Samedi 23 novembre 2024

Économie

Sobugea-Air Burundi : entre fusion et confusion

22/01/2021 Commentaires fermés sur Sobugea-Air Burundi : entre fusion et confusion
Sobugea-Air Burundi : entre fusion et confusion
Le 24 décembre dernier, le Conseil des ministres a adopté le projet de fusion entre Sobugea et Air Burundi.

Depuis quelques jours, la fusion prochaine entre les sociétés Air Burundi et la Société burundaise de gestion des entrepôts et d’assistance des avions en escale (Sobugea) fait couler beaucoup d’encre. Une nouvelle société « Burundi Airlines » pointe à l’horizon. Des observateurs parlent d’un mariage contre nature.

Selon le Secrétaire général et porte-parole du gouvernement, Prosper Ntahorwamiye, le gouvernement du Burundi s’est engagé à mobiliser les fonds nécessaires et prendre d’autres mesures d’accompagnement visant le redressement d’Air Burundi dans le cadre de la relance du transport aérien. Il l’a annoncé le 24 décembre dernier après le conseil des ministres. Selon lui, le gouvernement du Burundi a commandité un audit pour procéder à un diagnostic approfondi d’Air Burundi et étendu à la Sobugea, en vue de déterminer la valeur actualisée de leurs patrimoines et de proposer la stratégie de redressement de ces deux sociétés.

Le travail a été confié au groupement BCAP International-PROSAFE aviation consulting Ltd. Pour le suivi de la bonne exécution de ce contrat, poursuit-il, une commission technique a été mise en place. « Après analyse du rapport de la mission d’audit, elle a soutenu la stratégie proposée de fusionner Air Burundi et Sobugea. » Et partant, la création d’une nouvelle compagnie dénommée « Burundi Airlines ». Le rapport propose également que l’actionnariat de cette société soit constitué par l’Etat du Burundi (92%), Socabu (4%) et Sabena (4%).

Un projet opaque selon les employés de la Sobugea

Depuis cette décision du conseil des ministres, ce dossier ne cesse de susciter des interrogations. Les employeurs de la société Sobugea sont inquiets. Ils se posent des questions. Néanmoins, à travers leur syndicat, ils relèvent des zones d’ombres et les dangers qui pourraient découler de cette fusion.

Concernant la commission technique mise en place par le ministre en charge des Finances, les employés de la Sobugea trouvent que sa composition était déséquilibrée. « Les membres issus d’Air Burundi étaient au nombre de 4 à savoir l’Administrateur directeur général, le directeur technique et d’exploitation, le conseiller de l’ADG et le commissaire aux comptes. La Sobugea n’avait été représentée que par le seul Administrateur directeur général. »

Pour les employés de la Sobugea, les raisons avancées par la commission technique afin de défendre la fusion sont infondées. D’après eux, le diagnostic du bureau d’audit est superficiel. « La commission s’est basée sur ce diagnostic. Pour quelqu’un qui n’a pas de parti pris, il le constaterait. » Selon ces employés, ce qui est écrit par le bureau d’audit ne correspond pas avec la réalité et ils demandent une contre – expertise internationale par un Bureau d’Audit International dans le domaine de l’Aviation civile. Par ailleurs, ils ont même des doutes sur l’impartialité de ce bureau. « Parmi les auditeurs il y a ceux qui ont géré Air Burundi dont un ancien directeur général et un ancien pilote d’Air Burundi. » Pour eux, ils ne sont pas habilités à auditer la Sobugea.

« Le navire Sobugea risque de couler »

La probable fusion des deux sociétés suscite des remous.

Le personnel de la Sobugea donne des éléments qui feront couler la Sobugea en cas de fusion. Selon eux, l’investissement d’Air Burundi dans les équipements d’assistance au sol alors que ces mêmes équipements sont disponibles et sous utilisés à la Sobugea constitue une perte à l’Etat alors que cette société perçoit chaque année des dividendes avoisinant un milliard de BIF. « Cet investissement constituera une concurrence déloyale qui n’a que des conséquences néfastes pour les deux sociétés en général mais spécialement la Sobugea qui va s’écrouler si l’autorité politique se base sur des données erronées dans la prise de sa décision. Air Burundi n’a qu’attendre les dividendes à la fin de chaque année. » Et d’ajouter : « Nous sommes sûr qu’on ne vise pas l’amélioration des performances de la Sobugea s’il passe par la fusion. C’est plutôt sa faillite qui est visée. »

Pour les employés de la Sobugea, la fusion envisagée ne devrait pas être appliquée sur les deux sociétés pour plusieurs raisons. « Air Burundi est une société en faillite dans son activité principale qui est le transport aérien. Depuis sa création, cette société ne s’est jamais préparée à devenir une société de transport aérien rentable. Elle a commencé dans la foulée de la fierté nationale sans aucune étude préalable pouvant montrer son développement. Par contre, la Sobugea est une société dont la fondation a été bien mûrie. Ce qui lui permet toujours de générer des résultats positifs et satisfaisants surpassant annuellement un 1.000.000.000de BIF. »

En plus des dividendes en termes de milliards distribués à l’Etat via Air Burundi et d’autres actionnaires Socabu et la Sabena, indiquent-ils, elle contribue dans l’économie globale du pays en payant les impôts et taxes à hauteur de plus 500 millions de BIF voire même en termes de milliards de temps en temps. « Nous ne pensons pas que l’Etat prendrait une décision allant à l’encontre de ses intérêts surtout de l’intérêt général »

Selon eux, fusionner Sobugea et Air Burundi mettrait en cause toutes ces contributions et entraînera aussi la Sobugea en faillite. De plus les états financiers ne sont pas les mêmes : « Le bilan d’Air Burundi dépend largement des dividendes de la Sobugea et des immobilisations fictivement comptabilisées comme Beechcraft dévalué graduellement jusqu’à 0, un autre avion MA 60 est inadapté aux temps modernes. Quant au bilan de la Sobugea, il est toujours positif et ses états financiers sont réels. » Fusionner deux entreprises suppose que chacune amène son apport, soulignent-ils. Air Burundi ne viendra qu’avec des charges exponentielles qui vont s’ajouter à celles de la Sobugea. « Cette nouvelle société ne fera pas longue vie ».

