant de bonne qualité, les actionnaires privés chercheraient à exporter à l’extérieur. Le gouvernement gardera certes le pouvoir de contrôle mais ses marges de manœuvre seront diminuées. Ainsi, ils exigeraient dans le contrat la possibilité d’écouler une partie de la production à l’extérieur. Ce qui est loin d’indisposer l’Exécutif en raison des devises qui en résulteront.
L’universitaire et l’activiste s’accordent notamment sur la façon de faire face à cette possibilité d’exportation. Ils insistent sur la nécessité de libéraliser la commercialisation du sucre. Le premier recommande à l’Etat de laisser la Sosumo fixer elle-même le prix. Le cas échéant, la population ne se procurera pas du sucre à un «prix planifié» qui inclut une taxe de consommation. La redistribution des richesses qui lui tient à cœur sera compensée par la diminution du prix au marché. Pour rappel, le budget de 2018 prévoit une taxe de consommation de 600 BIF sur un kg.
Pour mettre fin au monopole de la Sosumo, le second met l’accent sur l’ouverture du marché local pour le sucre produit à l’étranger. Dans le statu quo l’Etat protège cette société par la voie de la taxation.
Depuis septembre dernier, la taxe sur l’importation du sucre a été haussée à raison de plus de 130%. Pour une quantité dont la taxe était de 200 dollars américains, elle est actuellement de 460 dollars américains.
Dans ces conditions, l’entreprise étant entre les mains des privés, le porte-parole de l’Abuco craint qu’ils puissent fixer le prix comme bon leur semble.
Les antécédents sur la privatisation des entreprises publiques au Burundi sont mauvais. Le cas du Complexe textile du Burundi (Cotebu) cédé en 2007 à Afri-textile est un exemple éloquent. Outre plus d’un millier d’employés mis au chômage, l’armée, la police, les élèves et écoliers de même que les femmes burundaises, qui s’habillaient « Cotebu» à peu de frais, sont parmi ceux qui regrettent toujours la privatisation de cette entreprise construite sous Bagaza. La Sosumo connaîtra-t-elle un sort similaire?
L’Etat s’affranchit de son boulet au pied
Bujumbura fait face à un problème de finances, depuis le gel de la coopération par ses partenaires occidentaux. Il a besoin d’argent pour s’acquitter de certaines de ses responsabilités vitales. C’est notamment l’achat des médicaments, des fertilisants et d’autres intrants, etc.
Le ministre du Commerce, Jean-Marie Niyokindi, explique notamment cette privatisation par le manque de devises pour l’importation. Il s’agit d’un argument qui ne devrait pas expliquer la privatisation d’une société comme la Sosumo, un projet qui doit être pensé sur le long terme. Ce manque de devises est dû à la conjoncture économique qui peut changer d’un moment à l’autre.
La privatisation de la Sosumo permettra à l’Etat de renflouer ses caisses. En cédant plus de 50% de ses actions aux investisseurs privés, il aura de l’argent en peu de temps. En plus, cette cession lui permettra de récupérer chaque année 8 milliards de BIF jusque-là destinés à l’entretien des appareils, etc.
Le gouvernement pourra s’en servir pour importer certains produits de première nécessité, dont le manque sur le marché ternirait gravement son image. Or, ce n’est pas le moment au regard des échéances qui approchent à grands pas. Il faut plutôt redorer son blason.
Deux questions méritent tout de même d’être posées. Y a-t-il eu un appel d’offres international dans la perspective de cette privatisation ? Le gouvernement a-t-il pensé à l’avenir des employés de cette société ?