« La relance d’Air Burundi s’avère très nécessaire »

En novembre 2019, le ministre de la Sécurité publique de l’époque, Alain Guillaume Bunyoni, avait émis des observations concernant les revendications des employés de la Sobugea. « La relance d’Air Burundi s’avère très nécessaire car, le Burundi doit être compétitif avec les autres pays de la Région dans le domaine du transport aérien. Ce qui se réalisera sans doute par la mise en place d’une société forte, disposant de l’expérience en la matière et équipée d’aéronefs modernes. Se doter d’une compagnie nationale de transport aérien serait sans doute une fierté nationale » Et d’ajouter : « La vision de l’autorité politique est de consolider l’entreprise Air Burundi dans le secteur de transport aérien aujourd’hui en difficultés. Les syndicalistes n’ont pas de raison de s’opposer à la fusion qui permettra la croissance de la société absorbante. »

Quant aux déséquilibres entre les membres de la commission, poursuit le ministre de la Sécurité publique de l’époque, le syndicat des travailleurs de la Sobugea n’a pas de raison de se lamenter. Selon lui, cinq membres d’Air Burundi représentent 90 % des actions et un membre de la société Sobugea représentant 10 %. « Fusionner deux sociétés ayant le même patron ne posera pas de problème. La compagnie Air Burundi est actionnaire principale. Pour dire que la Sobugea n’est pas une société indépendante ». Pour le ministère de la Sécurité publique, l’intérêt du personnel de la société absorbée est qu’ils ne soient pas licenciés. C’est ce que veut, entre autres, le personnel mais aussi garder leurs avantages en cas de fusion.


Gabriel Rufyiri : « Cette fusion montre à suffisance qu’il y a une main invisible derrière »

Pour les employés de la Sobugea, les défenseurs de la fusion cachent l’objectif de « permettre à un lobby qui se cache encore dans l’ombre de faire main basse sur la Sobugea ». Le président de l’Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome) ne mâche pas ses mots sur ce projet gouvernemental.

Certains disent que cette fusion Air Burundi-Sobugea est un mariage contre nature. Est-ce votre avis ?

C’est clair. Il est incompréhensible qu’une société en faillite puisse fusionner avec une société florissante. Certes, la société Sobugea a des problèmes de gestion comme d’autres sociétés publiques mais elle se porte bien. Aujourd’hui, Air Burundi travaille comme une agence de voyage qui ne vend que des billets d’autres compagnies aériennes comme Kenya Airways, Ethiopian Airlines, Bruxelles Airlines, etc.

Selon vous, à qui profitera cette fusion ?

La fusion de ces deux sociétés montre à suffisance qu’il y a une main invisible qui se trouve derrière. Pour l’Olucome, ce n’est pas inhabituel. Aujourd’hui, nous voyons comment dans certains pays africains la gouvernance économique et sociale voire même politique est structurée. La plupart des pays essaient de maîtriser l’outil économique en injectant les fonds propres d’abord du parti au pouvoir et des hommes forts du régime. Ces derniers mettent leur argent dans les sociétés publiques en passant par ce genre de pratiques comme fusion, privatisation, etc. Dans la plupart des cas, le gouvernement fait tout pour montrer que les sociétés sont en train de tomber en faillite pour qu’il puisse utiliser souvent ces mécanismes pour les « ressusciter ».

Au Burundi, quand nous regardons ce qui s’est passé au niveau du charroi zéro, des Sogestals, de l’EPB, du Cotebu… nous pensons que c’est cette ligne qu’ils suivent pour injecter leurs fonds dans ces sociétés. Il faut lier cela par les discours prononcés par certaines hautes autorités de l’Etat quand ils ont dit qu’ils vont privatiser la Regideso, l’Onatel, etc. Nous pensons que c’est cette main qui est derrière cette fusion Air Burundi-Sobugea.
Ce qui est grave est que toutes les sociétés publiques qui ont été privatisées ou mises dans les mains de quelques individus n’ont pas fait long feu. La Sobugea risque de subir le même sort que ces autres sociétés.

« Burundi Airlines » risque de subir le même sort ?

C’est une évidence. On ne connaît pas le plan de restructuration. Malheureusement, nous avons de mauvaises expériences. Il faut qu’il y ait des mécanismes forts de protection des fonds publics parce que nous avons vu qu’il y a un grand problème de gestion des entreprises publiques. Ce sont les intérêts des individus qui sont mis en avant au détriment des intérêts supérieurs de la nation.

Le personnel, les organisations de la société civile et les médias ont essayé de crier pour que la Sobugea ne soit pas dilapidée et voilà nos efforts tombent à l’eau. Malgré cela, il faut continuer à crier et à dénoncer certainement qu’un jour les responsables répondront devant la justice.

Propos recueillis par Fabrice Manirakiza

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